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Laurent
Fabius, Ministre des Affaires étrangères de France (Gauche), Pavlo Klimkin,
ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine (Droite), Frank-Walter Steinmeier,
ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, (2ème R) et Sergueï Lavrov,
ministre des Affaires étrangères de la Russie. (Reuters / Thomas Peter)
L’UE est entrée comme une « somnambule » dans la crise ukrainienne du fait de
son incapacité à prendre en compte l’inquiétude que les politiques occidentales
suscitaient à Moscou, selon un rapport parlementaire britannique. Les Européens
ont perdu toute capacité d’analyse en ce qui concerne la Russie.
Le rapport cinglant sur les causes et les conséquences de la débâcle
ukrainienne et de la division entre la Russie et l’Ouest a été rédigé par le
Comité de l’Union européenne de la Chambre des Lords chargé d’examiner la
participation du Royaume-Uni dans les affaires de l’UE.
Le rapport a identifié les raisons politiques qui, en Russie et dans l’UE et
ses Etats membres, ont nui au dialogue et à la confiance réciproques. Les
Européens sont tout particulièrement coupables de manquer du discernement
nécessaire pour comprendre la Russie et prévoir ses réactions aux actions de
l’UE.
"On constate le déclin de la capacité d’analyse des États membres en ce qui
concerne la Russie. Leur capacité à déchiffrer les évolutions politiques et à
offrir une réponse adaptée s’est affaiblie. Les États membres doivent
reconstruire leurs anciennes compétences", dit le rapport.
" L’expertise analytique a perdu de son importance au FCO (Foreign and
Commonwealth Office, le ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni). Le
FCO devrait renouer avec cette compétence pour pouvoir contribuer aux processus
de décision par des analyses de qualité", précise le rapport.
Du fait de ces lacunes, "on a constaté clairement une approche
"somnambulique" de la crise ukrainienne, et d’importantes erreurs d’analyse ont
été commises par l’UE. Les officiels de Bruxelles ainsi que les ambassades des
États membres sont tous partie prenante de la politique étrangère de l’UE, mais
tous semblent avoir manqué les signes avant-coureurs."
Les inquiétudes de la Russie pour sa sécurité sont
véritables
Les Lords disent que les politiques occidentales envers la Russie n’ont pas
pris en compte les profondes inquiétudes engendrées par l’élargissement de
l’OTAN.
"L’OTAN est perçue par les Russes comme une menace militaire agressive, et
les élargissements successifs de l’OTAN vers l’est l’ont, dans l’optique russe,
rapprochée dangereusement de la frontière russe. L’élargissement de l’UE, qui
s’est confondu avec l’élargissement de l’OTAN, a également été vécu comme une
menace à sa sécurité", note le document.
"La perception russe de la menace que l’OTAN fait peser sur sa sécurité doit
être reconnue, et aussi contestée, dans les discussions sur la sécurité
européenne," recommande le rapport.
Les Russes voient l’expansion de l’UE vers l’Est comme un processus parallèle
à celle de l’OTAN, souligne le rapport. Ainsi la volonté européenne de faire
entrer l’Ukraine dans le programme de Partenariat Oriental a été considérée non
seulement comme une attaque contre les intérêts économiques russes en Ukraine,
mais aussi contre sa sécurité nationale.
La décision rapide des nouvelles autorités de Kiev qui ont pris le pouvoir au
président Ianoukovitch en Février 2014, de renoncer au statut de pays non-aligné
de l’Ukraine, a renforcé cette appréciation.
Des espoirs irréalistes de partenariat oriental
Il y a aussi eu un manque de communication entre l’UE et Moscou au plan
économique dans la période qui a précédé la crise ukrainienne, selon le rapport.
Les événements en Ukraine ont été déclenchés par l’Accord d’Association
UE-Ukraine, un traité de libre-échange que Bruxelles voulait faire signer à Kiev
et que l’ancien gouvernement Yanoukovitch avait décidé de reporter. La Russie
s’était opposée à l’accord au motif qu’il nuirait à ses échanges commerciaux
avec l’Ukraine ainsi qu’à l’économie ukrainienne.
"L’UE dans son ensemble a surestimé la volonté de la direction ukrainienne de
signer l’Accord d’Association, elle a semblé inconsciente de l’état de l’opinion
publique en Ukraine et, surtout, elle a sous-estimé la profondeur de l’hostilité
russe à l’Accord d’Association," dit le rapport, en ajoutant que les Européens
"n’ont pas été capables de relier les pointillés" dans le cas de l’Ukraine.
La poursuite de l’accord avec l’Ukraine et de l’ensemble du programme de
Partenariat oriental qui visent à intégrer les voisins de la Russie plus
étroitement dans l’UE sont à l’origine de la tourmente, et l’UE en est en partie
responsable, indique le rapport.
"Il y a une tension non résolue entre l’offre d’adhésion [à l’UE] présentée
aux pays du partenariat oriental et le fait que la volonté politique des États
membres à accepter ces pays au sein de l’UE n’est pas uniforme. Cela crée des
attentes irréalistes et complique les relations de la Russie à la fois avec ces
pays et avec l’UE," dit le rapport. "Les États membres doivent préciser si
l’adhésion à l’UE est une offre sérieuse."
Les Lords britanniques reconnaissent que "Moscou a le droit de ne pas être
exclu du secteur oriental" et recommandent que l’UE s’engage dans "une
réévaluation fondamentale de ses intérêts stratégiques" dans l’est.
Appel au retrait des sanctions à long terme
Le rapport approuve la politique de sanctions de l’UE envers la Russie sur la
crise ukrainienne, mais ajoute qu’il faut élaborer une véritable stratégie de
sortie sur le long terme.
"Il n’existe aucune preuve que les sanctions ont poussé le président [russe],
Vladimir Poutine, à changer de position sur la Crimée où la Russie a des
intérêts sécuritaires directs vitaux, à travers la base navale de Sébastopol,"
note le document.
"Sur le long terme, les sanctions à trois niveaux sont préjudiciables aux
intérêts de l’UE comme de la Russie. Il était sans doute approprié de les
renouveler dans le court terme, mais la perspective de les annuler graduellement
devrait faire partie du plan de négociation de l’UE. C’est à l’aune des progrès
du cessez-le-feu dans l’est de l’Ukraine qu’il faudra évaluer la levée des
sanctions".
Le rapport conseille de reporter la question du statut juridique de la Crimée
jusqu’à ce que le problèmes plus urgents d’arrêter les violences en Ukraine et
d’aider son économie malade soient résolus.
"La possibilité d’un autre référendum sur la Crimée, sous médiation
internationale, est une option", indique le rapport. "Nous sommes conscients du
danger qu’un tel référendum puisse être influencé par la domination de la Russie
sur le paysage politique et médiatique de la Crimée. Il est essentiel qu’il y
ait un débat ouvert et honnête, et que les citoyens votent sans crainte de
représailles. Néanmoins, cette option doit rester sur la table".
D’une manière générale, le rapport conseille de s’attaquer à un certain
nombre de problèmes de l’UE qui ne font qu’approfondir le fossé avec la Russie.
Par exemple, la "question douloureuse des droits des Russes ethniques en Estonie
et en Lettonie devrait être examinée" par l’UE. Ou celle de "la commémoration
des événements de notre histoire pan-européenne commune" qui, selon le rapport
"ne devrait pas souffrir des différends internationaux."
Traduction : Dominique Muselet