L’Oligarchie des incapables
Ils monopolisent les postes les plus importants, cumulent les privilèges et font de l’argent leur principale passion. Ils se servent de l’Etat pour aider leurs amis, fabriquent des lois sur mesure pour leur bon plaisir et laissent le pays aux mains de bandes rivales. Patrons, hauts fonctionnaires, élus ou experts, ces oligarques nous gouvernent avec un mélange d’incompétence et de lâcheté.
Sophie Coignard, co-auteur de L’Omertà française, dont les enquêtes font trembler le monde politique, et Romain Gubert, journaliste au Point, nous révèlent vingt ans de compromissions et d’affaires cachées qui ont permis à une caste de maintenir son règne malgré ses échecs répétés. En toute impunité.
Ces oligarques comme les appellent les auteurs sont les détenteurs du pouvoir politique (élus, hauts fonctionnaires…) et du pouvoir économique (chefs d’entreprise, experts…) qui se servent de leurs réseaux pour coopter des responsables dont le compétence n’est pas la première qualité.
Dans une interview donnée à France-Info, Sophie Coignard parle des privilèges de cette caste qui retire des avantages personnels de leurs fonctions. Elle cite entre autres le cas de la maison de disques de Carla Bruni financée par la Caisse des dépôts et consignations. On se retrouve dans une nomenklatura à la française, qui sont peu nombreux et ont beaucoup de pouvoirs. La nouveauté c’est que, dans une époque particulièrement dure marquée par la crise, cette oligarchie s’éloigne du sort commun, déconnectée de la réalité quotidienne ; un système qui récompense des gens du sérail qui sont des incapables.
Le passage du public au privé de hauts fonctionnaires, ayant eu parfois à contrôler le secteur économique où ils prennent des postes de direction généreusement rétribués, se pratique malgré une commission de déontologie traitée parfois avec le respect dû à un paillasson. A ces travers persistants s’ajoute maintenant la puissance acquise par des intermédiaires et des consultants divers, dont on ne sait pas exactement ce qu’ils vendent à leurs clients. Des idées ? Des stratégies ? De la communication ? Ou bien de l’influence, dont le commerce s’appelle parfois trafic ? « Les voyous, dans les hautes sphères, sont devenus tendance », constatent les auteurs, qui ont raison sur tous ces points.
Leur tort est de s’obstiner à mettre en cause « l’élite » qui, même réduite à celle des fonctionnaires – ce qui laisse de côté une vaste population de patrons, médecins, professeurs, syndicalistes, officiers et autres cadres -, ne mérite pas l’opprobre globalement jeté sur elle. La place prise par la finance et par la compétition économique dans les affaires publiques donne leur chance aux moins scrupuleux, mais il est faux de laisser entendre que le milieu tout entier est à leur image.