COMMUNIQUÉ DU
Dr BACHAR AL-JAAFARI
Bachar al-Jaafari
Bonjour Mesdames et Messieurs,
Vous venez d’écouter, comme moi, l’Ambassadeur britannique
[1] censé devenir le prochain Président du Conseil de sécurité.
Il vous a parlé de la réunion informelle de la Commission d’enquête
internationale sur les violations des droits de l’homme en Syrie. Je fais
remarquer et souligne qu’il s’agit d’une réunion informelle, parce qu’elle a eu
lieu en dehors du Conseil de sécurité et, par conséquent, ne représente que le
point de vue de celui qui s’exprime.
Néanmoins, j’aimerais faire les remarques suivantes :
Comme vous le savez, le Gouvernement syrien a toujours exprimé ses réserves
vis-à-vis du travail entrepris par cette soi-disant Commission indépendante
diligentée par le Conseil des droits de l’homme. Et ceci, nous l’avons dit dès
le début, parce qu’elle a été créée à des fins politiques pour servir l’agenda
caché des manipulateurs et des maîtres du terrorisme qui frappe la Syrie, son
gouvernement et son peuple.
Une Commission biaisée dès le début. Elle ne s’est pas rendue en Syrie. Elle
n’a rencontré que des personnes vivant à l’étranger et se présentant comme des
opposants, tout en continuant à ignorer tous les rapports qui lui ont été
adressés par le Gouvernement syrien.
Si vous consultez le rapport de cette Commission [2], vous
constaterez qu’il ne reflète que les points de vue des dits opposants se
trouvant à l’extérieur de la Syrie et dans des camps [de réfugiés, Ndt] en
Turquie, en Jordanie, au Liban et ailleurs, mais néglige de mentionner le
moindre mot des milliers d’informations fournies par le Gouvernement syrien
depuis des années ; ce qui, en soi, indique à quel point elle est biaisée.
C’est pourquoi nous pensons que cette Commission fait partie intégrante du
problème et non de la solution qui résoudrait la crise syrienne. Elle a été
utilisée par des membres influents au Conseil des droits de l’homme, aussi bien
qu’au Conseil de sécurité, pour nuire au Gouvernement syrien et diaboliser ses
actions, alors qu’il fait face à la guerre menée contre lui, contre la Syrie et
le peuple syrien, depuis quatre ans.
Avant de nous engager dans l’exercice des questions / réponses, j’aimerais
vous montrer quelque chose de très utile et de très instructif. Ceci est un
registre de 500 pages, un registre inhabituel élaboré par les autorités
syriennes et listant les terroristes tués en Syrie, pour le seul mois d’Octobre
2013 ; des terroristes étrangers uniquement, avec leurs photos, leurs noms,
leurs nationalités. Certains d’entre eux ont peut-être été utilisés comme
témoins contre le Gouvernement syrien. Beaucoup sont arrivés de Jordanie qui
assure, comme vous le savez, la présidence du Conseil des droits de l’Homme.
Beaucoup sont arrivés d’Arabie saoudite, de Libye, de Tunisie, du Pakistan,
d’Afghanistan, d’Australie, des USA, de Grande Bretagne, de France, de Belgique,
d’Allemagne, d’Italie, du Qatar, des Émirats arabes unis, du Koweït, du
Turkménistan, de Lituanie, du Burkina Faso, du Nigéria, d’Égypte, du Canada… des
Palestiniens par hasard, des Libanais…
Ceux-là sont des opposants syriens. Tous des étrangers. Des étrangers que les
USA qualifient d’ « opposition syrienne modérée ». Ils sont Australiens, mais ce
sont des opposants syriens modérés. Que cela vous plaise ou non, c’est ainsi que
les USA vous les présentent ! Ceux-là sont les représentants de l’opposition
syrienne légitime, démocratique et pacifique ! Ils sont peut-être pakistanais,
mais ce sont des opposants syriens !
Une même méprise répétée illégitimement et insolemment par de hauts
fonctionnaires de l’ONU, tel le porte-parole du Secrétaire général lui-même ;
lequel a maintes fois considéré les terroristes sévissant dans le Golan syrien
-occupé par Israël- comme des éléments appartenant aux groupes armés de
l’opposition syrienne.
Ceci, alors que nous savons tous, d’après les rapports du Conseil de
sécurité, que ces individus sont des terroristes de l’EIIL [État Islamique en
Irak et au Levant] et de Jabhat al-Nosra ; lesquels ont kidnappé l’équipe de la
FNUOD [Force des Nations Unies chargée d’observer le désengagement] sur
instructions du Qatar, leurs blessés étant soignés dans les hôpitaux israéliens
avec l’accord des autorités israéliennes. Mais le porte-parole du Secrétaire
général insiste et continue à considérer ces terroristes comme des groupes
d’opposants syriens armés, en sachant que leur chef est, comme par hasard, un
Jordanien et ex-bras droit d’Al-Zarqaoui en Irak.
Par conséquent, quelque chose ne tourne pas rond ici. Quelque chose
d’hypocrite est entrain de s’installer quelque part. On cherche à tromper les
membres du Conseil de sécurité. Certaines personnes influentes cherchent à
tromper les médias et l’opinion publique. Ils traitent le Gouvernement syrien et
les groupes terroristes sur un pied d’égalité. N’est-ce pas là une violation des
résolutions du Conseil de sécurité, 2170, 2178 et 2199 ?
Trois résolutions très récemment adoptées par le Conseil de sécurité contre
l’EIIL, les combattants étrangers et Jabhat al-Nosra, condamnant le parrainage
des terroristes et leur passage à travers la frontière syro-turque, le vol
d’antiquités et d’artéfacts de l’héritage culturel… Que fait-on de ces
résolutions ? Que fait-on dans ce Conseil qui devrait appliquer ses propres
termes ?
Nous sommes le seul gouvernement de cette organisation [ONU] à mettre en
exécution ces trois résolutions. Ce registre le prouve et en témoigne. Je vous
rappelle une fois de plus que ces 500 pages de photos de terroristes ne couvrent
qu’un seul mois : octobre 2013. Je pourrais vous montrer des dizaines de
registres similaires sur les opérations terroristes en Syrie, exécutées selon
les instructions de leurs manipulateurs et maîtres, lesquels ne sont autres que
certains des membres influents du Conseil de sécurité et du Conseil des droits
de l’homme.
RÉPONSES AUX QUESTIONS DES JOURNALISTES
1. Est-ce que l’ASL [Armée Syrienne Libre] et d’autres groupes
supposément modérés font partie de la liste [3] établie par la Commission
d’enquête ? Pensez-vous à l’ASL lorsque vous parlez des groupes terroristes
autres que Daech et Jabhat al-Nosra ? Que pensez-vous de l’accord signé entre la
Turquie et les USA concernant l’entraînement de combattants dès mars prochain
[4] ?
Vous vous souvenez sans doute que, selon les estimations du Pentagone de
l’année dernière, 2 000 terroristes appartenant à ces groupes armés opéraient en
Syrie. Ce sont là les estimations du Pentagone. Ce chiffre a évidemment augmenté
depuis et serait aujourd’hui d’environ 3000.
Ces groupes de terroristes armés ne sont pas arrivés en Syrie en parachute.
Ils sont venus d’Australie, des USA, de France, d’Arabie saoudite, du Koweït, du
Qatar, de Turquie… Lorsqu’un Australien quitte Sydney pour se retrouver à Alep,
quelqu’un pourrait-il m’expliquer comment a-t-il fait pour traverser toutes les
frontières et les pays sur sa route vers la Syrie ? Comment a-t-il leurré les
Services de renseignement sans jamais être intercepté ? Comment ces milliers de
terroristes ont-ils pu venir du monde entier ? Qui les a envoyés ? Qui les a
parrainés ? Qui les a accueillis dans les aéroports d’Ankara et d’Istanbul avant
de les escorter vers la frontière syro-turque ? Qui les a envoyés du Liban et de
la Jordanie vers la Syrie ? Qui sont les victimes de cette tragique situation ?
N’est-ce pas les Syriens et les Irakiens, et maintenant les Libyens et les
Égyptiens ?
Je suis sûr que vous avez entendu les discours tenus hier sur la situation en
Libye, dans cette même enceinte, par les ministres des Affaires étrangères
libyenne et algérienne. Ils tiennent pratiquement les mêmes propos que j’ai
tenus il y a 2, 3 et 4 ans. Maintenant, tout le monde reconnaît l’exactitude et
la véracité de ce que nous disions, mais certains membres influents au sein de
ce Conseil ne veulent toujours pas les admettre. Ils ont tort et leur politique
à l’égard de la Syrie est injuste. C’est une guerre de la terreur menée contre
mon pays.
2. Puis-je vous interroger sur « la liste secrète » que la Commission
d’enquête a établie et qu’elle pense publier plus tard ? Craignez-vous que des
membres du gouvernement, de l’Armée et même le Président
syrien, figurent sur cette liste ?
Toute cette propagande cherche à diaboliser le gouvernement syrien et à
tromper l’opinion publique. Ils l’ont fait par le passé et ils referont dans le
futur. Quelle sorte de crédibilité peut-on accorder à de tels documents,
lorsqu’on sait que le Haut- Commissaire aux droits de l’homme est jordanien, que
le président de l’ Alliance des civilisations des Nations unies
[5] est qatari, que le Centre des Nations Unies pour la lutte
contre le terrorisme est financé par l’Arabie saoudite, et que le prochain
Sommet humanitaire mondial aura lieu en Turquie [6] ?
Quelle sorte de crédibilité peut-on accorder à cette organisation lorsqu’on
offre des postes aussi importants et cruciaux à des personnes dont les
gouvernements sont profondément impliqués dans les massacres du peuple syrien ?
Voilà ce que je peux vous répondre.
3. La Commission d’enquête a formulé des accusations graves contre le
gouvernement syrien, parlant de dizaines de milliers de détenus soumis à la
torture, selon ses dires. Elle aurait même dressé des listes de responsables.
Quelle est la réponse du gouvernement syrien à toutes ces
accusations ?
Ces accusations ne sont pas nouvelles et sont essentiellement destinées à
manipuler l’opinion publique… [Ici, la question étant posée en arabe,
M. Al-Jaafari à sans doute juger bon de reprendre les arguments du communiqué
ci-dessus, avant de poursuivre, NdT]
[…]
La Commission dit avoir puisé ses témoignages dans les camps de Jordanie, de
Turquie et du Liban ; lesquels se trouvent sous la garde des services du
renseignement de ces pays qui les manipulent et décident de leur destin. Mais,
pour nous, toutes les victimes sont syriennes et la Commission ne cherche pas à
aider le gouvernement syrien à affronter la guerre contre les terroristes
arrivés de tous les coins de la terre, pour s’en prendre au Gouvernement, à
l’État et au Peuple syrien.
La question est : qui les amènent en Syrie ? Ne viennent-ils pas pour
répondre à l’appel du wahhabisme salafiste et takfiri, désormais surnommé
Daech ? Leur structure mentale est d’origine saoudienne, fondée sur les
enseignements et la pensée du wahhabisme saoudien. On nous dit qu’ils coupent
les têtes, flagellent les hommes et lapident les femmes. N’est-ce pas là des
pratiques saoudiennes toujours d’actualité ?
Par conséquent, tous ces rapports et tout ce que certains racontent, devant
le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l’Homme, est destiné à
préparer le terrain propice à une escalade contre le Gouvernement syrien,
maintenant que l’Armée syrienne avance aussi bien sur le front sud que sur le
front nord. Et, naturellement, il leur faut agiter les instances jordaniennes
car la bataille dans le Sud est alimentée par la Jordanie, tandis que la
bataille dans le nord est alimentée par la Turquie.
Le problème est donc politique. Nous aurions aimé qu’il s’agisse d’une
question humanitaire, de droits de l’homme ou de droit international. Dans ces
cas, la Communauté internationale nous aurait sans doute aidés puisque nous
sommes autant concernés par ces droits. Des droits que tout le monde est censé
respecter, mais dont le respect n’est pas à sens unique. En l’occurrence,
quelqu’un pourrait-il nous convaincre qu’autoriser la Jordanie, la Turquie et
l’Arabie saoudite à entraîner des terroristes sur leur sol avant de les expédier
en Syrie, relève du droit international ? Comment peut-on concilier ceci et
cela ?
4. Il existe des rapports indiquant que des sommes considérables ont
été allouées aux refugiés. Pouvez-vous nous en parler, ainsi que des terroristes
rebelles en provenance de Jordanie, notamment du camp
« Al-Zaatari » ?
Des milliards de dollars ont été collectés par les États du Golfe et les
dites ONG de charité, mais aussi par des Services de renseignement, avant d’être
expédiés dans les camps et en territoire syrien, pour promouvoir les actes
terroristes contre le Gouvernement syrien.
Lequel gouvernement n’a cessé d’inviter les Syriens de ces camps à revenir au
pays pour qu’il puisse assumer ses responsabilités, exactement comme nous le
faisons pour des millions de Syriens déplacés à l’intérieur de notre territoire.
Nous ne voulons pas voir un seul Syrien vivre dans ces lieux de viols, de
mariages précoces des fillettes et d’entraînement pour terroristes. Ce sont des
paradis pour recruter, entraîner et parrainer, non seulement des éléments
syriens, mais aussi des éléments venant du monde entier. C’est donc un problème
de la plus haute importance.
Nous ne devons pas nous focaliser uniquement sur la forme. Nous devrions nous
intéresser aux motivations des États du Golfe et de ceux qui, comme les USA et
l’UE, imposent des sanctions contre le peuple syrien. S’ils étaient vraiment
intéressés par le bien-être de ce peuple, ils agiraient autrement.
Par conséquent, tous ces gouvernements font partie intégrante du problème.
Ils ne sont d’aucune aide pour résoudre la situation humanitaire. Ils ont créé
cette situation et cherchent à égarer l’opinion publique sur ce qui se passe
réellement en Syrie.
5. Quel serait, selon vous, l’impact de ces actions menées par la
Commission d’enquête sur l’initiative positive de De Mistura consistant à
obtenir un cessez-le-feu à Alep ?
Nous attendons que M. De Mistura revienne à Damas pour informer le
gouvernement syrien sur ses consultations avec les membres du Conseil de
sécurité. À partir de là, nous aviserons.
6. Que pensez-vous du Sommet mondial contre le terrorisme qui s’est
tenu il y a quelques jours à Washington ?
Un, nous n’avons pas été invités à y participer. Deux, il a eu lieu en dehors
du cadre des Nations Unies. Trois, il n’a réuni que certains États membres. Il
n’était donc ni mondial, ni universel. Il s’agit d’une conférence semblable à
tant d’autres, telle celle concernant les armes nucléaires par exemple.
Malheureusement, l’administration US n’a invité que certains gouvernements,
alors que la Syrie, l’Irak et d’autres pays, sont principalement concernés par
le terrorisme qui s’est propagé dans le monde. Ce contre quoi nous n’avons cessé
de prévenir depuis 2011 au sein même de ce Conseil, notamment en qui concerne
les activités terroristes en Libye et le fait qu’un grand nombre de ces armes
s’est finalement retrouvé en Syrie, en passant par le Liban et la Turquie ; ce
qui a été confirmé par un rapport spécial du Sous-comité contre le
terrorisme.
Aujourd’hui, tous disent qu’en Libye c’est le chaos et qu’il est nécessaire
de traiter ce problème. Nous, nous n’avons cessé de le dire depuis quatre ans.
Résultat : des milliers de nos citoyens tués par ces armes en provenance de
Libye et par des terroristes, qualifiés de jihadistes, arrivés de Libye et de
Tunisie via le Liban et la Turquie.
Dr Bachar al-Jaafari
Délégué permanent de la Syrie auprès des Nations Unies
20/02/2015
Sources : Conférence de presse du Dr Bachar al-Jaafari [20
février 2015]
http://webtv.un.org/watch/bashar-ja%E2%80%99afari-syria-on-syria-media-stakeout-20-february-2015/4072766853001
[durée : 24’21’’]
https://www.youtube.com/watch?v=46_bCGtOlhA& ;app=desktop
[durée : 19’51’’]
Transcription et traduction par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1] Mark Lyall Grant (United Kindom) and commissioners from the Independent
International Commission of Inquiry on Syria on the human rights situation in
Syria - Media Stakeout (20 February 2015) http://webtv.un.org/media/watch/mark-lyall-grant-united-kindom-and-commissioners-from-the-independent-international-commission-of-inquiry-on-syria-on-the-human-rights-situation-in-syria-media-stakeout-20-february-2015/4072716546001
[2] Report of the Independent International Commission of Inquiry on the
Syrian Arab Republic http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session28/Documents/A.HRC.28.69_E.doc
[3] U.N. Panel Threatens to Name Those It Accuses of War Crimes in Syria
[4] Les Etats-Unis et la Turquie d’accord pour former et équiper des rebelles
syriens.
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/02/17/les-etats-unis-et-la-turquie-d-accord-pour-former-et-equiper-des-rebelles-syriens_4578429_3218.html
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/02/17/les-etats-unis-et-la-turquie-d-accord-pour-former-et-equiper-des-rebelles-syriens_4578429_3218.html
[5] L’Alliance des civilisations des Nations unies http://fr.wikipedia.org/wiki/Alliance_des_civilisations
[6] La Turquie accueillera le tout premier Sommet Humanitaire Mondial au
cours de la première moitié de l’année 2016. http://www.mfa.gov.tr/le-sommet-humanitaire-mondial.fr.mfa