Les scopistes de La Belle Aude fiers de leur succès
Laurence Mauriaucourt
Mardi, 19 Mai, 2015
L'Humanité
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Un chiffre d’affaires inattendu, de 30 % supérieur aux attentes pour ces salaires « responsables ».
Photo : Rémy Gabalda/AFP
Sauver les emplois et produire des crèmes glacées de qualité : ils l’ont fait ! Un an après la reprise de leur usine, les ex-Pilpa, qui ont repris leur usine à Carcassonne, feront goûter leur succès à François Hollande.
Figue, café, chocolat… À la Fête de l’Humanité 2014, par exemple, vous avez peut-être déjà dégusté une glace La Belle Aude produite par La Fabrique du Sud, la coopérative des ex-Pilpa de Carcassonne. Aujourd’hui, François Hollande est appelé à son tour à ne pas y aller avec le dos de la cuillère en matière de production d’emploi et de richesses « responsables ». Le chef de l’État visitera en effet l’usine sauvée par ses propres salariés, redémarrée il y a tout juste un an.
Ce mardi, journée d’anniversaire de la marque La Belle Aude, François Hollande aura-t-il songé à apporter un cadeau à celles et ceux qui ont lutté durant des mois pour travailler encore, mieux et durablement ? Selon Christophe Barbier, actuel président du conseil d’administration de la Scop (société coopérative ouvrière de production), ce qui ferait plaisir aux salariés associés carcassonnais, c’est que le président de la République « valorise » leur démarche, dans un souci d’intérêt général. « Nous lui exposerons les difficultés rencontrées pour créer notre société coopérative en matière d’accès aux informations, aux formations, dans le but que l’État épaule mieux les montages en Scop qui offrent une alternative économique qui peut sauver et créer de l’emploi. Il n’y a pas que des multinationales et des élites qui soient à même de décider du destin des ouvriers ! Ceux-ci peuvent tout à fait se prendre en main eux-mêmes. Nous souhaiterions que le président le fasse savoir ! »
« L’utopie était là au départ. Mais il a fallu s’entourer pour acquérir de nouvelles compétences », se souvient Christophe. Certes, les ex-Pilpa sont devenus force d’exemple et les unions régionales des Scop existent pour aider d’autres projets dans tout le pays. « Mais il faut le faire savoir, martèle-t-il. Une institution comme la Direccte, par exemple, pourrait par ailleurs encourager et soutenir les salariés vers cette démarche. Ceux qui sont payés aujourd’hui pour veiller à ce que les salariés licenciés obtiennent une bonne prime de départ pourraient, sur volonté de l’État, être formés pour les épauler dans la reprise ou la création d’une activité coopérative, parce que cette forme de travail permet aux salariés de se remodeler, de repartir sur des bases valorisantes », assure le scopiste audois.
Chaque année, 17 000 PME passent de main en main
Certes, des lois comme la loi dite Florange existent, « mais elles peuvent sans doute être améliorées », pour cet ex-Pilpa. La proposition de loi déposée par les députés du Front de gauche, récemment rejetée par le gouvernement et sa majorité, et consistant à mettre à disposition de tous les salariés un droit de préemption de l’entreprise en cas de cessation d’activité, ceux de La Fabrique du Sud la soutiennent. Cette proposition de loi prévoit par ailleurs d’étendre le droit à l’information et à l’assistance des salariés associés repreneurs. 17 000 PME employant de 5 à 100 salariés passent de main en main chaque année. Autant que ces mains soient tendues vers l’avenir plutôt que vers le seul profit immédiat.
« Il faut que cette façon alternative de conserver les emplois soit également prise en compte par l’Europe, qui elle-même a un rôle d’épaulement et de mise en réseau à jouer », note l’ouvrier glacier. Mais il faut aussi que chaque consommateur s’engage avec lui-même. « Nous avons fait connaître notre histoire au travers de la lutte. Alors, les citoyens ont fait la démarche de nous aider. Le succès du démarrage de l’entreprise, nous le devons à l’engouement social, d’un niveau inattendu sur le département de l’Aude. » Après le secteur toulousain, les glaces La Belle Aude s’exportent maintenant dans les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, toujours en reliant cette histoire ouvrière à la qualité du produit. L’ambition ? Que les produits La Belle Aude soient distribués nationalement. La stratégie à adopter passe par le vote des scopistes, qui n’ignorent pas le contexte du marché, où les pratiques notamment tarifaires sont établies de longue date.
Un an de production et le chiffre d’affaires de 30 % supérieur aux attentes pour des salaires « responsables » établis au minimum des conventions collectives concernées, allant de 1 250 à 1 900 euros selon le niveau de compétences. « Il va falloir fixer des objectifs supérieurs pour vivre durablement de notre travail », avance Christophe Barbier, sans jamais perdre de vue que
« nos glaces ont du sens ».
Glace au parfum de gauche. La recette des ex-Pilpa, devenus salariés associés de leur Fabrique du Sud, tient en cinq maximes. 1) militer ; 2) être soudés ; 3) avoir la même ambition, la même envie de prendre le chemin qui mène à la pérennisation de l’emploi sur un site pourtant promis à la fermeture ; 4) travailler à populariser l’histoire et le sens à donner aux produits pour espérer avoir le soutien des consommateurs ; 5) tenir sur la durée pour s’émanciper : en participant aux efforts, en donnant son opinion, valoriser les différentes compétences au même niveau.