« Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » : voici ce que Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a déclaré au Figaro au sujet des négociations avec Athènes qui ont suivi l'élection de Syriza, qui a fait plusieurs annonces retentissantes cette semaine.

Haussement de ton ?

Face à un Alexis Tsipras offensif, Juncker répond sèchement : « Athènes a accepté deux plans d'ajustement, elle doit s'y tenir. Il n'est pas question de supprimer la dette grecque. Les autres pays européens ne l'accepteront pas (...) Dire qu'un monde nouveau a vu le jour après le scrutin de dimanche n'est pas vrai. Nous respectons le suffrage universel en Grèce, mais la Grèce doit aussi respecter les autres, les opinions publiques et les parlementaires du reste de l'Europe. Des arrangements sont possibles, mais ils n'altèreront pas fondamentalement ce qui est en place (...) Dire que tout va changer parce qu'il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c'est prendre ses désirs pour des réalités ».

Le discours du président de la Commission est ambigu. En effet, il exclut « la suppression de la dette », ce que ne demande pas la nouvelle équipe, qui demande une décote. Et il dit respecter le suffrage universel, mais cela est purement formel s'il n'était pas possible de revenir sur les traités passés et qu'il n'est pas possible d'altérer fondamentalement ce qui en place. En même temps, Alexis Tsipras a clairement indiqué qu'il changera fondamentalement les politiques menées depuis 2010, puisqu'il a mis fin aux privatisations, remonté le SMIC et embauché des fonctionnaires ! S'agit-il d'un simple effet de style pour la négociation ou d'un regret sur l'organisation telle qu'il la souhaiterait en Europe ?

Totalitarisme juridique et démocratie

Il est difficile d'y voir seulement une posture de négociation, d'autant plus que la Grèce a beaucoup d'atouts dans sa manche et ne semble pas disposée du tout à poursuivre les politiques délétères qui ont mené à un désastre humain et social que l'histoire jugera sans doute durement. C'est sans doute le moyen pour lui de donner le change pour les pays créditeurs. Mais on peut aussi y voir plus fondamentalement une partie de la conception politique des élites européennes qui sanctifient les traités, placés au-dessus de la démocratie. En effet dire « qu'il ne peut y avoir de choix démocratiques contre les traités européens » indique que le choix des électeurs pèse moins que les choix des dirigeants précédents.

Ce faisant, Jean-Claude Juncker fait un double contre-sens sur ce qu'est la démocratie. D'abord, le choix démocratique du peuple est l'instance suprême, qui peut toujours défaire ce qui a été fait dans le passé, à partir du moment où cela réunit une majorité, bien entendu. Les traités ne sont que des bouts de papier à la durée de vie limitée qui ne sont que peu de choses face aux choix démocratiques. Ensuite, le président de la Commission a le tort, courant dans ces cénacles européens, de mettre le droit au dessus de la démocratie, un moyen d'étouffer cette dernière, comme l'a bien expliqué Jacques Sapir dans une série de papiers qui prolongeait utilement le livre d'Emmanuel Todd « Après la démocratie ».

En un sens, merci au président de la Commission de montrer le fond de sa pensée dans des circonstances où la démocratie grecque devrait faire plier la vision juridiquo-autocratique des hiérarques européens. Ce faisant, cela montre aux peuples qu'ils peuvent à tout moment se libérer de ce carcan.