Jean
ORTIZ
L’universitaire Jeyny Gonzalez Tabarez, de l’Université centrale du
Venezuela, spécialiste des langues des « peuples natifs » a croisé, pendant son
séjour au Festival CulturAmérica, son expérience avec celle des écoles en langue
basque (Ikastola), et des écoles en langue occitane (Calandretas).
C’est la première fois que le Festival latino-américain de Pau abordait la
thématique du plurilinguisme. L’identité (mot à la mode), la relation à
soi-même, n’est pas statique, figée ; à la fois elle s’hérite et elle se
construit tous les jours ; elle peut être la meilleure comme la pire des
choses : le repli identitaire, la peur de l’autre, le communautarisme. Si les
racines sont indispensables, les feuilles, les branches, les fleurs qu’elles
donnent, le sont largement autant.
Le plurilinguisme s’inscrit dans ces problématiques. Et il ne s’agit pas que
de racines et d’identité, mais également d’ouverture sur les autres et sur cet
« autre soi en soi-même » ; au bout du bout : d’une autre culture. S’enrichir de
l’autre pour être soi-même, se mélanger, se métisser, être plusieurs en même
temps, c’est l’exact contraire du racisme, de l’individualisme, c’est respecter,
comprendre, intégrer la(les) différence(s), c’est se délecter, se nourrir, de
sons et de mots, de cosmovisions, de conceptions du monde, pluriels.
Une langue c’est aussi une fenêtre sur la biodiversité, une « occupation »
spécifique de l’espace, la relation à la terre, un système de gouvernance...
Aimer toutes les langues, fuir l’ethnocentrisme, l’uniformisation, le clonage,
rejeter l’impérialisme culturel, c’est aussi éduquer à la citoyenneté, à une
laïcité inclusive (non laïcarde), à un humanisme nouveau, à la solidarité sans
frontières, au partage, au sens critique... Et, et, et... Finalement, c’est
porter plus haut l’intelligence, la connaissance, l’humanité. C’est œuvrer,
disait « le sous-commandant » Marcos, à un monde de tous les mondes, un monde
aux couleurs de la terre...
L’universitaire Jeyny Gonzalez Tabarez, de l’Université centrale du
Venezuela, spécialiste des langues des « peuples natifs », « premiers », de
leurs langues « indigènes », « amérindiennes », a croisé , pendant son séjour au
Festival CulturAmérica, son expérience avec celle des écoles en langue basque
(Ikastola), et des écoles en langue occitane (Calandretas).
Lors du « Forum des alternatives » (à l’université de Pau), l’universitaire
de Caracas a dressé avec brio la nouvelle situation de ces langues, hier
« invisibilisées », ignorées, totalement marginalisées et même en voie de
disparition pour plusieurs d’entre elles. La disparition d’une langue constitue
une catastrophe politique, humaine et culturelle. On recense en Amérique
« latine » environ 826 peuples indigènes, 85 familles de langues autochtones,
parlées par 25 millions de personnes.
Là aussi, il y a un avant et un après la révolution bolivarienne, qui a
contribué à dépasser la « honte ethnique », et reconnu constitutionnellement, en
1999, la diversité linguistique, qui l’a rendue visible, qui a inscrit dans les
cadres légaux (un ensemble de lois), dans les textes, les « droits originels »
de la quarantaine de « peuples premiers », dont les droits linguistiques, et
même a créé un Ministère des peuples indigènes. « Indigène », en français, est
un mot sémantiquement piégé... beaucoup moins en espagnol, les contextes
historiques dans lesquels ils se sont forgés étant différents.
Le 28 juillet 2008 ; le B.O. du Vénézuéla publie la « Loi sur les langues
indigènes ». Le gouvernement de Hugo Chavez entend non seulement préserver un
patrimoine culturel, un véhicule de transmission culturelle, mais aussi
promouvoir, revitaliser l’usage les langues indigènes ; elles deviennent langues
co-officielles de la République.
L’Etat a l’obligation de fournir les moyens nécessaires à la réalisation des
politiques publiques, des objectifs de la loi ; il a créé à cet effet l’Institut
national des langues indigènes. L’enseignement des langues amérindiennes dans
tous les centres éducatifs, leur utilisation dans les médias et administrations
des régions (« habitats ») de ces peuples et communautés. Les organisations
indigènes sont impliquées dans ces structures et dans les politiques
locales.
L’universitaire vénézuélienne a insisté sur ces avancées historiques, sur le
refus de la standardisation, tout en pointant les difficultés qui restent à
dépasser : l’enseignement dans la langue, le manque d’enseignants compétents et
« hablantes » (locuteurs), une formation insuffisante... La volonté politique
demeure forte, mais il reste à approfondir la conceptualisation, à mettre au
point des stratégies adéquates, à avancer sur le terrain...
Si le cadre légal est solide, du texte à la réalité il y a la vie, les
habitudes, les mentalités, les priorités, le vieux monde qui résiste... C’est
pourquoi le gouvernement s’efforce de créer les conditions pour que les
« peuples premiers » soient eux-mêmes les principaux acteurs de la nécessaire
réappropriation linguistique. Pour « habiter le monde à partir de la
langue ».
Jean Ortiz
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http://www.legrandsoir.info/les-langues-amerindiennes-et-la-revolution.html
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