mercredi 8 avril 2015

La Grèce va t-elle opérer un « grand basculement » ? (les moutons enragés)

La Grèce va t-elle opérer un « grand basculement » ?

Le premier ministre grec Alexis Tsipras doit rencontrer aujourd’hui le président russe Vladimir Poutine. La Russie pourrait fournir les liquidités dont Athènes a besoin afin d’honorer ses échéances des prochains mois dans un contexte de blocage avec les institutions représentants les intérêts des créanciers et l’eurogroupe. Ce basculement dans l’orbite russe aurait des conséquences géopolitiques et diplomatiques majeures. Dans le même temps, des rumeurs insistantes font état des préparatifs de la banque centrale grecque pour un retour à la drachme, ce qui validerait le scénario d’une sortie du pays de la zone euro.
Si le gouvernement grec se décide à jouer la carte russe, c’est tout l’échiquier européen qui sera bouleversé, attendons-nous à des remous majeurs…

La Grèce se prépare à nationaliser son système bancaire et à introduire une monnaie parallèle

La Grèce se prépare à nationaliser son système bancaire et à introduire une monnaie parallèle, pour rester en mesure de payer ses dettes. Selon des sources au sein du parti au pouvoir SYRIZA, le gouvernement est décidé à maintenir les services publics opérationnels et à payer les pensions, plutôt que de rembourser un prêt de 458 millions d’euros qui devait être payé au FMI le 9 Avril. (Le 8 Avril, le Premier ministre Tsipras rencontre le président russe, Vladimir Poutine, à Moscou). Le pays ne dispose pas assez d’argent dans ses caisses pour payer cette échéance, et assurer en même temps le paiement des salaires et des prestations sociales dus le 14 avril, et sans aide de l’Europe, il ne pourra donc pas remplir ses obligations.
« Nous sommes un gouvernement de gauche. Si nous devons choisir entre un défaut sur ​​le FMI ou un défaut sur notre propre peuple, le choix sera vite fait. »
«Nous pourrions être contraints de suspendre nos remboursements au FMI. Cela va provoquer le chaos sur les marchés financiers et le compte à rebours ira encore plus vite », a déclaré une source du gouvernement dans le journal britannique The Telegraph.
« Ils veulent nous soumettre au rituel de l’humiliation et nous coincer. Il essayent de nous mettre dans une position où nous serons ou bien obligés de faire défaut à notre propre peuple, ou bien de signer un accord politiquement toxique pour nous. Si c’est leur objectif, ils seront obligés de se passer de nous. Nous allons fermer les banques puis nous les nationaliserons, et après nous émettrons des IOUs (investor owned utilities, des services publics détenus par des investisseurs) s’il le faut, et nous savons tous ce que cela signifie. Nous ne deviendrons pas un protectorat de l’UE. (…) Ils veulent faire de nous un exemple, et montrer qu’aucun gouvernement de la zone euro n’a plus le droit de réfléchir par lui-même. Ils ne pensent pas que nous oserons quitter la zone euro, ou que le peuple grec nous soutiendra, et ils se trompent sur ces deux points. «
Choisir de faire défaut au FMI, même pour quelques jours seulement, est une stratégie extrêmement risquée. Aucun pays développé ne l’a jamais fait (voir graphique) et même s’il devrait s’écouler une période de six semaines avant que la Grèce ne soit techniquement déclarée en faillite par le FMI, un tel processus pourrait échapper à tout contrôle et provoquer une réaction en chaîne sans précédent.
La Grèce est dans une position intenable. Même si le pays peut débourser les sommes qu’il doit au titre du mois d’avril, il doit 200 autres millions d’euros au FMI pour le 1er mai, et 763 millions supplémentaires pour le 12 mai.
Malgré un nouveau plan de 26 pages de nouvelles propositions soumis par le gouvernement de Tsipras, l’UE maintient ses exigences d’engagements concrets. On estime que les Grecs ont besoin de 19 milliards d’euros pour faire face à leurs échéances de cette année, ce qui implique que de nouvelles tensions pourraient apparaître dès cet été, et ce, même si le pays parvient à négocier un accord qui lui permettrait de subsister à ses besoins jusqu’au mois de juin.
L’ex-président de la Commission européenne, José Manuel Barroso a jugé « totalement inacceptables » les demandes de la Grèce pour obtenir des délais supplémentaires et de l’argent, lui rappelant qu’elle avait une obligation morale à l’égard des autres pays : « Nous devrions nous souvenir qu’il y a des pays plus pauvres qui prêtent de l’argent à la Grèce, donc toute demande de réduction de sa dette recueillerait sans aucun doute une fin de non recevoir de ses partenaires »
Source : Express.be

Tsipras, acteur du grand basculement ?

Alexis Tsipras, le nouveau Premier Ministre de la Grèce sera le 8 avril à Moscou. Or, le 9 avril, la Grèce doit effectuer un payement au Fond Monétaire International. Les déclarations sur ce point du Ministre des finances de la Grèce ne laissent planer aucune ambiguïté : la Grèce honorera sa créance[1]. Mais, le 14 avril, la Grèce doit simultanément émettre pour 1,4 milliards d’Euros de bons du Trésor, renouvelant la dette à court terme (ce que l’on appelle faire « rouler » la dette) et le gouvernement doit payer 1,7 milliards en pensions et salaires. Or, la Banque Centrale Européenne a « déconseillé » aux banques privées grecques d’accepter de nouveaux bons à court terme émis par l’Etat grec[2]. On voit que cette visite d’Alexis Tsipras à Moscou va donc bien au-delà de la traditionnelle amitié entre la Grèce et la Russie. Elle pourrait signifier, à relativement court terme, l’amorce d’une bascule à l’échelle de l’Europe.

I. La situation de la Grèce

On sait que la Grèce a conclu un accord de nature provisoire avec ses créanciers (l’Eurogroupe mais aussi le FMI). Aujourd’hui le pays fait donc face à des difficultés importantes de court terme comme la fuite des capitaux hors du système bancaire (12 milliards d’Euros pour le mois de février) ainsi que l’incertitude financière sur sa capacité à effectuer les remboursements de sa dette. Cette incertitude financière est une arme à la fois politique et économique sur le nouveau gouvernement. Les investissements sont aujourd’hui fortement ralentis en Grèce, et les Investissements Directs Etrangers (IDE) sont au point mort. Dans ces conditions, l’Eurogroupe (i.e. la réunion des Ministres des finances de la Zone Euro) a pris la responsabilité d’exercer des pressions politiques et économiques de plus en plus fortes sur le gouvernement grec.
On sait aussi que les politiques d’austérité sont un échec non seulement en Grèce mais dans bien d’autres pays. Les effets destructeurs de ces politiques d’austérité, non seulement dans le cas de la Grèce mais aussi dans celui du Portugal, de l’Espagne et de l’Italie, sont aujourd’hui évidents et parfaitement avérés. D’un point de vue technique, on peut dire que le multiplicateur des dépenses fiscales, ce multiplicateur qui lie les mouvements du PIB et celui des dépenses budgétaires, a été grossièrement sous-estimé par les autorités de l’Union Européenne, et cela même après la publication de l’étude fameuse de Blanchard, réalisée au FMI, et datant de janvier 2013[3]. Il est évident que les politiques mises en œuvre en Grèce sous le nom de « Mémorandum » ne fonctionnent pas et ont de plus des effets destructeurs très importants sur l’économie. Ces politiques, et il faut insister sur ce point, n’ont pas été mises sur pied pour « aider » la Grèce, mais bien uniquement pour permettre aux pays créditeurs d’être remboursés. Ceci a été reconnu dernièrement dans une note du FMI. Mais, sur ce point aussi, elles se révèlent contre-productives. En effet, il est clair que la Grèce, à la suite des divers Mémorandums, ne pourra pas rembourser sa dette. La politique mise en œuvre pour sortir ce pays de l’insolvabilité l’a, au contraire, fait plonger dans l’insolvabilité.
C’est dans ce cadre qu’il faut considérer les politiques mises en œuvre par l’Union européenne, et dont le caractère anti-démocratique, et même fascisant, se révèle chaque jour un peu plus. En coupant l’accès à la liquidité d’urgence qui a été mis en place par la BCE dès le 4 février dernier, en refusant toutes les solutions proposées par Athènes, les dirigeants européens espèrent que la pression va être telle sur Alexis Tsipras que ce dernier sera contraint d’accepter les conditions de ses créanciers. Ces conditions ne sont pas économiques, car on a vu qu’elles ont en réalité aggravée la situation du pays. Ces conditions sont donc bien en réalité politiques. A travers l’acceptation de « réformes » du marché du travail et des pensions qui ne sont pas urgentes sur le plan économique, mais qui permettent de montrer la capacité des institutions européennes « d’annuler » politiquement l’essentiel du programme et du message de Syriza. C’était là l’essentiel et il faut bien le comprendre pour saisir toute la situation. Les dirigeants européens veulent ainsi annuler le résultat des élections du 25 janvier si celui-ci met en péril la politique qu’ils mènent depuis des années. Ils veulent annuler ces élections alors même qu’ils se prétendent de grands défenseurs de la démocratie. On a ainsi la démonstration ainsi irréfutable que « démocratie » n’est qu’un mot dans leur bouche et que, dans la réalité, ils n’ont de cesse que de nier cette dernière et de nier la souveraineté du peuple qui s’est exprimée dans ces élections. Dans cette stratégie, l’Eurogroupe n’a donc cessé de rejeter les propositions de réformes présentées par la Grèce. Mais, ce faisant elle a radicalisé les positions du gouvernement grec. Il faut alors comprendre pourquoi ce dernier n’a pas décidé de rupture franche avec les institutions européennes.

II. Les raisons de la politique grecque vis-à-vis de l’Europe

En réalité, Syriza situe son action à l’intérieur de l’Union européenne. Certains le font par idéologie, mais la majorité du parti le fait par réalisme. L’attachement de la population, et des élites grecques, à l’UE est important et il faut en comprendre les raisons. Les raisons de cet attachement sont multiples.
Il y a d’abord des raisons d’ordre géopolitique. Les Grecs se souviennent de l’isolement dont leur pays fut victime lors des événements de Chypre en 1973, qui devaient conduire à l’intervention Turque sur l’île (opération ATTILA). Ces événements furent d’ailleurs la cause de la chute de la dictature des « colonels ». Il en reste la mémoire en Grèce des dangers d’un nouvel isolement. C’est ce que les gouvernements successifs, de droite ou de gauche, ont cherché à éviter via l’adhésion de la Grèce au Marché Commun (sous le gouvernement conservateur de Caramanlis) puis le soutien indéfectible aux différentes étapes de la construction européenne. Même l’adhésion de la Grèce à l’Union Economique et Monétaire, c’est à dire à la zone Euro, peut en réalité être interprété comme une expression de cette volonté de ne pas être isolé. On peut penser que cette crainte de l’isolement face à la Turquie puisse désormais être contrebalancée tout autant par des accords militaires et politiques avec la Russie que par l’adhésion à l’Union européenne.
Il y a, ensuite, des raisons économiques. La Grèce a beaucoup profité dans la période 1975-2000 des fonds structurels européens, et nombre des investissements publics ont été réalisés grâce aux programmes divers (aides aux zones insulaires, aux zones de moyenne montagne, etc…) de l’aide européenne. Le fait que cette dernière se soit largement réduite depuis 1995, et surtout depuis l’entrée des anciens pays d’Europe de l’est dans l’UE, rend cependant cet argument bien plus faible qu’il y a dix ans. Les Grecs ont mesuré qu’aujourd’hui cette « aide » est de plus en plus faible alors que les contrainte imposées par l’Union européenne sont véritablement meurtrières.
Il y a, enfin, une raison idéologique. Les élites modernisatrices de la Grèce, élites dont Syriza fait en réalité partie intégrante, ont toujours considéré que le rattachement à l’Europe occidentale, c’est à dire au noyau initial du Marché Commun, était un gage de mise en œuvre des réformes destinées à libérer la Grèce de l’héritage ottoman. On peut discuter à l’infini de ce qui est, et n’est pas, dans la culture sociale et politique grecque un « héritage » de l’occupation ottomane, mais il n’en reste pas moins que la présence massive du népotisme, de la corruption, et plus généralement d’institutions que l’on peut qualifier de «molles » et qui permettent le maintien de ce népotisme et de cette corruption, est attribuée à cet « héritage ». De ce point de vue, l’adhésion à l’Union européenne était la seule garantie des réformes nécessaires.
Ces trois raisons expliquent que Syriza soit un parti viscéralement pro-européen, et que le deuil qu’il doit faire de l’Europe soit un processus douloureux. Les dirigeants de Syriza avaient espéré fédérer autour d’eux des pays qui souffraient tout autant de l’austérité, comme l’Espagne, le Portugal ou même l’Italie et la France. Ils avaient espéré constituer un grand « front uni » contre l’austérité à l’échelle européenne. Mais, ils ont ici pêché par optimisme. Optimisme quant aux positions du gouvernement français, qui s’avère chaque jour un peu plus le laquais de l’Allemagne. Optimisme quant aux positions des gouvernements conservateurs en Espagne et au Portugal, qui voient en réalité en Syriza un danger pour leur propre domination sur leurs peuples. Les dirigeants de Syriza, mutatis mutandis, se sont trouvés dans la même position que les dirigeants bolchéviques persuadés que la révolution en Russie allait provoquer la révolution en Allemagne, et restant en panne de stratégie quand ceci n’arriva pas. On sait que de ce constat naquit la stratégie de développement autonome de l’URSS, avec la NEP, conçue comme une stratégie alternative devant l’échec de la révolution en Allemagne. Autour de cette NEP put se fédérer un bloc implicite allant des bolchéviques aux divers modernisateurs (menchéviques, socialistes-révolutionnaires), bloc qui devait donner d’ailleurs à la NEP sa dynamique économique et sociale extrêmement progressive[4]. De fait, il semble que les dirigeants de Syriza aient anticipé que leur optimisme pourrait être déçu. L’alliance politique qu’ils ont conclue avec les « Grecs Indépendants » (An.El) signifiait bien que les concessions qu’ils étaient prêts à faire pour rester au sein de la zone Euro auraient une limite. Il est aussi possible qu’ils aient sous-estimé le mouvement de résistance nationale qui s’est manifesté après l’élection du 25 janvier.
Nous en sommes là. Le gouvernement grec a compris que fors une capitulation sans condition, une soumission abjecte aux diktats européens, il ne trouverait aucun terrain d’accord avec l’Eurogroupe et la BCE. Le fait qu’il ait évolué dans sa position quant à la privatisation du port du Pirée, pour ne pas heurter la Chine, est une indication que le gouvernement grec n’attend plus grand chose de l’Union européenne et se prépare à compter de plus en plus sur la Russie et la Chine.

III. Quelle stratégie ?

Il faut alors envisager ce qui pourrait se passer dans les prochains jours, voire les prochaines semaines.
Le gouvernement grec a donc décidé d’honorer sa créance au FMI. C’est entièrement compréhensible. Il ne peut se mettre à dos et l’Eurogroupe et le FMI. Un défaut vis-à-vis de ce dernier aurait de plus des conséquences importantes pour la Grèce, des conséquences en fait d’autant plus importantes que la Grèce se trouverait coupée des financements européens et forcée, de fait, de sortir de l’Euro. La décision d’honorer la créance vis-à-vis du FMI laisse à penser qu’une position de rupture est en train d’émerger au sein du gouvernement grec.
Cette rupture cependant, le gouvernement grec veut en faire peser l’entière responsabilité sur l’Eurogroupe et l’Union européenne. Il le veut d’une part pour des raisons de politique intérieure et de morale politique. Ayant affirmé durant la campagne électorale qu’il ne voulait pas sortir de l’Euro, il doit agir en sorte d’être expulsé de cette dernière. D’où le fait qu’il ne faut pas s’attendre à des gestes de rupture de la part de la Grèce, mais à une fermeté sur les principes : il n’est pas question de renoncer aux promesse électorales et au programme sur lequel ce gouvernement a été élu. Mais, le gouvernement grec veut aussi que cette rupture soit le fait des institutions européennes pour rendre moins douloureuse la brisure du rêve européen. Le deuil de l’idée européenne, du moins dans sa forme la plus inclusive, aura certainement des conséquences. Si la responsabilité de ce deuil peut reposer sur Bruxelles et Francfort, il peut en découler un surcroît de légitimité pour le gouvernement grec.
C’est ici que prend place la possibilité de créer une nouvelle monnaie qui circulerait en même temps que l’Euro, afin de permettre au gouvernement grec de réaliser les paiements qu’il doit faire pour la population, et de relancer le financement de l’investissement. Il faut dire ici que ceci n’a pas eu d’équivalent. Non que des systèmes de double circulation monétaire n’aient pas existé. Mais, ces systèmes ont été à la fois très instables (une monnaie finissant par évincer l’autre) et il n’y a pas d’exemple de cas où une monnaie supra-nationale ait été contestée par une monnaie nationale nouvellement créée, sauf dans le cas de la rupture d’un pays (Autriche-Hongrie, URSS). Dans ce cas, la double circulation ne dure pas plus que quelques semaines. Si le gouvernement grec décide logiquement, devant l’étranglement financier dont il est l’objet, de créer une nouvelle monnaie, se poseront immédiatement deux problèmes :
  • Quelle stabilité pour la nouvelle monnaie.
  • Quel taux de change entre cette nouvelle monnaie et l’Euro.
La stabilité de cette nouvelle monnaie pourrait être garantie par un fond de stabilisation, lui même issu d’un prêt de courte durée (2 ans au maximum). La Russie a déjà dit, par la voix de son Ministre des affaires étrangères, qu’elle était prête à étudier un tel prêt. En fait, on voit bien que ceci est une manière « douce » de sortir de l’Euro. Si cette nouvelle monnaie est stable, elle va rapidement s’imposer dans la circulation monétaire interne face à l’Euro tout en connaissant une dépréciation de 20% à 30%. Cette dépréciation devrait aboutir à une balance commerciale fortement excédentaire dans un délai de 6 mois à un an, garantissant les conditions de remboursement du prêt. De fait, les conditions d’une stabilité à moyen terme de la nouvelle monnaie grecque apparaissent comme bonnes. Ce fond de stabilisation pourrait bien être fourni par la Russie. Cet excédent commercial pourrait d’ailleurs être aussi accru par la levée des « contre-sanctions » prises par la Russie contre les productions agro-alimentaires des pays de l’UE, une levée qui pourrait dans un premier temps concerner la Grèce et la Hongrie. Par ailleurs, la Grèce devra faire défaut sur ses dettes libellées en Euro, ce qui ne sera pas sans poser quelques problèmes aux pays de l’Eurogroupe et à la BCE.
Plus généralement, un conflit irrémédiable entre la Grèce et les pays de l’Eurogroupe aboutirait à ce que la Grèce se tourne vers la Russie et la Chine à la fois pour les investissements (IDE) et pour les relations tant politiques qu’économiques.

IV. Un grand basculement

Une telle solution impliquerait un basculement dont le sens dépasse de loin le seul cas de la Grèce. Lors de la préparation de son voyage à Moscou qui doit avoir lieu le 8 avril, Alexis Tsipras a donné le ton le 31 mars en affirmant que les « sanctions contre la Russie ne mènent nulle part.»[5]. Cette déclaration était un désaveu très clair de la politique orientale de Bruxelles, en particulier au sujet de l’Ukraine. Voilà qui a de quoi inquiéter la Commission européenne. Athènes pourrait alors se décider à défendre les positions de la Russie au sein de l’UE, et ce en particulier si l’UE se montrait agressive avec la Grèce. Il n’est nullement de l’intérêt de la Grèce de quitter l’UE. Le gouvernement grec serait un bien meilleur allié de Moscou s’il restait membre de l’UE, tout en contestant systématiquement, et en les paralysant, toutes les décisions. Or, si l’on peut en théorie expulser un pays de l’UE, il faut pour cela obtenir l’unanimité des autres membres. Il est clair qu’il y aura toujours un ou deux autres pays qui refuseront de voter cette expulsion, ne serait-ce qu’en raison de la crainte qu’ils pourraient avoir d’être les prochains sur la liste des expulsés.
Ce refus d’aller plus avant dans la confrontation avec la Russie, refus qui – il faut le savoir – est très largement partagé en Grèce même par des forces politiques qui ne sont pas au gouvernement, pourrait d’ailleurs faire sortir du bois d’autres pays qui partagent en réalités ces positions : Chypre, la Slovaquie ou la Hongrie, par exemple. Mais, aujourd’hui, l’enjeu de ce voyage est sans doute encore plus grand. Il est clair que le conflit entre la Zone Euro et la Grèce est inévitable, et que ce conflit peut provoquer une sortie de l’Euro de la part de la Grèce. Le voyage à Moscou d’Alexis Tsipras, mais aussi les relations étroites que son gouvernement est en train d’établir avec la Chine et plus généralement avec les pays des BRICS, représente potentiellement un moment historique. Celui du reflux des institutions européennes de l’UE au profit d’une avancée, certes timide, certes prudente, mais néanmoins réelle des puissances émergentes, comme la Russie et la Chine, dans le jeu européen. C’est pour cela qu’il y a bien plus dans ce voyage que ce que l’œil d’un observateur peut voir.
La crainte de ce grand basculement doit aujourd’hui commencer à s’immiscer dans les cerveaux quelque peu embrumés des dirigeants européens. Quelles sont alors leurs possibilités ? Ils peuvent céder, tout ou partie, de ce que demande Syriza. On l’a déjà dit, une telle solution porterait en elle la condamnation implicite des politiques d’austérité. Il ne faudrait guère attendre pour que d’autres pays, tels l’Espagne et le Portugal, adorant ce qu’hier ils avaient brulé, ne se décident alors à embrasser les demandes de la Grèce. Le risque est immense de voir la politique établie par l’Allemagne et au profit de l’Allemagne voler alors par dessus les moulins. Le gouvernement allemand en est conscient, et c’est pourquoi il mène un « front de la fermeté » sur ces points. Mais, à tenir une position intransigeante avec la Grèce, ces mêmes dirigeants prennent le risque d’un éclatement de toute la construction politique qu’ils ont accomplie depuis plus de quinze ans. On le voit, et ceci quelle que soit l’issue de cette crise, c’est à la fin de la construction européenne telle qu’elle s’est faite depuis maintenant près de vingt-cinq ans que nous sommes en train d’assister. L’expression « grand basculement » apparaît donc comme bien appropriée. Reste à savoir comment les gouvernants français s’adapteront à cette nouvelle situation.
Source : RussEurope
Notes
[3] Blanchard O. et D. Leigh, « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper, n°13/1, janvier 2013.
[4] Sapir J., “Éléments d’une histoire économique de l’URSS: quelques questions sur la croissance”, in Historiens et Géographes, n°351, décembre 1995, pp.191-218. Idem, “La guerre civile et l’économie de guerre, origines du système soviétique”, in Cahiers du Monde Russe, vol. 38, n°1-2, 1997, pp. 9-28.

Visite de Tsipras en Russie: l’UE met Athènes en garde

Bruxelles demande à Athènes de se conformer à la politique européenne commune à l’égard de la Russie.

Le président du parlement européen Martin Schulz a recommandé au premier ministre grec Alexis Tsipras de ne pas mettre en danger l’unité de l’Union européenne lors de sa visite en Russie.
« Je ne sais pas si la Russie octroiera ou non une assistance financière à la Grèce (…), mais je recommande à M.Tsipras de ne pas mettre en péril l’unité de l’Union européenne », a déclaré M.Schulz dans une interview accordée au journal allemand Bild.
« La Grèce exige des preuves de solidarité de la part de l’UE, et elle les reçoit. De ce fait, nous sommes également en mesure de lui demander de rester attachée à la politique de mesures communes », a souligné le président du PE.
Le chef du gouvernement grec se rendra à Moscou pour une visite de travail les 8 et 9 avril. Au cours de son séjour, il s’entretiendra avec le président russe Vladimir Poutine, le premier ministre Dmitri Medvedev et le président de la Douma (chambre basse du parlement russe) Sergueï Narychkine.A l’approche de la visite de M.Tsipras en Russie, les médias occidentaux ont affirmé que la Grèce envisageait de demander une aide économique à Moscou.
Arrivé au pouvoir en janvier 2015, le nouveau gouvernement grec dirigé par le parti de la gauche radicale Syriza s’est opposé au durcissement des sanctions décrétées par l’UE à l’encontre de la Russie sur fond de crise ukrainienne.
Source : Sputnik