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Les trois grandes groupes de la coalition favorable à Jean-Claude Juncker se sont mis d’accord pour proposer la création d’une commission spéciale. Un dispositif qui donne moins de pouvoirs pour enquêter sur l’évasion fiscale des entreprises en Europe.
La toute puissante conférence des présidents du Parlement européen a décidé jeudi 5 février qu’il n’y aurait pas de commission d’enquête sur le dossier des Luxleaks. Une décision surprenante alors que la demande d’ouverture de cette commission d’enquête sur les pratiques fiscales du Luxembourg avait été signée par suffisamment d’eurodéputés, soit 188 d’entre eux.
L’indépendance des services du Parlement européen en question
Les services juridiques du Parlement européen avaient recommandé, il y a 48 h, aux présidents de groupe, de refuser la création d’une telle commission en estimant que la proposition était mal ficelée.
Les experts jugeaient que la proposition de création de commission d’enquête omettait de préciser l’objet de l’enquête, et ne fournissait pas suffisamment d’éléments pour identifier clairement les infractions et les cas de mauvaise administration allégués. Un argument qualifié d’argutie juridique par les Verts, qui estiment qu’un autre expert aurait pu dire l’inverse. « Avec de tels arguments, le service juridique pourrait interdire l’ouverture de toute commission d’enquête » regrette l’eurodéputé Vert belge Philippe Lamberts.
L’argument juridique a permis au président du Parlement européen, Martin Schulz, d’éviter de présenter la proposition en session plénière. A la place, la conférence des présidents a proposé que la plénière se prononce sur la création d’une commission spéciale, une question qui devrait être soumise au vote la semaine prochaine.
Quand les signataires se retirent
La demande de création d’une commission d’enquête avait été lancée par le groupe des Verts, avant d’être soutenue par la gauche radicale et d’un certain nombre de députés européens de l’ensemble de tous bords politiques.
Au total, 194 députés avaient initialement signé la demande d’ouverture de cette enquête. Mais certains élus ont ensuite retiré leur signature : de 192 début janvier, il ne restait plus que 188 signatures le 5 février.
« Les membres du PPE ont été la proie de fortes pressions de la part de leur parti pour qu’ils retirent leur signature, et la plupart l’ont fait » constate une source au Parlement européen.
Parmi eux, le député européen Jérôme Lavrilleux, qui reste membre du PPE mais n’est plus membre de l’UMP, ce qui le place dans une position délicate. D’autant que le Parlement européen doit se prononcer prochainement sur la demande de levée de son immunité parlementaire
« La conférence des présidents a décidé à la majorité qu’une commission spéciale aurait plus de pouvoirs et serait plus adaptées à traiter le sujet » a de son côté expliqué Martin Schulz, le président du Parlement européen, lors d’un point presse, tout en rappelant que le Parlement avait l’expérience des deux types de commission et qu’aucune des deux ne posait problème.
Des commissions d’enquête rarissimes
Les commissions d’enquête sont en fait très rares, puisqu’il n’y en a eu que 3 depuis que le Parlement européen existe, dont celle sur la vache folle, alors que les commissions spéciales sont légion.
En 1996, le Parlement européen avait déjà refusé la création d’une commission d’enquête à propos du scandale d’Echelon, un système d’interception des communications mis en place par les États-Unis et d’autres pays anglo-saxons.
Compétences réduites mais un champ d’enquête élargi pour la commission spéciale
Par rapport à une commission d’enquête, une commission spéciale a moins de pouvoir, mais peut se pencher sur des sujets plus larges ; notamment, elle se penchera sur les rescrits fiscaux conclus par les pays ciblés comme le Luxembourg, les Pays-Bas ou l’Irlande dans le passé et dans le présent.
Mais les deux types de commission n’ont pas les mêmes droits d’accès aux documents nationaux : le commission d’enquête aurait eu accès à tous les documents nationaux, la commission spéciale n’aura accès qu’aux documents européens.
« Je suis très optimiste sur le fait qu’une commission spéciale puisse apporter de vraies améliorations » a estimé le président du Parlement européen.
Les Verts furieux
Les Verts et la gauche radicale se sont montrés très frustrés de cette décision, notamment le Vert belge Philippe Lamberts.
« Nous nous sommes battus, ça a été une longue bataille, parce que la commission d’enquête est l’outil le plus fort contre les problèmes administratifs en UE » a expliqué Philippe Lamberts, estimant que les trois principaux groupes du Parlement européen se sont mis d’accord contre la minorité.
« Les trois grands groupes ne voulaient pas donner aux forces minoritaires ce qu’ils voulaient » a assuré Philippe Lamberts.
« Je suis très déçu de ce résultat. Je suis furieux que le droit des minorités au sein d’un Parlement européen soit bafoué à ce point. C’est une agression envers la démocratie européenne ! » s’est exclamé Sven Giegold, élu dans le groupe des Verts en Allemagne.
RÉACTIONS
- «Le Groupe PPE est déterminé à agir pour garantir l’équité et la transparence au niveau fiscal en Europe », a déclaré Manfred Weber, président du Groupe PPE au Parlement européen, à la suite de la décision prise aujourd’hui par les présidents de groupes politiques au Parlement européen, de mettre en place une commission spéciale chargée de rédiger un rapport d’enquête sur l’équité fiscale en Europe.
- « La délégation socialiste française avait soutenu et s’était mobilisée pour la création d’une commission d’enquête » rappelle Pervenche Berès.
- « Désormais, nous allons déployer toute notre énergie pour avancer avec les moyens en place en matière fiscale car l’urgence est là ; les chantiers sont nombreux : fiscalité du numérique, taxe sur les transactions financières, impôt sur les sociétés, reporting pays par pays, etc. Avec les moyens à notre disposition, nous ferons notre travail comme nous l’avons toujours fait contre l’évasion fiscale » estime l’eurodéputée.
- «L’Europe donne l’impression qu’elle a des choses à cacher. Ce n’est absolument pas un bon signal ! » estime Hugues Bayet du PS belge,Len charge des affaires économiques au Parlement européen.
Source : EurActive