Cet article est de juillet 2012! Il n’a pas pris une ride. Une analyse qui met en lumière ce que les Etats et les citoyens-contribuables vivent aujourd’hui….La hasard ne semble pas responsable d’une « crise » qui péjore les mêmes et qui au même moment enrichit les mêmes… Le Professeur Dupré est enseignant à l’ENSIMAG de Grenoble. LHK
Le sommet européen du 29 juin a permis de financer les Etats qui se réforment et recapitaliser les banques à un taux mutualisé via le Mécanisme Européen de Solidarité. Ce dernier est financé par les Etats et les marchés financiers. L’Europe serait solidaire pour « les bons élèves ».
L’Europe solidaire bancaire travaille au bénéfice de qui ? La progression des valeurs bancaires ce 29 juin est une piste. Martin Wolf dans Le Monde du 26 juin, pose un diagnostic amer sur les bénéficiaires d’une union précipitée : « L’Espagne engage une enveloppe de 100 milliards d’euros pour sauver ses banques mais hélas, ce plan profite aux créanciers desdites banques au dépens de la solvabilité du gouvernement ». Avec l’union bancaire proposée, Il faut simplement remplacer« solvabilité du gouvernement » par « solvabilité de l’Europe ».
Les banques continueront-elles à être sauvées avec de l’argent public sans rien exiger des actionnaires et créanciers des banques ?
Gavin Davies dans le Financial Times du 29 juin montre que cette question va conduire à des guerres d’intérêt. En effet, l’Allemagne aura intérêt à rincer les actionnaires et créanciers des banques espagnols pour obtenir une plus forte propriété par euro investi. L’intérêt de l’Espagne sera l’exact opposé.
En France, les spécialistes financiers et professeurs de finance interviennent peu, laissant la parole aux économistes. Pourtant ils sont au cœur des mécaniques complexes de la finance moderne. Souvent par peur d’ennuis professionnels, ils se font discrets, mentent par omission.
Chaque plan de « sauvetage » des banques a permis un cadeau aux actionnaires concrétisé immédiatement dans un bond du cours des actions bancaires le jour de l’annonce.
Ce qui était tabou il y a deux ans, est devenu la version officielle de la Commission Européenne en juin 2012. Ne plus utiliser l’argent du contribuable mais faire payer les actionnaires et créanciers de banques est énoncé dans un jargon plus technique en proposant de passer du renflouement externe ou bail-out au renflouement interne ou bail-in. Tous les outils sont décrits : « l’instrument de renflouement interne permettra de recapitaliser la banque en annulant ou en diluant ses actions, et en réduisant les créances détenues sur elle ou en les convertissant en actions. »
Le commissaire européen chargé du marché intérieur reconnait enfin que « Nous devons doter nos pouvoirs publics d’instruments qui leur permettent de réagir de manière appropriée aux futures crises bancaires. Sinon, les citoyens paieront à nouveau la facture, tandis que les banques continueront à agir comme avant, en sachant qu’elles seront à nouveau renflouées si nécessaire. »
La proposition de Directive Européenne du 6 juin 2012 est claire : « L’intervention des pouvoirs publics a coûté très cher au contribuable et a même compromis la viabilité des finances publiques dans certains États membres… Si la situation financière d’une banque devait se détériorer de manière irrémédiable, la proposition prévoit qu’il reviendra aux propriétaires et aux créanciers de la banque d’assumer les coûts de sa restructuration et de sa résolution, et non au contribuable. »
Tout semble parfait dans le discours, mais l’hypocrisie est de tenir un discours qu’on ne veut pas mettre en acte. L’Europe joue la montre : « We’re not dealing with the present crisis », a dit Barnier. « This is for the future. » Insidieusement, la Directive Européenne annonce que l’argent des oligarques n’a pas le même poids que celui du mouton contribuable : « En même temps, les mesures de résolution pourraient empiéter sur les droits fondamentaux des actionnaires et des créanciers. Elles ne seraient donc appliquées que dans des cas exceptionnels, et dans l’intérêt général ». Il n’est pas même envisagé un droit fondamental du contribuable, encore moins du citoyen !
Qu’enseignent les professeurs de finance à leurs étudiants ? Que le modèle de Merton calcule le taux d’intérêt du créancier de la banque. Ce taux est d’autant plus élevé que le risque des actifs détenus par la banque est fort. Il est d’autant plus élevé que la proportion de fonds apportée par les actionnaires est faible. Dans le modèle, le taux d’intérêt exigé par le créancier rémunère donc le risque de faillite.
Quels spécialistes financiers et quels professeurs de finance peuvent justifier que le créancier soit payé pour un risque qu’il transfère au citoyen quand il se matérialise ? Or, ce mécanisme jamais remis en cause même par ce sommet Européen, nous laisse une Banque Centrale ruinée pour aider les banques privées.
L’Europe est hypocrite. Son hypocrisie conduit à spolier les peuples et leurs fragiles démocraties. Les financiers ont la connaissance des mécanismes. S’ils continuent à se taire, ils partagent la responsabilité des désastres à venir. Ils ont le pouvoir de dénoncer les lenteurs délibérées de l’Europe et de défendre strictement le principe : faire payer les actionnaires et créanciers des banques avant les citoyens. Qu’en font-ils ? C’est une question que je pose à chacun d’eux.
Denis Dupré,
(professeur de finance, titulaire de la chaire « Manager Responsable » à l’Université de Grenoble)
Source: Le Monde Juillet 2012