Amelie Canonne
Médiapart
Médiapart
La Commissaire européenne Cecilia Malmström avait promis un nouveau départ pour les négociations d'un accord transatlantique de commerce et d'investissement - TAFTA. Mais à la veille de l'ouverture du 8ème cycle de négociations, qui se tient à Bruxelles toute cette semaine, les manœuvres d'apaisement et les pseudo-réformes engagées ces dernières semaines ne fournissent aucune réponse aux innombrables critiques remontant de toute l'UE. Au contraire, les promoteurs de l'accord - DG Commerce, leaders politiques, lobbies industriels - s'affairent pour le parer des plus séduisants atours. Efforts qui équivalent, faute d'une remise en cause substantielle du mandat initial et selon la gracieuse expression de nos collègues britanniques, à « tartiner de rouge à lèvres un cochon » : l'Accord transatlantique reste un danger majeur pour les peuples et la planète.
Alors que les négociations de l'accord transatlantique entrent dans leur troisième année, le cycle de négociations qui se tient à partir du 2 février à Bruxelles sera le premier de la Commissaire européenne Cecilia Malmström. L'occasion du nouveau départ promis lors de sa prise de fonction ? Difficile à croire à l'analyse des événements de ces dernières semaines.
Pour commencer l'année, la DG Commerce a fait mine, avec tambours et trompettes tout de même, de rendre public un certain nombre des textes en négociation. Un rapide coup d'œil aux documents publiés montre cependant que les textes en question sont au mieux obsolètes depuis près d'un an, et que l'essentiel de ces documents correspond en réalité à des fiches d'informations expliquant le contenu de chaque thématique en discussion, sans le moindre renseignement sur l'avancée des pourparlers.
Quelques jours plus tard, la même DG Commerce a étouffé le résultat désastreux de la consultation publique sur l'investissement lors de la publication de ses résultats, le 13 janvier. Tout en admettant le caractère massif du rejet des clauses de protection des droits des entreprises dans le futur accord, elle n'en maintient pas moins les propositions de réforme exclusivement cosmétiques déroulées lors de la consultation, et dont le résultat même aurait dû signer le retrait pur et simple.
Alors que 97% des réponses à la consultation ont clairement exprimé un refus du principe même de l'arbitrage et de l'octroi de droits spéciaux aux entreprises étrangères, les collaborateurs de C. Malmström affirment pourtant tranquillement qu'ils poursuivront leurs consultations et leur réflexion dans quatre directions : la protection de la capacité publique à réguler, l'établissement et le fonctionnement des panels d'arbitrages, l'articulation entre systèmes juridiques nationaux et règles internationales d'arbitrage et enfin les problématiques liées à la création de mécanismes d'appel et de révision des décisions.
Clou du spectacle : la DG Commerce a annoncé cette semaine que la Commission avait proposé au Conseil la signature de la Convention des Nations unies sur les règles de transparence dans les traités d'investissement, adoptée par l'Assemblée générale des NU en décembre dernier. La convention devrait alors s'appliquer à tous les accords bilatéraux d'investissement liant un des 28 ou l'UE elle-même à un pays tiers. Ces règles prévoient notamment l'accès du public aux documents et aux audiences, ainsi que la possibilité d'intervention de parties tiers dans la procédure.
Mais d'une part ce ne sera pas le cas lorsque les parties au différend choisiront la confidentialité. D'autre part, une procédure est-elle plus juste au seul motif qu'elle est « transparente » ? L'invocation de la transparence administrative espère surtout aider à relégitimer un système de gouvernement et de décision qui suscite la défiance des citoyens, elle n'augure en rien d'une plus grande justice. Consolider un ensemble de privilèges juridiques pour les investisseurs peut très bien s'accommoder du regard du public, qui n'aura de toute façon aucun moyen de l'empêcher tant qu'aucune administration publique, et donc aucun contrôle démocratique, n'existera pour organiser l'arbitrage d'investissement.
Le 8ème cycle de négociations transatlantiques s'ouvre donc demain dans un contexte de manœuvres et de brouillages multiformes.
Rien qu'en France, le Secrétaire d'État au commerce extérieur, Matthias Fekl, qui affirmait très récemment sa détermination à refuser un mécanisme d'arbitrage dans l'accord, semble désormais prêt à l'accepter au prix de quelques aménagements techniques dans les domaines identifiés par la DG Commerce. Paris travaille de concert avec Berlin dans ce dossier et tous deux tiennent le même double langage depuis des mois, soufflant le chaud et le froid en fonction de leurs interlocuteurs et du moment. Notons que c'est également M. Fekl qui, il y a quelques jours, a renvoyé aux calendes grecques la proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales françaises à l'égard de leurs filiales à l'étranger, alors que le gouvernement en avait officiellement fait un cheval de bataille en 2012.
Dans un autre dossier, selon des sources bruxelloises, il semble que la France a émis une « réserve d'examen » sur le texte révélé au public (par une fuite fin décembre) concernant le volet « Coopération réglementaire » des négociations. Pourquoi exactement, et assortie de quelles propositions alternatives ? Même les organisations de la société civile françaises membres du Comité stratégique formé sous l'égide de M. Fekl n'en savent rien...
Et c'est en l'occurrence sur ce volet que portera ce 8ème cycle de négociations : les discussions sur l'investissement sont gelées, et la question de l'accès au marché (autrement dit l'abaissement des droits de douane) est en « stand by » depuis que l'Union européenne a renvoyé l'offre américaine qu'elle jugeait notoirement insuffisante.
Or c'est un aspect capital, et très délicat des pourparlers. C'est en effet dans ce cadre que sont discutés les processus et les méthodes de convergence et/ou de reconnaissance mutuelle des normes de production, de consommation et de commercialisation en vigueur de part et d'autre de l'Atlantique. Or ces normes sont vues par les promoteurs du traité comme des entraves au commerce, dans une multitude de domaines. L'élevage animal et l'agro-alimentaire, les produits cosmétiques, la sécurité automobile, les fibres vestimentaires, la sécurité bancaire ou encore l'usage des bio-technologies en général, en sont quelques exemples qui préoccupent vivement les citoyens et les consommateurs, et qui devraient théoriquement faire l'objet de débats publics ouverts, associant toutes les parties intéressées et compétentes, au premier rang desquelles les élus.
Mais point de débat public loin s'en faut, ni maintenant ni même plus tard : les négociateurs américains et européens s'entendent en effet sur la perspective de créer un Conseil de coopération réglementaire qui supervisera, à long terme, le débat permanent sur la mise en cohérence normative et sur ses modalités. Les instances élues à Strasbourg et dans les États membres pourront être consultées en bout de course, mais sans certitude puisque l'affaire est envisagée de façon purement technique et experte.
Le Parlement européen poursuit quant à lui ses travaux en vue de voter, en mai prochain, une résolution sur l'Accord transatlantique, qui énoncera sa vision de l'accord. Cette résolution n'a pas de valeur contraignante, mais elle revêt une symbolique politique forte, en ce qu'elle pourrait préfigurer le vote final de ratification du traité. Les commissions du Parlement préparent actuellement leurs positions respectives (une « opinion » dans le jargon strasbourgeois) qui seront remises au Président de la Commission du Commerce international, Bernd Lange, en charge de rédiger un texte de synthèse à partir de celles-ci. Mais les sociaux-démocrates européens, dont les voix détermineront l'issue du scrutin sachant que la droite soutient le traité et que les formations de gauche (GUE et Verts) y sont opposées, sont à la fois divisés et confus sur leur positionnement. Tout en répétant publiquement qu'ils s'opposeront à un mécanisme d'arbitrage dans l'accord, une partie des sociaux-démocrates semble prête au compromis, et soutient les gouvernements français et allemand dans leur double-jeu.
Sans aucun doute les mobilisations citoyennes et le travail des sociétés civiles européennes ont fragilisé un processus de négociation qui se voulait au départ rapide et secret. C'est un succès incontestable, alors que l'austérité budgétaire, le dumping social et la constitution d'un régime privilégié pour les entreprises forment l'indépassable horizon des politiques économiques occidentales depuis 20 ans. Dans plusieurs pays (Allemagne, Grande-Bretagne notamment), le débat public fait rage et redonne aux citoyens l'espoir de peser enfin dans les choix politiques.
La deuxième manche démarre donc maintenant, et nous sommes bien résolus à la gagner.
Alors que les négociations de l'accord transatlantique entrent dans leur troisième année, le cycle de négociations qui se tient à partir du 2 février à Bruxelles sera le premier de la Commissaire européenne Cecilia Malmström. L'occasion du nouveau départ promis lors de sa prise de fonction ? Difficile à croire à l'analyse des événements de ces dernières semaines.
Pour commencer l'année, la DG Commerce a fait mine, avec tambours et trompettes tout de même, de rendre public un certain nombre des textes en négociation. Un rapide coup d'œil aux documents publiés montre cependant que les textes en question sont au mieux obsolètes depuis près d'un an, et que l'essentiel de ces documents correspond en réalité à des fiches d'informations expliquant le contenu de chaque thématique en discussion, sans le moindre renseignement sur l'avancée des pourparlers.
Quelques jours plus tard, la même DG Commerce a étouffé le résultat désastreux de la consultation publique sur l'investissement lors de la publication de ses résultats, le 13 janvier. Tout en admettant le caractère massif du rejet des clauses de protection des droits des entreprises dans le futur accord, elle n'en maintient pas moins les propositions de réforme exclusivement cosmétiques déroulées lors de la consultation, et dont le résultat même aurait dû signer le retrait pur et simple.
Alors que 97% des réponses à la consultation ont clairement exprimé un refus du principe même de l'arbitrage et de l'octroi de droits spéciaux aux entreprises étrangères, les collaborateurs de C. Malmström affirment pourtant tranquillement qu'ils poursuivront leurs consultations et leur réflexion dans quatre directions : la protection de la capacité publique à réguler, l'établissement et le fonctionnement des panels d'arbitrages, l'articulation entre systèmes juridiques nationaux et règles internationales d'arbitrage et enfin les problématiques liées à la création de mécanismes d'appel et de révision des décisions.
Clou du spectacle : la DG Commerce a annoncé cette semaine que la Commission avait proposé au Conseil la signature de la Convention des Nations unies sur les règles de transparence dans les traités d'investissement, adoptée par l'Assemblée générale des NU en décembre dernier. La convention devrait alors s'appliquer à tous les accords bilatéraux d'investissement liant un des 28 ou l'UE elle-même à un pays tiers. Ces règles prévoient notamment l'accès du public aux documents et aux audiences, ainsi que la possibilité d'intervention de parties tiers dans la procédure.
Mais d'une part ce ne sera pas le cas lorsque les parties au différend choisiront la confidentialité. D'autre part, une procédure est-elle plus juste au seul motif qu'elle est « transparente » ? L'invocation de la transparence administrative espère surtout aider à relégitimer un système de gouvernement et de décision qui suscite la défiance des citoyens, elle n'augure en rien d'une plus grande justice. Consolider un ensemble de privilèges juridiques pour les investisseurs peut très bien s'accommoder du regard du public, qui n'aura de toute façon aucun moyen de l'empêcher tant qu'aucune administration publique, et donc aucun contrôle démocratique, n'existera pour organiser l'arbitrage d'investissement.
Le 8ème cycle de négociations transatlantiques s'ouvre donc demain dans un contexte de manœuvres et de brouillages multiformes.
Rien qu'en France, le Secrétaire d'État au commerce extérieur, Matthias Fekl, qui affirmait très récemment sa détermination à refuser un mécanisme d'arbitrage dans l'accord, semble désormais prêt à l'accepter au prix de quelques aménagements techniques dans les domaines identifiés par la DG Commerce. Paris travaille de concert avec Berlin dans ce dossier et tous deux tiennent le même double langage depuis des mois, soufflant le chaud et le froid en fonction de leurs interlocuteurs et du moment. Notons que c'est également M. Fekl qui, il y a quelques jours, a renvoyé aux calendes grecques la proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales françaises à l'égard de leurs filiales à l'étranger, alors que le gouvernement en avait officiellement fait un cheval de bataille en 2012.
Dans un autre dossier, selon des sources bruxelloises, il semble que la France a émis une « réserve d'examen » sur le texte révélé au public (par une fuite fin décembre) concernant le volet « Coopération réglementaire » des négociations. Pourquoi exactement, et assortie de quelles propositions alternatives ? Même les organisations de la société civile françaises membres du Comité stratégique formé sous l'égide de M. Fekl n'en savent rien...
Et c'est en l'occurrence sur ce volet que portera ce 8ème cycle de négociations : les discussions sur l'investissement sont gelées, et la question de l'accès au marché (autrement dit l'abaissement des droits de douane) est en « stand by » depuis que l'Union européenne a renvoyé l'offre américaine qu'elle jugeait notoirement insuffisante.
Or c'est un aspect capital, et très délicat des pourparlers. C'est en effet dans ce cadre que sont discutés les processus et les méthodes de convergence et/ou de reconnaissance mutuelle des normes de production, de consommation et de commercialisation en vigueur de part et d'autre de l'Atlantique. Or ces normes sont vues par les promoteurs du traité comme des entraves au commerce, dans une multitude de domaines. L'élevage animal et l'agro-alimentaire, les produits cosmétiques, la sécurité automobile, les fibres vestimentaires, la sécurité bancaire ou encore l'usage des bio-technologies en général, en sont quelques exemples qui préoccupent vivement les citoyens et les consommateurs, et qui devraient théoriquement faire l'objet de débats publics ouverts, associant toutes les parties intéressées et compétentes, au premier rang desquelles les élus.
Mais point de débat public loin s'en faut, ni maintenant ni même plus tard : les négociateurs américains et européens s'entendent en effet sur la perspective de créer un Conseil de coopération réglementaire qui supervisera, à long terme, le débat permanent sur la mise en cohérence normative et sur ses modalités. Les instances élues à Strasbourg et dans les États membres pourront être consultées en bout de course, mais sans certitude puisque l'affaire est envisagée de façon purement technique et experte.
Le Parlement européen poursuit quant à lui ses travaux en vue de voter, en mai prochain, une résolution sur l'Accord transatlantique, qui énoncera sa vision de l'accord. Cette résolution n'a pas de valeur contraignante, mais elle revêt une symbolique politique forte, en ce qu'elle pourrait préfigurer le vote final de ratification du traité. Les commissions du Parlement préparent actuellement leurs positions respectives (une « opinion » dans le jargon strasbourgeois) qui seront remises au Président de la Commission du Commerce international, Bernd Lange, en charge de rédiger un texte de synthèse à partir de celles-ci. Mais les sociaux-démocrates européens, dont les voix détermineront l'issue du scrutin sachant que la droite soutient le traité et que les formations de gauche (GUE et Verts) y sont opposées, sont à la fois divisés et confus sur leur positionnement. Tout en répétant publiquement qu'ils s'opposeront à un mécanisme d'arbitrage dans l'accord, une partie des sociaux-démocrates semble prête au compromis, et soutient les gouvernements français et allemand dans leur double-jeu.
Sans aucun doute les mobilisations citoyennes et le travail des sociétés civiles européennes ont fragilisé un processus de négociation qui se voulait au départ rapide et secret. C'est un succès incontestable, alors que l'austérité budgétaire, le dumping social et la constitution d'un régime privilégié pour les entreprises forment l'indépassable horizon des politiques économiques occidentales depuis 20 ans. Dans plusieurs pays (Allemagne, Grande-Bretagne notamment), le débat public fait rage et redonne aux citoyens l'espoir de peser enfin dans les choix politiques.
La deuxième manche démarre donc maintenant, et nous sommes bien résolus à la gagner.