Nous y sommes. Ce mois-ci, la Banque centrale européenne commencera sa politique d’assouplissement quantitatif (Quantitative easing). On attend du quantitative easing qu’il permette de stimuler la croissance et éloigne le spectre de la déflation. Toutefois, le think-thank britannique Open Europe a publié mi-janvier une étude qui met en garde : le quantitative easing ne sauvera pas la zone euro.
Qu’est-ce que le quantitative easing ?
Quantitative easing, ce terme d’apparence technique désigne la planche à billet nouvelle génération. Les banques centrales n’impriment plus de billets au sens strict du terme mais elles injectent massivement des liquidités en rachetant des actifs financiers (principalement des obligations d’État). De telles politiques monétaires non-conventionnelles ont déjà été utilisées par la Bank of Japan, la Federal Reserve et la Bank of England pour combattre la crise.
La Bank of England estime que le QE a permis d’augmenter le PIB réel de 1,5 à 2 points. Cependant dans sa récente étude, Open Europe prévient : le Quantitative easing n’aura probablement pas une telle efficacité alors même que sa mise en place aura un lourd coût politique.
Le quantitative easing est supposé stimuler l’économie via de nombreux canaux : grâces à leurs nouvelles liquidités, les banques devraient augmenter leurs crédits aux entreprises, la hausse du prix des actifs financiers créerait également un effet richesses pour les ménages. De plus en diminuant les taux d’intérêt sur les obligations souveraines, il inciterait les investisseurs à aller sur des placements plus risqués. Enfin, en dépréciant la monnaie, il permettrait de stimuler les exportations nettes. Or, selon Open Europe, en zone euro les facultés de chacun de ces canaux de transmettre les stimuli du quantitative easing dans l’économie réelle y seraient plus faibles qu’aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.
Des effets économiques plus limités qu’au Royaume-Uni et aux États Unis…
Premièrement, Open Europe souligne que les entreprises de la zone euro sont plus dépendantes au crédit bancaire que leurs consœurs britanniques et américaines. Or, il se trouve que les banque de la zone euro sont déjà abreuvées de liquidités. (Lors du dernier LTRO, elles n’ont demandées que 150 milliards sur les 400 proposés), mais sont réticentes à augmenter leurs prêts aux entreprises du fait de la conjoncture incertaine.Dans de telles conditions il est très probable que les liquidités du QE ne sortent jamais du système bancaire.
Deuxièmement, la part des actifs détenus par des ménages est beaucoup plus faible en Europe (49%) qu’au Royaume Uni (62%) et aux Etats-Unis (82%) de fait, les effets d’une hausse du prix des actifs financiers y sera moins ressentie en terme « d’effet richesse » sur les ménages.
Troisièmement, la baisse du rendement des obligations d’Etat provoquée par le Quantitative easing est censée réorienter les investisseurs vers des actifs « plus risqués ». Ainsi, d’après une étude de la Bank of England, le QE aurait permis aux investisseurs britanniques de réorienter leurs portefeuilles vers les corporates bonds. Toutefois, du fait de la part importante des prêts bancaires dans le financement des entreprises européennes, le marché des corporates bonds est moins développé en zone euro ( 1100 milliards en zone euro contre 6000 milliards aux US), ce qui laisse moins d’opportunités aux investisseurs de se réorienter vers ces solutions d’investissements.
Quatrièmement, s’agissant de l’amélioration de la balance commerciale, Open Europe explique que la relation entre le taux de change effectif réel et les exportations nettes n’est pas si évidente que cela. En effet, la forte dépréciation du yen depuis 2012 s’est accompagnée d’une stagnation des exportations nettes. De même, en zone euro, durant les trois premiers trimestres de l’année 2014, une baisse de 8% de l’euro par rapport au dollar n’a amené que 2,7% de hausse des exportations nettes. Le think thank rappelle que la majeure partie des problèmes de la zone euro provient non pas d’un déficit extérieur avec le reste du monde, mais de déséquilibres internes. La dépréciation profitera surtout à l’Allemagne et aux Pays-Bas, accentuant la divergence au sein de la zone euro.
Cinquièmement, la majorité des liquidités risquent d’aller là où on a le moins besoin d’elle. En effet, si les achats se repartissent au pro-rata de la participation des pays au capital de la BCE, l’Allemagne devrait recevoir la plus grosse part du Quantitative easing. Or, il est peu probable que l’économie allemande soit stimulée par l’assoupissement quantitatif car elle a déjà un excédent d’épargne important.
Sixièmement, il y a une contradiction évidente entre le quantitative easing et les taux de dépôt négatif de la Banque centrale européenne. En effet, le QE aboutirait à fournir les banques en liquidités alors que les taux négatifs ont pour objectif de les dissuader d’en détenir. D’après Open Europe, la banque centrale européenne devrait remonter son taux de dépôt de -0,2% à 0%. Ce qui pourrait aboutir à une hausse du taux d’intérêt de la BCE si cette dernière veut maintenir l’écart d’un quart de point entre les deux taux.
Septièmement, le QE intervient trop tard. Les QE américains et britanniques ont permis de réduire de manière importante leurs taux d’intérêts, ce qui a stimulé la croissance économique. Or, en zone euro, le QE a déjà été pricé dans les taux d’intérêts, qui sont très bas (sans que l’on ait vu une reprise de l’activité). Si le QE devrait encore les faire baisser davantage, l’ampleur de cette baisse sera de moindre importance.
Finalement, le think-thank argue que le principal effet positif sera le signal envoyé aux investisseurs, aux marchés et aux entreprises que la banque centrale est prête à tout pour combattre la déflation et booster la croissance économique. En réalité le quantitative easing serait essentiellement une mesure de communication.
… mais un grand coût politique.
Face à ces gains économiques inférieurs aux attentes, le quantitative easing aurait un coût politique. Tout d’abord, la légalité du quantitative easing risque d’être contestée comme l’a été l’OMT (Opération Monétaire sur titres, lorsque la BCE s’est mise à racheté sous conditions la dette des États européens sur le marché secondaire). Il est très probable que la cour constitutionnel allemande soit saisie notamment par le simple fait que le QE augmente potentiellement le passif de l’Etat Allemand. Lorsqu’elle avait été saisie pour un contrôle de constitutionnalité du mécanisme européen de stabilité financière, la cour de Karlsruhe avait tracé des lignes rouges : tout accroissement du passif doit être directement approuvé par le Bundestag, un tel contrôle parlementaire serait en pratique très difficile à mettre en place dans le cadre du QE.
De plus, le Quantitative easing, risque de faire grandir l’euroscepticisme en Allemagne, diminuant la marge de manœuvre d’Angela Markel pour accepter des compromis. Cela ne serait seulement le fait de la menace du parti eurosceptique « Alternatif fur deutschland » : le 27 février, lors du vote sur la prolongation de l’aide à la Grèce, malgré le soutien de tout les partis politiques allemands, plus de 16% des députés n’ont pas votés le texte ». En un sens, la souplesse de l’Allemagne sur la politique monétaire pourrait s’accompagner d’un durcissement sur les politiques fiscales, où elle dispose dans les faits, d’un vrai véto.
Open Europe craint également que les dirigeant européen profite du QE pour relâcher leurs efforts de réforme. Par exemple, les premières mesures de la BCE pour fournir des liquidités aux système bancaire (FRFA et LTRO) ont certes permise de limiter les dégâts de la crise de 2008 en zone euro, mais elles ont laissé subsister de nombreuses firmes et banques « zombies ». Lorsque les liquidités ont été injectées, les gouvernements nationaux aurait été moins incités à faire les réformes nécessaires. Ce n’est que trois ans plus tard que l’on a vu l’émergence de l’union bancaire et les premiers (semi)crédibles stress test. Le quantitative easing comporte donc un certain risque moral. Le QE étant inconditionnel, un État pourrait alors entreprendre, de son propre chef, une politique relance budgétaire et donc mettre en danger le bilan de la BCE (Au final, seule une petite partie du QE serait mutualisée, les achats d’actifs se faisant via les banques centrales nationales).
Finalement, le Quantitative easing serait une étape supplémentaire dans la mise en retrait des leaders démocratiquement élus face aux banquiers centraux.
Lien vers l’étude d’Open Europe :
http://openeurope.org.uk/intelligence/eurozone-and-finance/ecb-quantitative-easing/