Maïté PINERO
Le rétablissement des relations diplomatiques sera un long processus ont
précisé les présidents Castro et Obama dans leurs annonces simultanées du 17
décembre dernier. Cependant la dynamique est lancée et s’est confirmée durant
les deux premières rencontres qui ont eu lieu en janvier à La Havane, la semaine
dernière à Washington.
Le dégel ne concerne pas seulement les relations Cuba-États-Unis. Si
empressée à rompre les relations diplomatiques quand les États-Unis durcissaient
l’embargo, l’Union Européenne et ses gouvernants se précipitent dans la
compétition du marché. En décembre dernier, le chef de la diplomatie espagnole,
José Manuel Garcia Margallo, avait appelé l’Union à accélérer la normalisation
des relations pour ne pas perdre de terrain face à Washington, exhortant les
entreprises à ne pas perdre de terrain dans la concurrence avec leurs homologues
nord-étasuniennes. Une délégation de l’Union négocie depuis le 4 mars à La
Havane « un accord de dialogue politique et de coopération ».
La visite de François Hollande qui aura lieu le 11 mai, précédée par celles
de plusieurs ministres (Laurent Fabius, Fleur Pellerin), de délégations de
parlementaires et d’industriels, permettra-t-elle de lever les obstacles aux
relations France-Cuba ? Malgré la garantie de la Coface, les banques rechignent
à s’engager et ce sont surtout les PME qui osent investir dans l’île. Autre
sujet à l’ordre du jour, la maintenance et modernisation de la centrale
électrique qui fournit les deux tiers de l’électricité du pays. Malgré les
déclarations gouvernementales, son avenir reste incertain depuis le rachat
d’Alstom par General Electric.
De l’isolement a l’intégration
L’intense activité diplomatique que connaît l’ile est à comparer avec son
isolement à partir des années 90. Les lois Helms-Burton et Torricelli avaient
pour but d’affamer son peuple, de mettre à bas le régime. Le récit et le secret
de cette résistance restent à écrire.
C’est durant cette période que Cuba a impulsé et participé à l’intégration
latino-américaine avec la création de l’Alba (2004), de l’Unasur (2008), de la
Celac (2010 ), qui ont concrétisé l’échec du Nafta, le projet des États-Unis
visant à mettre l’ensemble du continent sous son emprise et celle de ses
multinationales. Ce que reconnaît implicitement le président Obama en énumérant
les objectifs de son changement de politique envers Cuba : « Nous allons
rénover notre leadership en Amérique latine... » Cela risque d’être mal
accueilli au prochain sommet des Amériques mais le seul fait d’y prétendre
rendait obligatoire un changement de politique avec Cuba.
Retour de la carotte et du bâton ?
Sur le fond, Washington maintient son objectif, le changement de régime à La
Havane, et n’en fait pas mystère. L’embargo a échoué : « Il a provoqué un
isolement régional et international, réduit notre capacité d’influer sur le
cours des événements dans l’hémisphère occidental et empêché l’utilisation de
toute une série de mesures que les États-Unis peuvent utiliser pour promouvoir
un changement positif à Cuba » déclare Obama le 17 décembre.
Les moyens doivent donc changer. Un seul leitmotiv « Spur change among the
people of Cuba » (impulser le changement dans le peuple cubain). Le
communiqué de presse de la Maison Blanche du 17 décembre indique : « Nos
efforts visent à favoriser l’indépendance des Cubains afin qu’ils ne
soient plus dépendants de l’État cubain. »( 1). Le 19 décembre, durant sa
conférence de presse de fin d’année, Obama enfonce encore le clou : « Ce qui est
certain c’est que nous allons nous trouver dans de meilleures conditions pour
exercer notre influence et pouvoir utiliser aussi bien la carotte que le
bâton »(2).
La carotte et le bâton, la revendication du leadership dans le continent, la
réaffirmation du « destin manifeste » du géant du nord, tous ces vieux
leitmotivs de l’ingérence, marque de la politique étrangère des administrations
américaines, se retrouvent dans les discours, les communiqués de presse, les
conférences de presse, du président en titre. Le constat d’échec de l’embargo va
de pair avec la même volonté d’ingérence et de domination.
Pénétrer la société cubaine
Devant le troisième sommet de la Celac (33 chefs d’états) tenu à la Havane le
28 janvier, Raul Castro déclare « Tout semble indiquer que l’objectif est de
fomenter une opposition politique artificielle par des moyens économiques,
politiques et les moyens de communication. »
En effet, les mesures annoncées dès le 17 décembre par l’administration
étasunienne sont marquées par cette volonté de pénétrer et travailler la société
cubaine, de renforcer son secteur privé, afin de renverser le régime.
Les exportations autorisées concernent le secteur privé, les petits paysans
et les 500 000 artisans et restaurateurs « cuentapropistas ».
L’autorisation des « remesas », envois d’argent des cubains de l’étranger à
leurs familles passe de 500 à 2000 dollars par trimestre mais sont interdites si
le destinataire est membre du parti communiste.
Les voyages entre les États-Unis et Cuba sont assouplis mais ne concernent
que douze catégories de personnes autorisées (délégations d’élus et
fonctionnaires, de journalistes, de chercheurs, artistes, sportifs, Ong etc ).
Cuba est le seul pays au monde où les Étasuniens ne peuvent voyager.
Les bateaux accostant à Cuba ne devront plus attendre six mois pour entrer
dans les ports nord-américains mais seulement si les marchandises transportées
répondent à une urgence humanitaire (médicaments, produits alimentaires).
Les banques étasuniennes pourront ouvrir des comptes à Cuba mais pas
l’inverse.
Le seul secteur qui se voit autorisé à investir ou à vendre de
l’infrastructure ou du software, hardware, applications, est celui des
communications.
Au cœur de l’embargo
Les mesures les plus dures de l’embargo sont maintenues : interdiction pour
Cuba de commercer et de détenir des comptes en dollars. Interdiction d’acheter
dans des pays tiers des produits contenant plus de 10% de composant
nord-américains, d’exporter aux États-Unis du matériel comportant du nickel ou
du sucre cubain. Sanctions aux banques et aux filiales américaines installées à
l’étranger qui passent outre.
Lors des premières réunions tenues à La Havane pour discuter de la politique
migratoire, le représentant de l’administration a souligné que rien n’allait
changer : les Cubains entrés illégalement aux EU continueront à bénéficier
automatiquement de la nationalité EU après un an et un jour de présence, étrange
régime d’exception dans un pays qui compte 11 millions de sans papiers.
Avec l’annonce des mesures d’assouplissement de l’embargo, les États-Unis ont
voulu fixer le cadre de la normalisation des relations et se présenter comme
maîtres du jeu. Dans les négociations en cours, la partie cubaine a fixé comme
principe le rétablissement de relations d’État d’égal à égal dans tous les
domaines, la liberté de chacun de choisir sa société, son système économique,
sans ingérence étrangère. Le désaccord sur ce sujet constitue le principal
obstacle.
Les discussions ont lieu au pied à pied sur tous les sujets. Quand les
États-Unis prônent la présence de la société civile lors du sommet des
Amériques, prévu en avril au Panama, ce qui signifie dans leur bouche une place
d’honneur à Yoani Sanchez, la partie cubaine abonde dans ce sens avec la longue
liste des syndicats, associations de paysans sans terre, de disparus sous les
dictatures, organisations nord-américaines jusqu’aux manifestants de Wall
Street.
Les premières mesures d’allègement vont elles aussi être discutées entre les
deux parties. Des délégations du département du Trésor et du Commerce sont
attendues à la Havane pour en expliquer les termes et les modalités, la partie
cubaine se chargeant d’expliquer les lois, règles et mode d’emploi de sa société
et de son système économique.
Modifier les apparences
Les États-Unis sont pressés de modifier les apparences tout en maintenant les
mesures les plus sévères de l’embargo, leur grenier à carottes. C’est ainsi que
Roberta Jacobson, la négociatrice du département d’État, a annoncé la
réouverture probable des ambassades avant la tenue du sommet des Amériques.
S’ils l’annoncent, a précisé Josefina Vidal, la négociatrice Cubaine, c’est
qu’ils ont la clef du problème.
Pour la partie cubaine, restaurer la façade n’a guère de sens si demeurent
les problèmes de fond : Cuba est toujours inscrit sur la liste des États
terroristes, sa représentation à Washington qui ne peut accéder au système
bancaire n’a pas les moyens de fonctionner. Reste encore à se mettre d’accord
sur les interprétations respectives de la convention de Vienne qui fixe les
règles diplomatiques et le comportement des diplomates en poste.
Du monde au portillon
Il n’est au demeurant pas sûr que l’administration puisse maintenir le
scénario prévu en même temps que le contrôle strict de sa réserve de carottes.
L’empressement de l’Union européenne à liquider ses arriérés de politesse avec
la Havane risque aussi de précipiter les choses. Aux États-Unis, l’opinion
publique est largement acquise aux rétablissement des relations entre les deux
pays. Les grandes entreprises se pressent au portillon, leurs lobbies
travaillent au sénat et à la Chambre dominée par les républicains hostiles à la
normalisation.
La coalition agricole des États du Sud qui vient d’envoyer une délégation à
Cuba a inspiré le dépôt au sénat d’un projet de loi en faveur du rétablissement
des relations commerciales réciproques. Plusieurs autres sont déjà déposés ou en
préparation, du jamais vu, et certains pourraient disposer d’une majorité simple
au sénat. Le gouverneur de New-York a annoncé sa visite en avril. Les compagnies
aériennes se disent prêtes à rétablir les lignes. Et on a pu voir apparaître sur
le site d’Amazon la flèche d’un « envoi à Cuba. » Aussitôt supprimé, il n’en
indique pas moins que chacun se prépare. Le New York Times poursuit sa
campagne de presse qui a précédé les annonces du 17 décembre et plaide pour des
relations touristiques normales. Les firmes hospitalières ont fait part de leur
intérêt à développer le tourisme de santé avec les hôpitaux cubains.
Les pouvoirs du Président
Même si le congrès est seul habilité à supprimer l’embargo les pouvoirs du
président Obama lui permettent de le vider de son contenu. Les lois Helms-Burton
et Torricelli qui ne peuvent être levées que par le Congrès portent sur quatre
aspects : interdiction aux filiales à l’étranger de commercer avec Cuba,
interdiction aux entreprises nord-américaines de commercer avec des entreprises
cubaines nationalisées par la révolution, interdiction aux citoyens
nord-américains de faire du tourisme à Cuba, obligation pour Cuba de payer en
liquide et à l’avance l’achat de produits agricoles
En revanche Barack Obama peut utiliser les licences pour permettre à l’île
d’utiliser le dollar et le système bancaire étasunien dans ses transactions,
d’ouvrir des comptes aux États-Unis, d’accéder aux crédits des institutions
financières internationales.
En matière de santé, Il peut autoriser l’exportation de médicaments et
d’équipements pour la biotechnologie cubaine et permettre à celle ci de
commercialiser ses produits aux États-Unis, autoriser les Étasuniens à se
soigner à Cuba.
En matière de commerce, il peut permettre les achats de Cuba, dans des pays
tiers, de marchandises comportant plus de 10% de composants étasuniens et
autoriser l’importation de marchandises de pays tiers comportant du nickel ou du
sucre cubain. Le rétablissement des lignes aériennes et des lignes de ferry dans
les deux sens peuvent aussi s’effectuer grâce à des licences.
Sous la pression internationale, celle de l’opinion publique étasunienne, du
monde patronal et de ses lobbies, un effet boule de neige peut-il se produire ?
A Cuba, la presse, les blogs, commentent chaque jour les dernières mesures et
négociations, les visites des délégations officielles étrangères. Le débat bat
son plein et la société se prépare à la normalisation des relations avec le
voisin du nord. Un défi, « une sorte de Moncada » écrivent les commentateurs,
pour la génération qui est née, a grandi dans le blocus et ….l’a fait
échouer.
Maïté PINERO
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