Comment lutter contre la propagande occidentale
Andre VLTCHEK
« ...Lorsqu’une maison est attaquée par des brigands, qu’un village est
envahi par des gangsters, que de la fumée, des flammes et des cris sortent de
partout, pouvons-nous nous permettre le luxe de prendre le temps de calculer,
d’analyser et de rechercher des solutions logiques, éthiques, globales et
objectives complètes ? » Andre Vltchek
D’abord, ils commencent par fabriquer des mensonges monstrueux puis nous
disent d’être objectifs !
L’amour est-il objectif ? La passion est-elle objective ?
Les rêves sont-ils défendables, logiquement et philosophiquement ?
Lorsqu’une maison est attaquée par des brigands, qu’un village est envahi par
des gangsters, que de la fumée, des flammes et des cris sortent de partout,
pouvons-nous nous permettre le luxe de prendre le temps de calculer, d’analyser
et de rechercher des solutions logiques, éthiques, globales et objectives
complètes ?
Je suis fermement convaincu que non. Nous sommes obligés de nous battre
contre ceux qui incendient nos maisons, de frapper avec force ceux qui tentent
de violer nos femmes, et de répondre au feu par le feu à chaque fois que des
innocents sont massacrés.
Lorsque la force la plus puissante et la plus destructrice du globe mobilise
tout son pouvoir de persuasion, faisant flèche de tout bois, depuis les grands
médias jusqu’aux institutions pédagogiques, pour justifier ses crimes,
lorsqu’elle répand sa propagande empoisonnée et ses mensonges pour opprimer le
monde et anéantir tout espoir, est-ce que nous prenons du recul ? Est-ce que
nous nous lançons dans un travail incessant et approfondi sur des récits précis
et objectifs ? Est-ce que nous opposons au mensonge et à la propagande notre
propre version des faits, renforcée par notre intuition, notre passion et nos
rêves d’un monde meilleur ?
***
L’Empire ment continuellement. Il ment le matin, pendant la journée, le soir
et même la nuit, quand la plupart des gens dorment profondément. Il le fait
depuis des décennies et même des siècles. Pour les tromperies à grande échelle,
il s’en remet à d’innombrables propagandistes, qui se présentent comme
universitaires, enseignants, journalistes et intellectuels. En matière
de désinformation, on a atteint la perfection. La publicité occidentale (si
admirée et exploitée par les nazis allemands) a certaines racines communes avec
la propagande, bien que celle-ci soit plus ancienne et plus
achevée.
Il semble que même certains dirigeants de l’Empire en soient aujourd’hui
arrivés à croire à la plupart de leurs inventions – sans parler de la plupart
des citoyens ordinaires. Sinon, comment parviendraient-ils à dormir ?
L’appareil de propagande occidental est extrêmement efficace. Il est
également brillant dans sa manière de veiller à ce que ses inventions soient
transmises, diffusées et acceptées aux quatre coins du monde. Le système par
lequel la désinformation se répand est incroyablement complexe. Sur tous les
continents, des médias et des universitaires serviles usent de tout leur pouvoir
pour garantir qu’une seule version des faits soit autorisée à pénétrer le
cerveau de milliards d’individus.
Résultat : lâcheté intellectuelle et ignorance, partout dans le monde, mais
en particulier en Occident et dans ses États vassaux.
***
Nous, les opposants au régime, que sommes-nous censés faire ?
Premièrement, les choses sont moins désespérées qu’elles ne l’ont été.
Nous ne sommes plus dans le monde unipolaire morbide du début des années
1990. Aujourd’hui, le Venezuela, la Russie, la Chine et l’Iran soutiennent de
puissants médias opposés à l’Empire. De puissantes chaînes de télévision ont vu
le jour : RT, Press TV, TeleSUR et CCTV. D’énormes magazines en ligne et sites
en anglais, aux États-Unis, au Canada et en Russie révèlent également les
mensonges des agents de propagande officiels de l’Occident. Des noms tels que
Counterpunch, Information Clearing House, Global Research, Veterans
News, Strategic Culture ou New Eastern Outlook viennent aussitôt à
l’esprit. En outre, des centaines de sites importants font de même en espagnol,
en chinois, en russe, en portugais et en français.
La lutte pour un monde intellectuellement multipolaire est engagée. C’est une
lutte acharnée et sans merci ! C’est une bataille décisive, tout simplement
parce que les métastases du cancer de la propagande occidentale se sont
répandues partout. Elles ont contaminé tous les continents, et même certains des
pays et des cerveaux les plus courageux en lutte contre l’impérialisme et le
fascisme occidentaux. Personne n’est à l’abri. Franchement, nous sommes tous
contaminés.
Faute de remporter cette bataille, en commençant par identifier et prouver
clairement que leur discours est mensonger puis en proposant une vision
humaniste empreinte de compassion, nous ne pouvons même pas rêver d’une
révolution ni de tout autre changement notable de l’état du monde.
***
Comment remporter la victoire ? Comment convaincre les masses, les milliards
d’individus qui constituent l’humanité ? Comment leur ouvrir les yeux et leur
montrer que le régime occidental est malhonnête, vicié et destructeur ? La
majeure partie de l’humanité est accro à la propagande de l’Empire. Cette
propagande n’est pas seulement le fait des médias mainstream, mais également de
la musique populaire, des feuilletons télévisés, des réseaux sociaux, de la
publicité, du consumérisme, des tendances de la mode et de tout autre
moyen dissimulé. Elle revêt aussi les habits d’une soupe culturelle, religieuse
et médiatique qui conduit à la stupeur émotionnelle et intellectuelle. À
l’instar d’une drogue hautement addictive, elle est administrée régulièrement et
avec persistance.
Sommes-nous en mesure de contrer la tactique et la stratégie de cet Empire
brutal et destructeur par notre honnêteté, la recherche, le compte rendu
d’enquêtes méticuleuses sur les faits ?
L’Empire pervertit les faits. Il ne cesse de répéter ses mensonges dans les
haut-parleurs et sur les écrans. Il les clame des milliers et des milliers de
fois, jusqu’à ce qu’elles envahissent les cerveaux et jusqu’au plus profond du
subconscient.
Bonne volonté, honnêteté naïve, asséner la vérité au pouvoir : tout
cela peut-il changer la face du monde et le pouvoir lui-même ? J’en doute
fort.
L’Empire et son pouvoir sont illégitimes et criminels. À quoi sert la
franchise avec un gangster ? Franchement ? C’est aux peuples, aux masses qu’il
faut dire la vérité, pas à ceux qui terrorisent le monde.
En adressant la parole aux méchants, en les suppliant d’arrêter de torturer
les autres, nous ne faisons que légitimer leurs crimes et reconnaître leur
pouvoir. En essayant d’apaiser les gangsters, les gens se mettent à leur
merci.
Et cela, je le refuse absolument !
***
Pour emporter l’adhésion de milliards d’individus, nous devons les inspirer,
les enflammer. Nous devons les provoquer, les embrasser, leur faire honte, les
faire rire et les faire pleurer. Nous devons veiller à ce qu’ils aient la chair
de poule lorsqu’ils regardent nos films, lisent nos livres et nos essais, ou
lorsqu’ils écoutent nos discours.
Nous devons les désintoxiquer, leur faire retrouver l’usage des sens et
réveiller leurs instincts.
La vérité nue est inopérante. Le poison instillé par nos adversaires s’est
enfoncé trop profondément. La plupart des gens sont trop léthargiques et
insensibles aux vérités simples, énoncées tranquillement.
Nous avons essayé. D’autres aussi ont essayé. Une de mes connaissances (mais
certainement pas un camarade), John Perkins, ancien apparatchik US formé par le
Département d’État, a rédigé un long compte rendu de ses actes épouvantables en
Équateur, en Indonésie et ailleurs, Les confessions d’un assassin
financier. Il s’agit d’un compte rendu méticuleux de la manière dont
l’Occident déstabilise les pays pauvres par la corruption, l’argent, l’alcool et
le sexe. Ce livre s’est vendu à des millions d’exemplaires dans le monde.
Pourtant, rien n’a changé ! Il n’a pas déclenché de révolution populaire aux
États-Unis. On n’a assisté à aucune protestation, à aucune demande de changement
de régime à Washington.
Dernièrement, j’ai publié deux ouvrages académiques, ou du moins
semi-académiques, truffés de détails, de citations et de notes de bas de page :
l’un traitait de l’Indonésie, l’un des pays utilisés par l’Occident comme modèle
pour effrayer le reste du monde après le coup d’État militaire appuyé par les
États-Unis en 1965. Ce coup d’État a fait 2 à 3 millions de victimes. La vie
intellectuelle a été assassinée, et le quatrième pays le plus peuplé du monde a
été lobotomisé. Cet ouvrage est intitulé Indonesia
– Archipelago of Fear (Indonésie – L’archipel de la peur). Le second,
unique en son genre car il traite d’une très grande partie du monde, à savoir la
Polynésie, la Mélanésie et la Micronésie Oceania
– Neocolonialism, Nukes and Bones – (Océanie –
Néocolonialisme, bombes nucléaires et ossements), montre comment les États-Unis,
le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la France ont littéralement
divisé et détruit les cultures et les peuples des îles du Pacifique Sud.
Aujourd’hui, mes livres sont utilisés dans l’enseignement, mais le nombre de
gens influencés par les faits exposés est très limité. Les élites d’Indonésie et
d’Océanie ont veillé à ce que ces livres ne soient pas lus par un grand nombre
de gens.
J’ai passé de nombreuses années à faire des recherches, enquêter et compiler
les faits. L’efficacité révolutionnaire de mon travail universitaire est, je
dois bien l’admettre, quasiment nulle.
Ce n’est pas difficile à constater : lorsque j’écris un essai, bien construit
et émouvant, qui exige que justice soit rendue, qui accuse l’Empire de meurtre
et de vol, il est lu par des millions de gens sur tous les continents et traduit
dans des dizaines de langues !
Pourquoi est-ce que j’écris cela, pourquoi partager cela avec mes lecteurs ?
Parce que nous devons tous être réalistes. Nous devons voir et comprendre ce que
les gens veulent – ce qu’ils exigent. Ils sont malheureux et terrifiés. La
plupart ne savent même pas pourquoi. Ils détestent le système, ils sont seuls,
frustrés ; ils savent qu’on leur ment et qu’on les exploite. Pourtant, ils ne
parviennent pas à cerner ces mensonges. Quant aux ouvrages universitaires qui en
font état, ils sont trop complexes. La plupart des gens n’ont pas le temps de
lire des milliers de pages indigestes ou n’ont pas reçu une instruction
suffisante pour comprendre ce qu’ils lisent.
Notre devoir est donc de nous adresser à ces gens, qui représentent la
majorité. Sinon, quel genre de révolutionnaires sommes-nous ? Après tout, nous
sommes censés créer pour nos frères et sœurs, pas pour une poignée de chercheurs
universitaires, surtout quand on sait que la plupart des universités sont au
service de l’Empire, qu’elles ne font que régurgiter une nomenclature officielle
et des démagogues aux ordres.
***
L’Empire parle, écrit puis répète à l’envi des mensonges éhontés sur ses
bienfaits et le caractère exceptionnel de son régime, ou bien sur
les maux que représentent l’Union soviétique, la Chine, l’Iran, le
Venezuela, la Corée du Nord ou Cuba. Il le fait quotidiennement. Tout est fait
pour que quasiment chaque être humain ait sa dose de toxine au moins plusieurs
fois par jour.
Nous estimons devoir réagir. Alors, nous commençons à passer plusieurs années
de notre vie à prouver méticuleusement, pas à pas, que la propagande de l’Empire
est soit un énorme mensonge, soit de l’exagération, soit les deux. Au fur et à
mesure que nous compilons nos arguments, nous publions les résultats chez un
petit éditeur quelconque, le plus souvent sous la forme d’un petit livre peu
épais. Cependant, presque personne ne le lit à cause de sa diffusion restreinte,
parce que les faits constatés sont généralement trop complexes et difficiles à
digérer, ou simplement parce que les faits en question ne choquent plus
personne [ou parce que les gens ne veulent peuvent pas les
entendre, NdT]. Un millions d’innocents de plus assassinés quelque part en
Afrique, au Moyen-Orient, en Asie ? Et à part ça, quoi de neuf ?
En effectuant un travail de recherche honnête et approfondi, en disant la
vérité sans fard, nous estimons faire un excellent travail professionnel et
scientifique. Et pendant ce temps-là, les agents de propagande de l’Empire sont
morts de rire en nous regardant ! Nous ne représentons guère de danger pour eux.
Ils n’ont aucune difficulté à l’emporter !
Pourquoi cela ? La vérité dans tous ses détails n’a donc aucune
importance ?
Si, elle en a, au moins du point de vue de principes supérieurs. C’est
important sur le plan de l’éthique. C’est important sur le plan moral. C’est
important sur le plan philosophique.
C’est cependant moins important sur le plan stratégique, car nous sommes
engagés dans une guerre idéologique. La vérité, elle, conserve toute son
importance quoi qu’il advienne. Cependant, ce doit être une vérité simplifiée,
digeste, présentée avec une forte charge émotionnelle.
Lorsque la perte des repères moraux s’empare du monde, sans la moindre pitié,
lorsque des millions d’innocents meurent, ce qui compte, c’est d’abord d’arrêter
le massacre en identifiant les meurtriers puis en les arrêtant.
Le langage doit être fort, les émotions, brutes.
Face à des hordes meurtrières, la poésie, les chansons chargées d’émotions et
les hymnes patriotiques ont toujours été plus efficaces que les études
universitaires approfondies. Il en va de même avec les romans et les films
politiques, les documentaires passionnés, et même les dessins animés et les
affiches provocateurs.
Certains ne manqueront pas de poser la question suivante : « Mais alors,
s’ils mentent, devons-nous mentir aussi ? » Non ! Nous devons au contraire
rester le plus fidèles possible à la vérité. Toutefois, il convient
d’abréger notre message, afin qu’il soit compris des masses et non
d’une élite triée sur le volet.
Cela n’implique pas pour autant que la qualité de notre travail doive en
pâtir. Il est souvent plus difficile d’atteindre la simplicité que de rédiger
des travaux encyclopédiques comportant des milliers de notes de bas de page.
L’ouvrage de Sun Tsu, L’art de la guerre, est court. Ce n’est guère
plus qu’un pamphlet qui va directement à l’essentiel. On peut en dire autant du
Manifeste du parti communiste et de l’article J’accuse !
Il n’est pas impératif que notre travail révolutionnaire soit bref, mais il
doit être présenté sous une forme compréhensible par le plus grand nombre. Je
fais constamment de nouvelles expériences sur la forme, mais sans jamais
sacrifier le fond. Le livre Exposing
Lies of the Empire que j’ai publié dernièrement comporte plus de
800 pages. J’ai toutefois veillé à ce qu’il soit truffé de témoignages
captivants, d’individus habitant les quatre coins du monde, et de descriptions
très vivantes à la fois des victimes et des tyrans. Je ne tiens pas à ce que la
poussière s’accumule sur mes livres dans des bibliothèques universitaires. Je
veux faire bouger les gens.
***
Je suis fermement convaincu qu’il n’est pas impératif de perdre du temps avec
l’objectivité dans une bataille, idéologique ou autre, quand l’enjeu
est la survie de l’humanité.
Les mensonges de l’ennemi doivent être dévoilés. Ce sont des mensonges
monstrueusement toxiques.
Lorsque la destruction prendra fin, que des millions d’hommes, de femmes et
d’enfants innocents cesseront d’être sacrifiés, nous pourrons toujours revenir à
nos chers concepts philosophiques complexes pour nous immerger dans les détails
et les nuances.
Avant de remporter la bataille finale sur l’impérialisme, le nihilisme, le
fascisme, l’exceptionnalisme, l’égoïsme et l’avidité, nous devons employer nos
armes les plus puissantes : notre vision d’un monde meilleur, notre amour pour
l’humanité et notre soif de justice. Notre détermination et nos convictions
doivent être présentées de manière forte, même dogmatique ; notre
discours doit être imaginatif, artistique, puissant !
Camarades, il y a le feu ! Toute la ville est en flammes. Toute la planète
est pillée, dévastée, lobotomisée.
Ce n’est pas avec des armes nucléaires et des navires de guerre que nous
pouvons affronter les fanatiques. En revanche, notre talent, nos muses et nos
cœurs sont là, prêts à se lancer dans la bataille.
Soyons plus malins que nos ennemis et faisons en sorte que le monde entier se
moque d’eux ! Vous les avez vus, ces losers patriotes, ces bouffons de PDG ?
Vous les avez écoutés, ces premiers ministres et ces présidents, ces valets
du marché ? Laissez-nous convaincre les masses que leurs tyrans – les
impérialistes, les néo-colonialistes et tous leurs prédicateurs dogmatiques – ne
sont rien d’autres que de pitoyables guignols, avides et toxiques.
Discréditons-les. Ridiculisons-les.
Ils spolient et tuent des millions de gens. Le moment est venu au moins de
leur pisser dessus !
Pour lutter contre la propagande occidentale, commençons par révéler qui est
derrière elle. Le moment est venu de livrer des noms.
Faisons de cette révolution un événement plein d’imagination et de
rigolade !
Andre Vltchek
Andre Vltchek est philosophe, romancier, réalisateur et journaliste
d’investigation. Il a couvert guerres et conflits dans des dizaines de pays.
i>Ses derniers livres parus sont : Exposing
Lies Of The Empire et Fighting
Against Western Imperialism. i>Discussion avec Noam Chomsky : On Western
Terrorism. Point
of No Return est un roman politique acclamé par la critique. Oceania traite
de l’impérialisme occidental dans le Pacifique sud. Enfin, son livre
provocateur sur l’Indonésie : Indonesia
– The Archipelago of Fear.
Andre réalise des films pour teleSUR et Press TV. Après avoir passé de
nombreuses années en Amérique Latine et en Océanie, Vltchek réside et travaille
aujourd’hui en Extrême-Orient et au Moyen-Orient. Vous pouvez le contacter sur
son site Internet ou
sur Twitter.
Traduit par Gilles Chertier,
relu par jj pour le Saker Francophone
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