lundi 2 février 2015

La réalité de la dette grecque (G. Filoche)

 
La dette grecque - Quelques chiffres généraux, tout d’abord
Fin 2014
11 millions d’habitants
PIB : 180 milliards d’euros
Dette publique : 320 milliards d’euros (176 % du PIB).
PIB : chute de 25 % entre début 2008 et fin 2014 (6 ans de récession). L’équivalent, en France de 500 milliards d’euros en moins.
Le PIB qui avait diminué de – 3,9 % en 2013 aurait cru (selon le gouvernement d’Antonis Samara) de 1,6 %. Il est vrai que quand on touche le fond, il est parfois possible de remonter un peu mais rien ne dit que l’on pourra atteindre la surface.
Le déficit public serait passé de – 13,5 % du PIB fin 2013 à – 1,6 % du PIB. Le dernier chiffre ne concerne que le déficit primaire (hors intérêts de la dette publique alors que c’est bien là l’un des principaux problèmes). Ce chiffre est, de toute façon, contesté par l’UE.
Les prétendus « plans de sauvetage » de la Grèce
Chiffres – Attac – Autriche (repris par Attac France) – Juin 2013
Impossible d’avoir d’autres chiffres, la Troïka (BCE, Commission, FMI) entretenant la plus grande opacité sur la destination des fonds soi-disant versés à la Grèce.
Total des « aides » : 207 milliards d’euros depuis mars 2010.
23 tranches de financement, après vérification que les plans de destruction sociale (les « conditionnalités » disent-ils) aient bien été respectées.
Sont allés à la Finance
58 milliards : recapitalisation des banques.
101 milliards : versés aux créanciers de l’Etat grec (essentiellement des banques européennes et Etats-uniennes)
1 milliard : contribution de la Grèce au financement du Mécanisme Européen de Stabilité. La triste image d’un sauveteur en mer ajoutant un kilo de plombs aux pieds d’une personne en train de se noyer.
35 milliards d’euros ont été consacrés au paiement d’intérêts sur les bons du Trésor en attente (du 4ème trimestre 2010 au 4ème trimestre 2012). Attac ne comptabilise pas ces sommes dans les sommes qui sont allées à la Finance mais c’est pourtant la seule source de financement de la Grèce (en dehors de fonds de la Troïka et des impôts prélevés en Grèce) qui n’a plus accès aux marchés financiers et ce sont les spéculateurs qui achètent ces bons du Trésor. Le taux des bons du Trésor à 3 mois (et donc sans risque véritable) atteignaient 5 %, un pactole pour les banques.
Au total 195 milliards sont allés à la Finance.
L’Etat grec a, par ailleurs, affecté une enveloppe de 10 milliards d’euros au budget de la défense (2010 et 2011) afin de ne pas réduire les dépenses militaires, ce qui aurait porté préjudice aux fabricants d’armes allemands et français. Le budget de la défense grecque s’élève à 4 % du PIB en Grèce contre 2,4 % en France.
C’est donc, au total, 195 milliards d’euros qui sont allés à la Finance et 10 milliards aux marchandes de canon. Un total 205 milliards d’euros sur 207 milliards. La Grèce n’en aurait perçu que 2 milliards.
Les prétendus plans de sauvetage de la Grèce étaient des plans de sauvetage de la Finance dont les Grecs n’ont pas vu la couleur.
Ces sommes étaient, d’ailleurs, versées sur un compte spécial, à la demande de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel.
Quand Merkel et d’autres parlent de « solidarité » envers la Grèce ils oublient que cette solidarité s’exerçait envers les banques et non du peuple grec.
En contrepartie de ces 2 milliards, la Grèce s’est vu imposer des plans d’austérité et des réformes structurelles qui ont entraîné :
- 25 trimestres de récession consécutifs et une baisse de 25 % de son PIB en 6 ans.
- Un taux de chômage dépassant 26 % de la population active, 60 % pour les moins de 25 ans (qui ne sont plus à l’école ou à l’université, mais à la recherche d’un emploi).
- Le licenciement de dizaines de milliers de fonctionnaires.
- Une chute de 33 % du salaire moyen dans les entreprises privées. Une chute de 30 % de la demande intérieure. Le Salaire minimum a diminué de 22 % et de 32 % pour les moins de 25 ans. Les retraites ont diminué, en moyenne, de 25 %. Les allocations sociales ont fondu, elles aussi, comme beurre au soleil.
- Un taux de pauvreté égal à 36 % de la population.
- Des coupes claires dans les services publics. Des coupes de 40 % dans la santé qui a entraîné la rupture de l’approvisionnement en médicaments et la multiplication des hôpitaux de rue, gratuits, grâce aux dévouements de médecins et d’auxiliaires médicaux.
- La fusion et la privatisation d’une cinquantaine d’organismes publics pour le plus grand profit des multinationales allemandes et françaises.
Et pour quel résultat, en fin de compte :
La dette publique qui s’élevait à 113 % du PIB début 2009 s’élève aujourd’hui à 176 % du PIB.
La politique imposée par la Troïka a non seulement amené une catastrophe économique et sociale mais elle a entraîné une catastrophe financière alors que son but affiché était de rendre diminuer la dette publique de la Grèce!
D’où vient la dette grecque ?
Elle a commencé sa triste carrière sous la dictature des Colonels de 1967 à 1974, période durant laquelle elle a été multipliée par 4.
Elle a continué avec la Constitution de 1975 et toute une série de lois qui permettent aux armateurs grecs de bénéficier de 58 abattements fiscaux différents.
L’Eglise orthodoxe, principal propriétaire foncier du pays, était à peu près totalement épargnée par le Fisc.
Le système fiscal a permis aux principales fortunes grecques de placer plus de 600 milliards d’euros en Suisse (plus de trois fois le PIB annuel) sans que ces sommes soient frappées du moindre impôt.
La dette publique s’est accrue avec des dépenses d’armement qui font de la Grèce le pays européen qui a le budget militaire le plus élevée en proportion de sa richesse (scandale de sous marins de Thyssen-Krupp).
La multiplication par 20 du prix initial des Jeux olympiques de 2004, s’est soldée par un « trou » de 40 milliards d’euros.
L’étendu du déficit public grec a été révélé en 2009, par Georges Papandréou (Pasok), qui a mis a jour le maquillage des comptes par le parti de droite « Nouvelle Démocratie » de Kostas Karamanlis. C’est le pourtant le successeur de Kostas Karamanlis à la tête de ce parti, Antonis Samara, qui avait maquillé les comptes de la Grèce que François Hollande, à peine élu, était allé soutenir, en juin 2012, à Athènes.
La croissance de la crise depuis 2010 est le produit de la combinaison des cures d’austérité qui ont plongé le pays dans la récession et de la spéculation financière qui fait exploser les taux d’intérêts (6 % fin 2009 et 12 % début 2010).
Pourquoi les spéculateurs encaissent-ils des primes de risque ?
Les banques qui spéculaient sur la dette publique grecque pouvaient emprunter auprès de la BCE (au taux de 1 %) les fonds qui leur permettaient de spéculer en acquérant les titres de la dette publique grecque à des taux variant entre 6 % et 12 %. Aujourd’hui, ils peuvent, après les dernières décisions de Mario Draghi, emprunter auprès de la BCE au taux de 0,05 % et prêter à plus de 10 % à la Grèce.
Les spéculateurs veulent à la fois la ceinture et les bretelles. Ils veulent bien encaisser les 6 % ou 12 % d’intérêt qui leur sont versés parce qu’ils prennent un risque mais ils ne veulent pas assumer ce risque quand il s’avère que leur spéculation est perdante. Et l’UE les appuie. Il faut dire que ces spéculateurs sont des banques et que l’UE ne leur a jamais rien refusé.
Les salariés grecs ne paient-ils pas d’impôt ?
Ils paient l’impôt le plus injuste, la TVA, que les « mémorandums » de la Troïka ont fait passer du taux de 19 % à celui de 23 %.
Ils ne peuvent pas, non plus, échapper à l’impôt sur le revenu puisque cet impôt est prélevé à la source, c’est-à-dire prélevé sur leur fiche de paye par les entreprises qui les reversent à l’Etat, avant même qu’ils aient perçu leur salaire.
Une taxe foncière, particulièrement injuste, qui épargnait les propriétaires de riches résidences et frappait les propriétaires de maisons modestes dans un pays où de nombreux habitants sont propriétaires de leur habitation principale a été instaurée par le gouvernement d’Antonis Samara.
Une étude de l’Expansion (06/09/2012) constatait que les Grecs qui ne payaient pas leurs impôts étaient les membres des professions indépendantes ou libérales : médecins, ingénieurs-conseils, experts-comptables… Il faut bien sûr ajouter les armateurs et l’Eglise orthodoxe.
La restructuration de la dette grecque en 2012
La dette grecque a été restructurée en 2012 mais comme cette restructuration s’est faite à l’initiative des créanciers, ce sont eux qui en ont profité.
Les créanciers privés et les banques qui étaient les principales créancières privées de la Grèce se seraient, selon Angela Merkel, « sacrifiés », en « effaçant » 53,5 % de leurs créances, c’est-à-dire 107 milliards d’euros.
En réalité, c’est pour sauver leur propre peau, que les banques et les assurances européennes ont accepté de « perdre » 107 milliards d’euros. Un défaut de la Grèce aurait alors risqué de provoquer une faillite des banques européennes, tant la dette publique grecque pesait dans leur bilan et tant les banques européennes (françaises notamment) étaient engagées dans le système bancaire grec. Plutôt que tout perdre, les banques européennes, principales créancières de la dette grecques, ont accepté de perdre 107 milliards pour sauvegarder leur existence.
Sur ces 107 milliards, d’ailleurs les banques n’ont pas tout perdu, très loin de là.
Elles ont, d’abord, été recapitalisées (sur le dos des finances grecques) de 58 milliards d’euros.
Ensuite, la valeur des obligations grecques n’avaient plus rien à voir avec leur valeur d’émission. Une obligation de 100 euros lors de son émission (sa valeur faciale) ne valait plus sur le marché secondaire (la bourse) que 10 euros dans le meilleur des cas. Les nouvelles obligations reçues par les banques et les assurances en contrepartie de leurs anciennes obligations avaient une valeur de 46,5 % de la valeur faciale des anciennes obligations. Soit une valeur de 46,5 euros pour une obligation de 100 euros qui ne valait plus que 10 euros sur le marché boursier. Un cadeau, donc, de 36,5 euros par obligation de 100 euros pour les banques !
Ensuite, les banques pourront faire jouer les assurances, les fameux CDS (Credit Default Swap) qu’elles avaient prises sur la dette publique grecque. Certes, d’autres banques devront cracher au bassinet les 3,2 milliards d’euros concernés mais ce sont essentiellement des banques anglo-saxonnes, Morgan Stanley notamment.
Cette opération s’est traduit par un nouveau et gigantesque transfert des dettes privées (des banques) vers la dette publiques, celles des institutions européennes (BCE, MES…) avec l’entière bénédiction de ces dernières.
Les gouvernements européens ont :
D’abord, prêté 52,9 milliards d’euros à la Grèce, lors d’opérations bilatérales, avec des fonds qu’ils avaient emprunté sur les marché financiers.
Ensuite, apporté 140,9 milliards d’euros via le Fonds européens de stabilité financière (aujourd’hui, devenu le Mécanisme européen de stabilité) et garanti ces 140,9 milliards.
Enfin, la BCE et les banques centrales nationales de l’UE ont acheté sur le second marché pour 25 milliards d’euros des titres de la dette publique grecque.
Aujourd’hui, 223 milliards (chiffres d’Henri Sterdyniack et Anne Seydoux – La Tribune du 27/01/2014) de la dette grecque sont détenus par la BCE, le FESF et les autres Etats-membres européens. Il faut ajouter 32 milliards par le FMI. 80 % de la dette publique grecque est donc détenue par des institutions publiques.
JJ Chavigné