Braquer la France d’en-bas et du milieu, enrichir celle d’en-haut
Les cartes sont biseautées, truquées, les dés sont pipés. Les vraies causes des déficits publics ne sont pas des dépenses publiques excessives, créées par l’État providence. On peut citer, au contraire, au moins quatre causes cumulées de leur origine et qui, toutes, jouent au détriment des petits pour privilégier les nantis : le sauvetage du secteur financier, le coût de la crise économique, la fiscalité favorable aux riches et l’évasion fiscale.
Le sauvetage du secteur financier
Dans Le prix de l’inégalité (Les Liens qui libèrent, 2012), Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie 2001, affirme que le sauvetage des banques en 2008 a permis « le transfert de richesse le plus massif de tous les temps : jamais dans l’histoire de la planète tant de personnes n’ont tant donné à si peu d’autres, qui étaient si riches, sans rien demander en échange. » Les financiers ont été « renfloués » avec l’argent du contribuable, tandis que, dans leur immense majorité, les petits emprunteurs immobiliers ont été abandonnés à la sanction des tribunaux, sous un régime des faillites que le Congrès avait rendu, un an plus tôt, extrêmement plus contraignant pour les débiteurs. Selon que vous serez puissant ou misérable…
Née en Amérique, la crise s’est propagée à l’extérieur. Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, précise : « Le 8 août [2008] la banque française BNP Paribas suspendit le décaissement de trois de ses fonds – la première grande crise financière du XXIe siècle avait commencé. » (Pourquoi les crises reviennent toujours, Seuil 2009) En France, on pouvait donc apprendre, en octobre 2008, que Bercy avait décidé d’injecter massivement, d’ici la fin de l’année : 10,5 milliards d’euros dans les six principales banques privées du pays. Sans aucune contrepartie puisque l’E
tat n’entrerait pas dans leur capital, ne prétendrait à aucun dividende ni aucun siège dans leurs conseils d’administration…
Le coût de la crise économique
La crise financière de 2008 s’est transmise à l’économie réelle qui a enregistré, de juillet 2007 à juillet 2009, des baisses de production industrielle comparables à celles du début des années 30. Pour y remédier, les Etats occidentaux (excepté l’Italie) ont choisi de financer une politique de relance, toutefois d’une ampleur insuffisante pour obtenir les résultats espérés. Pour sa part, la France, en 2009, a décidé un emprunt exceptionnel de 35 milliards d’euros pour financer des investissements. La crise économique a contribué à l’augmentation du chômage et à la réduction des recettes budgétaires, créant de forts déficits budgétaires en 2009. Pour rétablir leurs bénéfices, les entreprises, misant sur la productivité, ont diminué la main d’oeuvre et n’ont pas relancé les investissements, d’où la faiblesse de la croissance depuis l’été 2009.
Mais la récente récession ne suffit pas à expliquer l’endettement public en France. En fait, de 1980 à 2011, la dette française est passée de 20 % du PIB à 84,7 % du PIB. A la vérité, depuis 1980 la France ne s’est jamais extirpée d’une crise économique larvée, chronique, dont les méfaits ont pu être supportés, sans les rendre totalement indolores, grâce à des dépenses publiques anesthésiantes. Ces dépenses ont contribué à masquer un transfert de richesse : depuis les grandes déréglementations des années 1980, les revenus des classes moyennes ont stagné, tandis que la part de richesse des 1 % les plus riches est passée de moins de 10 % du PIB à plus de 20 % du PIB.
La fiscalité en faveur des riches
Pierre Larroutourou, économiste, animateur du collectif Roosevelt 2012, préconise, pour lutter contre la crise économique, de mettre fin au sabordage fiscal national et d’oser enfin une vraie « révolution fiscale » :
» Pour sortir de notre dépendance aux marchés et rééquilibrer nos comptes publics, on peut aussi trouver d’importantes marges de manœuvre au niveau national en annulant une bonne partie des baisses d’impôts octroyées aux grandes entreprises et aux citoyens les plus riches depuis dix ans :
» Le rapport du député UMP Gilles Carrez publié le 5 juillet 2010 est impressionnant : il montre que si on annulait l’ensemble des baisses d’impôts votées depuis 2000, l’Etat aurait chaque année 100 milliards de plus dans ses caisses. Si nous revenions simplement à la fiscalité qui existait en 2000 (nul ne la jugeait confiscatoire ou soviétiforme), notre déficit se transformerait en excédent ! » (C’est plus grave que ce qu’on vous dit… mais on peut s’en sortir, Nova Editions 2012)
Une révolution fiscale, c’est aussi ce que préconisent Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez. En effet, comme ils le démontrent dans leur étude (Pour une révolution fiscale, Seuil, janvier 2011), l’impôt sur le revenu est de plus en plus complexe et de moins en moins progressif, donc clairement injuste. Ils proposent de le remplacer par un nouvel impôt sur le revenu, se substituant à la plupart des taxes existantes. Il serait prélevé à la source sur les revenus du capital et du travail. Comme la CSG, avec la même assiette, et suivant un barême nettement progressif. Ce genre de réforme, instaurant plus de simplicité et de transparence, aurait également le mérite de rendre moins perceptible l’inégalité de traitement, par rapport aux classes dominantes, dont sont victimes les contribuables modestes, telle que l’illustre en particulier l’étude d’Alexis Spire : Faibles et puissants face à l’impôt » (Editions Raisons d’agir, 2012).
L’évasion fiscale
A l’issue de son enquête sur l’évasion fiscale en France, Antoine Peillon, grand reporter à La Croix, avait convié à un repas, près de la Bourse de Paris, ses principaux informateurs. Une question a été posée : quel est le montant global de cette évasion fiscale et quel coût représente-t-elle pour les finances du pays ?
» Au total, mes interlocuteurs évaluent presque unanimement les avoirs des Français fortunés dissimulés en Suisse à hauteur de quelque 100 milliards d’euros et à 220 milliards d’euros environ ceux qui se cachent dans l’ensemble des paradis fiscaux. « Sur les trente dernières années, avec un rendement moyen d’au moins 7,5 % par an, voire de 10 % dans les conditions les plus aventureuses, sur ces avoirs qui travaillent à l’abri des taxes, cela représente environ 20 milliards d’euros de revenus annuels totalement soustraits à l’impôt », poursuit Beth, la spécialiste de haut niveau de la gestion de fortune chez UBS, qui navigue entre Lausanne et Zurich, « soit un manque à gagner net de près de 10 milliards d’euros pour le fisc français, chaque année ».
A ce premier handicap financier pour l’État, il faut encore ajouter les 20 milliards d’euros qui sont aussi soustraits chaque année au fisc par les banques françaises, souvent au nom des grandes entreprises et des groupes, par les placements de quelque 370 milliards d’euros dans les paradis fiscaux, selon les données de la Banque de France et du Fonds monétaire international (FMI), croisées, en mars 2009, par l’hebdomadaire Marianne. » (Antoine Peillon, Ces 600 milliards qui manquent à la France, Éditions du Seuil, 2012)
En conclusion, s’agissant des avoirs des personnes les plus fortunées et des grandes entreprises, et d’après l’ensemble de ces estimations encore partielles, l’évasion fiscale en France est de l’ordre, au moins, de 590 milliards d’euros. Il en résulte que, chaque année, plus d’un tiers de l’impôt virtuel sur les revenus, soit environ 30 milliards d’euros, échappe au fisc…