Un banquier de BNP Paribas deviendrait responsable de la régulation du système bancaire français
Christian Noyer doit quitter la présidence de la Banque de France en octobre. Officiellement, il devrait être remplacé par Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE. Mais Jean-Pierre Jouyet semble vouloir y nommer François Villeroy de Galhau, au mépris des possibles conflits d’intérêts : un banquier de BNP Paribas deviendrait responsable de la régulation du système bancaire français.
Jean-Pierre Jouyet est un homme surchargé. Il travaille sans relâche comme secrétaire général de l’Élysée. En dépit de cette tâche harassante, il s’est donné une autre mission : il s’est érigé en quelque sorte directeur des ressources humaines des inspecteurs des finances. En tant qu’ancien inspecteur des finances lui-même, ancien directeur du trésor, il semble estimer nécessaire de veiller au devenir des membres de la caste la plus célèbre et la plus prisée de notre noblesse d’État. Ces membres, qui ont réussi le concours prestigieux de la sortie de l’ENA à 24-25 ans, méritent la plus grande sollicitude tout au long de leur carrière. Il leur revient d’obtenir les postes à la hauteur de leur talent.
Les fonctions et les présidences sont une des grandes affaires de l’Inspection des finances. Une fois qu’un poste a été obtenu par un des membres de la caste, il ne doit plus en sortir. Dès qu’une fonction se libère ou s’apprête à se libérer, le corps fait masse pour ne pas laisser échapper la succession. Les candidatures affluent. Même les anciens qui sont partis dans le privé, et parfois ne cessent de déblatérer sur l’État, la France et autres vieilles lunes, redécouvrent brusquement la vocation de servir l’Etat.
Il se trouve qu’une de ces présidences de choix est sur le point de se libérer. Christian Noyer doit abandonner le poste de gouverneur de la Banque de France en octobre, après douze ans de service. Officiellement, la succession est toute tracée. Benoît Cœuré, membre du directoire à la banque centrale européenne, après avoir été sous-directeur du trésor, est désigné comme le candidat idéal pour prendre la place de gouverneur de la Banque de France, avec le soutien de ce dernier et celui du président de la BCE.
Mais cette nomination semble consterner l’Inspection des finances. Car Benoît Cœuré souffre d’une tare irrémédiable. Il n’a pas les lettres de noblesse justifiant qu’il puisse accéder à cette si haute fonction: il n’appartient pas au grand corps de l’Inspection. Il est seulement polytechnicien et administrateur de l’Insee. C’est dire la faute de goût ! Comment tolérer que le poste de gouverneur de la Banque de France puisse échapper à l’Inspection ? Comment tant de pouvoir et de puissance, le prestige de fréquenter les grands de ce monde, sans compter les petits à-côtés non négligeables comme des appartements privés au Palais Royal, pourraient-ils échoir à ce « sous-diplômé » ?
Benoît Cœuré© DR
Ces dernières semaines, la machine à rumeur et à cabale a donc commencé à s’emballer dans les trois kilomètres carrés qui couvrent le monde parisien des affaires et du pouvoir. Sur le ton de la confidence, certains assurent que Benoît Cœuré n’est pas si désireux que cela de quitter Francfort pour Paris. Pour d’autres, il est jeune et a le temps de briguer le poste plus tard.
D’autres encore insistent sur un ton chagrin dans les allées présidentielles sur le dommage que pourrait créer à la France le rapatriement de Benoît Cœuré à Paris, alors qu’il s’entend si bien avec le président de la BCE, Mario Draghi, qu’ils mènent ensemble un combat décisif pour la défense de l’euro et de l’Europe. Bref, l’idée que Benoît Cœuré n’est peut-être pas le candidat idoine pour succéder à Christian Noyer fait son chemin, discrètement.
Dans le même temps, les membres de l’Inspection des finances sont entrés en action. Xavier Musca, ancien directeur du trésor et ancien secrétaire général de l’Élysée, serait sans doute prêt à se sacrifier et abandonner la direction du Crédit agricole pour occuper la noble fonction. Ramon Fernandez, qui se languit à la direction financière d’Orange, après avoir occupé lui aussi la direction du trésor et veillé au plus fort de la crise sur le sort de la zone euro, pourrait aussi accepter, avec l’assentiment de nombre de ses camarades, de revenir occuper de hautes missions dans cette chère institution. Mais ils ont l’un comme l’autre le handicap d’être des proches de Nicolas Sarkozy. C’est le sort des grands serviteurs de savoir se retirer dans des terres éloignées, lorsque le pouvoir ancien a été déchu, dans l’espoir d’être rappelés par la suite.
Jean-Pierre Jouyet© Reuters
De toute façon, Jean-Pierre Jouyet a déjà son candidat, selon nos informations. Un homme de son camp : François Villeroy de Galhau. Inspecteur des finances, il a été ancien directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn puis de Christian Sautter quand ils furent ministre des finances de 1997 à 2000, avant de partir chez BNP Paribas où il est directeur général délégué.
Jean-Pierre Jouyet avait déjà soutenu sa candidature pour qu’il prenne la succession de Ramon Fernandez à la direction du trésor en 2014. La manœuvre avait échoué. Sa candidature, dévoilée trop tôt, avait rencontré de très fortes oppositions. Jean-Pierre Jouyet s’en est voulu de cet impair et estime avoir une dette à son égard.
Fort de l’expérience, le secrétaire général de l’Élysée paraît décidé à rester le plus discret possible et à n’avancer qu’au dernier moment, afin de contrer tous les obstacles. Interrogé sur son éventuel soutien à la nomination de M. Villeroy de Galhau à la Banque de France, Jean-Pierre Jouyet nous a fait répondre qu’il n’avait « aucun commentaire à faire ». De son côté, François Villeroy de Galhau nous a fait répondre qu’il n’avait lui aussi « aucun commentaire à faire ».
Selon nos informations, celui-ci, cependant, devait être désigné pour accomplir quelque « mission spéciale » dans les six prochains mois, afin de ne plus être engagé dans les fonctions opérationnelles de la banque et de ne plus être trop marqué BNP Paribas. Une façon de faire taire les polémiques. Mardi 21 avril, un communiqué de Matignon annonçait la nomination de François Villeroy de Galhau comme responsable d’une mission sur le financement de l’investissement en France et en Europe. Pour assurer son mandat, celui-ci, précise le communiqué, «quittera ses fonctions au sein de BNP Paribas». Hasard! Selon nos informations, cette mission devrait durer six mois et s’achever en octobre, juste au moment où Christian Noyer doit quitter la Banque de France.
Cette candidature, si elle se confirmait, n’irait pas de soi. Elle serait une nouvelle illustration des dérives du gouvernement et de la haute administration, qui semblent avoir oublié tout repère politique et déontologique.
François Hollande avait promis une République irréprochable. Il n’a pas fallu longtemps pour que la haute fonction publique remette au goût du jour les privilèges qu’elle estime lui être dus. Le règne de l’énarchie est à son paroxysme. La promotion Voltaire, dont est issu François Hollande, fait l’objet d’un traitement de faveur. Les pratiques de la porte tambour – une fois dans le public, une fois dans le privé, avant de revenir dans le public pour mieux aller faire prospérer son carnet d’adresses par la suite dans le privé – sont désormais institutionnalisées dans les grands corps. Plus personne ne s’émeut de voir l’appareil d’État mis à la disposition des membres d’une caste, avec un droit de tirage à vie au nom d’un diplôme de jeunesse.
Peu s’inquiètent des risques de conflit d’intérêts. Dans le cas présent, ceux-ci sont potentiellement immenses. Comment accepter qu’un banquier travaillant dans la première banque française devienne, en tant que gouverneur de la Banque de France, le régulateur de tout le système bancaire français ? Que se passera-t-il si BNP Paribas, qui a déjà fait l’objet d’une sanction record de 6,8 milliards d’euros aux États-Unis, se retrouve à nouveau pris dans les filets de la justice ? Peut-on accepter cette ultime captation de la régulation par le système bancaire ? Pour Jean-Pierre Jouyet, ces préoccupations semblent sans doute assez accessoires. L’important est de préserver les droits et les privilèges de l’Inspection. Bon appétit, messieurs !
BOITE NOIRE Cet article a été réactualisé mardi 21 avril au matin, à la suite d’un communiqué de Matignon, annonçant, comme nous l’avions présagé, une “mission spéciale” pour François Villeroy de Galhau. Celui-ci a été nommé pour mener une mission sur l’investissement en France et en Europe qui doit se terminer en octobre. Comme prévu, il va abandonner ses fonctions à BNP Paribas. Six mois devraient suffire pour faire oublier son passé de banquier et se faire nommer comme gouverneur de la Banque de France, donc comme régulateur du système bancaire français.