Samedi 25 Avril 2015
Joseph Macé-Scaron
Dans l'art de l'improvisation, l'exécutif est assurément passé maître. Nul ne conteste plus son aptitude à caboter au plus près de la politique comme un Optimist le long de la Côte de Granit rose. Pour autant, est-il nécessaire de faire de cette habileté force d'enseignement dans les écoles ?
Le socialisme n'est plus socialiste. Il est jeuniste. Et c'est toujours un signe inquiétant quand on place les jeunes au premier plan de ses discours si ce n'est de ses préoccupations. Car il s'agit bien de paroles puisque les actes se font attendre. Les jeunes de ce pays se trouvent, en effet, logés à la même enseigne que leurs aînés qui furent abreuvés de promesses inconsidérées et bavardes lors de la dernière élection présidentielle. Jeunisme donc. Cette passion triste, dont Kundera a bien montré dans des satires drolatiques qu'elle n'annonce rien de bon, est révélée, ces derniers jours, par toute une série de petits faits vrais, outre l'épisode Canal historique dont nous parlons dans l'événement de ce numéro.
Dans l'art de l'improvisation, cet exécutif est assurément passé maître. Nul ne conteste plus son aptitude à caboter au plus près de la politique comme un Optimist le long de la Côte de Granit rose. Pour autant, est-il nécessaire de faire de cette habileté force d'enseignement dans les écoles ? Dans l'OEil , une revue d'art mensuelle, Manuel Valls parle de culture mais s'interroge également sur la possibilité « d'intégrer dans nos écoles l'art de l'improvisation que porte Jamel Debbouze ». Il est vrai que le chef de l'Etat s'est rendu, l'année dernière, à Trappes, à un match d'improvisation. Nous aurions pu en rester là, mais c'était compter sans la fougue ministérielle de Najat Vallaud-Belkacem. Les méchantes langues diront que cette fougue est renforcée par les rumeurs de remaniement gouvernemental avant l'été. Toujours est-il que la ministre de l'Education nationale n'a pas hésité un seul instant pour enfourcher ce vieux canasson, louant l'improvisation comme « une activité extrêmement intéressante » pour maîtriser la langue française, « une façon d'apprendre à vivre ensemble ». Najat Comedy Club.
Faut-il vraiment que le divorce soit consommé entre le PS et le monde de l'éducation pour en arriver à de tels gadgets ? Quand on connaît la raison profonde de la crise de l'école en France, on se pince. Quand on sait le mépris des savoirs érigés en règle de fonctionnement, mépris qu'un philosophe comme Jean-Claude Milner a pointé dès 1984, on s'insurge. Et peu importe, au fond, si ces annonces déroutantes sont marquées, encore une fois, du sceau de l'improvisation, c'est toujours la même petite musique qui est déversée dans les têtes.
Après le latin et le grec, l'allemand se retrouve dans le viseur des grands simplificateurs, des grands équarrisseurs de programme. Nous avons dit ici même tout ce qu'il fallait penser de « l'aversion latine », de cette reddition sans condition à une vision ringarde et passéiste d'une peudo-modernité de bazar. Apparemment, la réforme du collège pour 2016 prévoit de supprimer les classes bilangues où actuellement des collégiens apprennent deux langues dès la sixième. Cette proposition a suscité un vif émoi parmi les enseignants d'allemand (leur pétition a déjà recueilli 30 000 signatures) et la colère de l'ex-Premier ministre Jean-Marc Ayrault, ancien professeur d'allemand.
Quoi de plus « logique », après tout, à l'heure de la tyrannie du « fast learning » : pourquoi infiger aux élèves des collèges l'apprentissage d'une langue qui risque de les dépayser, de les sortir d'eux-mêmes ? En outre, la contrainte syntaxique de l'allemand n'est-elle pas étonnamment suspecte ? Cette « manie » de rejeter le verbe à la fin de la phrase impose au locuteur l'obligation de réfléchir à l'énoncé qu'il est en train de produire. Quelle hérésie à l'heure du spontanéisme communicationnel ou des émissions de flux ! Quelle horreur à l'heure où il est hautement recommandé de dire ce qui vous passe à l'esprit sous peine d'être accusé de « prise de tête » !
Nous avions un prince de la langue et nous ne le savions pas. C'est ce qu'affirme Libé du 19 avril, en comparant le rappeur Booba, présenté comme un « aède », à... Mallarmé. Rien de moins. La richesse des rimes et des images frappe comme des uppercuts. Et là je ne résiste pas à citer : « son rap est un rap pour le rap, un rap au carré, comme il y eut un art pour l'art ». De lard et du cochon, aurait dit Gotlib, mais l'humour et le rap ne sont que de très lointains parents. Résumons : improviser à partir des textes de Booba est quand même plus « cool ». C'est surtout l'assurance de maintenir un système où les plus humbles seront dépossédés du seul outil leur permettant de s'en sortir : l'école. Dans ce cas, je crains que le « vivre-ensemble » soit, d'abord, un cauchemar fait à plusieurs. Comme aurait pu dire l'autre poète, s'il était revenu ivre des soirées de Médan : « Jamais un coup de dés n'abolira ce bazar. »