Opinions
Il y a quelques mois j'essayai de convaincre mes étudiants de l'exemplarité de la solidarité européenne et, à titre d'exemple, je cru bon d'évoquer le plan de sauvetage de la Grèce.
Mon propos déchaîna immédiatement une réponse passionnée d'une élève originaire de ce pays qui m'opposa l'immense misère que ce plan avait déclenché. « Avec cette austérité sans précédent, me disait-elle, nous sommes revenus à un niveau de vie inférieur à tout ce que nous connaissions avant. Une honnête famille ne peut plus subvenir à ses besoins élémentaires. C'est intolérable. »
Le remède pire que le mal?
La digne violence de cette étudiante me laissa perplexe et entama mes certitudes. Et depuis je m'interroge sur la validité d'une telle politique du « redressement » forcé. Faut-il contraindre le soldat grec à passer sous les fourches caudines ? Le remède peut-il être pire que le mal ?
Mais aussi, peut-on tolérer que des engagements internationaux ne soient pas respectés, que la corruption, l'imprévoyance, le laisser-aller triomphent ?
Mais aussi....est-on bien certain que le défaut de paiement éventuel de la Grèce, sur une dette qui a été financée sur le principe de la planche à billets, provoquerait un impact cataclysmique sur l'Europe et sur l'Euro ?
Mais aussi, se souvient-on qu'un certain DSK nous disait au début de cette grise qu'il serait plus sage d'annuler la dette grecque et de repartir sur de nouvelles bases ?
Toutes ces remarques montrent la dualité de la situation et soulèvent deux questions de fond : le problème est-il seulement économique ? Et, si non, l'outil choisi pour « réparer » la machine grecque est-il bien approprié ?
Sur la première interrogation, on voit bien que le problème grec n'est pas seulement financier car il peut s'envisager de multiples manières.
Par exemple :
- Se place-t-on en économiste orthodoxe, comptable du seul principe de l'égalité des recettes et des charges ?
- Se place-t-on en homme politique défenseur du respect des Lois et des engagements donnés entre États ?
- Se place-t-on dans une perspective purement humaniste qui privilégie la compassion?
Quelle est, dans ces quatre façons de regarder la réalité, la bonne méthode ?
Quatre ordres s'emboîtant les uns dans les autres
André Comte Sponville, philosophe bien connu, nous aide à réfléchir. Que nous montre-t-il en effet dans son ouvrage le plus connu, « Le capitalisme est-il moral ? ». Il pense que nos sociétés sont organisées sur la base de quatre ordres qui s'emboîtent les uns les autres, chacun étant limité pat l'ordre qui lui est supérieur. Tout en bas de l'échelle il y a l'ordre du monde technique et scientifique - dont fait partie l'économie- et qui est celui ce qui est possible.
Mais tout ce qui est possible n'est pas nécessairement souhaitable, le monde technique doit être encadré par le monde du politique qui définit les Lois.
On sait bien aussi que les dictatures sont possibles, même dans un monde légaliste, il convient donc de subordonner le monde politique à celui de la morale qui définit le bien et le mal.
Enfin un monde moral n'est pas toujours un monde humaniste ; il faut donc faire dépendre l'ordre moral du principe de respect de l'amour de son prochain.
Un effort utile?
Si l'on accepte cette vision du monde, on peut aisément s'en servir de grille d'interprétation de la crise grecque. En effet, le remboursement « technique » de la dette, partie émergente du problème, ne peut s'envisager que par rapport à un accord politique qui en fixe les termes et conditions. Mais pour que cet accord soit respecté, encore convient-il qu'il soit juste et qu'il soit défendu par des autorités elles-mêmes irréprochables. Enfin il est ô combien nécessaire que l'effort demandé soit utile et débouche sur un mieux pour le peuple qui doit en supporter la charge.
Or, dans le cas de la Grèce, ce « modèle » vertueux est défaillant : les porteurs du projet ne sont pas crédibles de part et d'autre, leur parole ne vaut pas grand-chose et la démagogie (pour défendre le peuple opprimé ou bien pour jouer les vierges effarouchées défendant l'ordre international) est leur principal credo. Les efforts financiers demandés sont trop importants et ne permettent pas à la machine économique de redémarrer. La dette creuse son propre trou et son fardeau est donc perçu comme injuste. Comment peut-on d'ailleurs imaginer un quelconque remboursement alors que le « malade » ne peut subvenir à ses besoins élémentaires (pour honorer une dette il convient d'être suffisamment bien portant pour avoir l'énergie de créer de la valeur et faire face). Enfin, ce pénible spectacle crée une opposition peuple contre peuple qui nous écarte de notre idéal de paix et de respect mutuel.
Quand l'économie perd sa boussole
Morale de cette histoire, la dette grecque ne sera jamais remboursée et son économie a peu de chance de s'améliorer. Car l'économie ne peut être considérée comme un domaine autonome qui ne devrait rendre des comptes qu'à elle-même.
Faute de comprendre les différents mondes dans lesquelles elle s'inscrit, elle perd la boussole, se trompe dans toutes ses prévisions, se décrédibilise et désespère le peuple qui finit toujours par avoir raison.