« La réconciliation des âges, la solidarité entre les générations ». Au Bourget, en 2012, François Hollande avait le verbe haut et la fougue d’un candidat en campagne. Le contrat de génération, son bébé pour l’emploi, était un coup à trois bandes, censé résoudre tout à la fois le chômage des jeunes, celui des seniors, ainsi que la question de la transmission des savoirs et des compétences. Les objectifs étaient même chiffrés : 500 000 contrats de génération devaient être signés sur cinq ans, selon l’étude d’impact préalable au projet de loi, publiée en décembre 2012. Trois ans après le début de son quinquennat, il n’y a vraiment pas de quoi pavoiser : seuls 40 000 contrats de génération ont été signés, et fin décembre 2014, en tenant compte des ruptures, il y avait seulement 27 803 personnes en contrat de génération en France.
Le dispositif a pourtant été assoupli, l’aide financière élargie, les sanctions repoussées. Peine perdue. « Eh bien oui, ça ne marche pas, admet un proche de François Hollande.Mais on essaie, on expérimente. Ce n’est parce que cela ne se traduit pas en résultats qu’on ne fait rien. Ceux qui ont pensé le dispositif n’étaient pas une brochette d’abrutis. Nous sommes en train de réfléchir à d’autres formules. » Un désaveu, pour des « contrats de génération » censés être à François Hollande ce que les emplois jeunes furent à Lionel Jospin, le symbole d’une politique volontariste et de la baisse du chômage.
L’idée est née dans le tout premier cercle autour de François Hollande, quand il n’était encore candidat à rien mais qu’il préparait son projet en vue de la primaire. Il y a trois ans, son bras droit de l’époque, l’actuel ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, nous en racontait la genèse : « C’était en 2010, avant un débat télévisé prévu avec Xavier Bertrand. On était chez François et on gribouillait des notes pour préparer l’émission. Il avait l’idée de lutter à la fois contre le chômage des jeunes et celui des seniors. C’est lui qui a trouvé le nom “contrat de génération”. » Le projet, d’abord très bricolé, est ensuite mouliné par plusieurs proches du futur président, dont l’avocat Dominique Villemot, et il est inspiré d’échanges avec plusieurs chercheurs dont la spécialiste du vieillissement Anne-Marie Guillemard.
Sur le papier, le principe est simple : les entreprises de moins de 300 salariés reçoivent une aide financière en échange de l’embauche d’un jeune assortie du maintien dans l’emploi d’un senior. Mais la carotte des 4 000 euros par an pendant trois ans n’a pas suffi à déclencher de folles vocations. Là où ça marche, c’est quand l’entreprise va bien, et qu’elle aurait de toute façon embauché. « L’aide, c’est un coup de pouce, c’est sûr. Mais ça n’a pas été déterminant », explique Jean-Paul Da Costa, PDG de l’entreprise CPC, installée en banlieue parisienne et spécialisée dans le conditionnement de produits de luxe. Il a signé quatre contrats de génération : « Cela nous a incités à embaucher en CDI des jeunes que nous aurions auparavant sûrement testés d’abord en CDD. » Selon une étude de la Dares, le commerce, l’industrie et la construction seraient les principaux utilisateurs du dispositif, en ayant requalifié en CDI de jeunes ouvriers déjà présents dans l’entreprise avant leur embauche.
Le contrat de génération, trop souvent présenté comme un outil sur mesure pour l’artisanat, concerne normalement tout le monde, les petites comme les grosses entreprises. Toutes celles de plus de 50 salariés sont tenues de mettre sur pied un accord d’entreprise. Mais la Dares estimait que, là encore, moins de la moitié des entreprises concernées étaient dans les clous. La menace d’une sanction équivalente à 1 % de la masse salariale, en l’absence d’accord dans les entreprises de plus de 300 personnes, n’y change pas grand-chose car elle est rarement appliquée. Et quand elles signent, elles restent très prudentes sur le volume d’embauches prévues.
« Les contrats de génération ont été vendus comme une mesure révolutionnaire mais c’est surtout de la communication ! Ils ne décollent pas et ne décolleront pas tout simplement parce que les employeurs rechignent à recruter ou à garder leurs seniors. C’était déjà le cas avant la crise et ça l’est encore plus aujourd’hui. Pour les jeunes, l’arsenal de mesures a contenu la progression du chômage », décrypte un directeur du travail sous couvert d’anonymat. À la tête d’un territoire où il y a autant de jeunes que de seniors demandeurs d’emploi, il a « toutes les peines du monde » à donner un chiffre précis quant au nombre de contrats de génération signés dans sa région, « tant c’est le fiasco ».
« Le principal problème, c’est que tous ces dispositifs pour l’emploi se cannibalisent les uns les autres, assure l’économiste Philippe Azkenazy qui a, dès le début, eu des mots très durs contre le contrat de génération. Et puis, vous aurez beau faire les plus beaux projets du monde, ce sont des mirages si les carnets de commandes sont vides, c’est aussi simple que ça. » Ce que reconnaît aussi un proche conseiller du chef de l’État : « Lorsqu’il y a une grosse concentration de mesures en faveur de l’emploi, les dispositifs finissent par se vampiriser. » Pour Annie Jolivet, du Centre d’études de l’emploi, la conjoncture économique rend effectivement « difficile la planification des recrutements », tout comme la « complexité du dispositif, avec des aides, des incitations, et des sanctions différentes selon la taille de l’entreprise, ce qui rend ardue son appropriation. » Même la sociologue Anne-Marie Guillemard, consultée, est très critique : « J’avais parlé du contrat de génération avec François Hollande avant sa prise de fonctions. C’était une belle idée car enfin, on arrêtait de jouer les jeunes contre les vieux ! Mais au final, le dispositif est bien trop grossier pour pouvoir fonctionner et ça dénote, selon moi, une méconnaissance profonde du monde du travail. »
À Annecy, en Haute-Savoie, le sous-traitant automobile NTN-SNR-Roulements, filiale du groupe japonais NTN, qui emploie 2 400 salariés, par ailleurs champion de l’abus d’intérim (lire ici notre article), a conformément à la loi ouvert des négociations en juillet de l’année dernière, intégrant les contrats de génération dans un texte fourre-tout sur l’emploi. Bilan un an plus tard : les contrats de génération se comptent sur les doigts d’une main. « Aucun senior ne veut lâcher en fin de carrière la moitié de son salaire par les temps qui courent et être à temps partiel », raconte Jean-Paul Macé, le délégué CGT de l’usine. Pour ce syndicaliste, ce dispositif, qui va « à l’encontre de la reconnaissance et de la réparation de la pénibilité par retraite anticipée », « c’est de la poudre aux yeux » : « Dans l’industrie, les salariés en production, lorsqu’ils approchent de l’âge de la retraite, n’ont qu’une hâte : se barrer en pré-retraite car ils n’en peuvent plus, usés par la pénibilité. Le contrat de génération qui les maintient dans l’emploi, pour eux, c’est tout le contraire de ce qu’ils recherchent. »
Capture d'écran du site internet du ministère du travailCapture d’écran du site internet du ministère du travail
Quelques rares grosses entreprises, en bonne santé financière, jouent néanmoins le jeu. C’est le cas de la Maif, dont le chiffre d’affaires progresse d’année en année, et qui a promis d’embaucher 230 contrats de génération d’ici à 2016. L’entreprise souhaitait ouvrir ses lignes d’appel aux adhérents le samedi, mais se heurtait à la réticence des salariés à travailler le week-end. Le contrat de génération est donc apparue comme la martingale idéale : les jeunes embauchés, tous étudiants, sont à temps partiel et ne travaillent que le samedi et les vacances scolaires. « C’est une ressource disponible là où le salarié classique ne l’est pas, explique Laurent Vidal, responsable de la plateforme dédiée aux sinistres de Marseille, où 35 “contrats de géné” travaillent depuis septembre dernier, soit plus de la moitié des effectifs. Le contrat de génération a été la bonne opportunité pour une réorganisation. »
Même si le volet senior est inscrit dans l’accord, le dispositif mis en place, plutôt vertueux, ressemble surtout à une politique volontariste d’emploi pour les jeunes. La plupart des jeunes embauchés que nous avons interrogés avouent d’ailleurs qu’ils sont très enthousiastes, notamment sur le caractère pérenne de ce job d’étudiant. « Je travaille depuis que j’ai 16 ans dans l’agriculture, comme agent d’entretien ou vendeur, raconte Pierre Verhelst, futur ingénieur. J’en ai besoin pour payer l’école, le loyer, les factures. Là, c’est mon premier CDI. » Si jamais ça coince après le diplôme,« on a toujours la possibilité de rester ici, c’est plutôt rassurant, et puis c’est toujours mieux sur un CV qu’un boulot à Mac Do », note Manon Rosset, qui termine cette année son école de commerce.
À ce titre, la Maif est dans la moyenne, toujours selon l’évaluation de la Dares : dans les accords signés, les engagements sur le front des embauches sont majoritairement réservés aux jeunes, le volet senior ayant tendance à passer à la trappe. À titre d’exemple, près de 190 000 emplois d’avenir, autre instrument de la boîte à outils gouvernementale, ont effectivement été signés depuis le début du quinquennat. C’est même plus que ce qu’avait prévu le gouvernement. François Rebsamen a d’ailleurs déclaré lundi, à l’annonce des chiffres du chômage, vouloir financer 100 000 contrats aidés supplémentaires.
Quant à la transmission des compétences et la cohabitation fructueuse entre les générations, elles ont davantage été utilisées comme un outil marketing pour vendre le projet que comme un réel objectif à atteindre, que ce soit dans les petites ou les grosses entreprises. « Objectifs, contenu et modalités de la transmission sont totalement laissés à la responsabilité de l’entreprise, relève l’article écrit par Annie Jolivet, avec l’ergonome Jeanne Thébault. Il suffit que le binôme ait cohabité au moins six mois et un jour pour valider l’aide sur les trois ans. » Les deux chercheuses notent par ailleurs un « risque de siphonnage de l’axe transmission par l’axe insertion durable des jeunes dans l’emploi : n’y seraient mentionnées que des actions floues ou très générales puisque toute l’attention est portée sur l’emploi des jeunes et qu’aucun enjeu n’est mis en évidence pour la transmission entre les salariés qui ne sont ni jeunes ni âgés ».
L’autre critique concerne le coût d’une telle politique. Selon les derniers chiffres de la DARES, à la fin octobre 2014, 64 millions d’euros ont été versés par l’État aux entreprises pour les embauches réalisées en 2013 en contrat de génération. Ce qui donne une aide moyenne par trimestre et par contrat de génération de 820 euros. Cela s’ajoute aux aides dédiées aux emplois d’avenir, réservés au secteur non-marchand, qui vont de 35 à 75 % du taux horaire brut du Smic. En mars dernier, François Rebsamen a également lancé le dispositif Starter, en direction des entreprises du privé. Il s’adresse aux jeunes non-qualifiés de moins de 30 ans et prévoit une aide de 45 % pour les employeurs. Ironie du sort, c’est grâce à Mac Donald, grand pourvoyeur de CDI à temps partiel, que le ministre du travail a inauguré son dispositif…
Là où le pouvoir socialiste se casse les dents, comme d’autres avant lui, c’est bien sur le chômage des seniors. La faiblesse du contrat de génération est d’autant plus gênante que la question de l’emploi des seniors pèse, année après année, toujours plus lourd. Même la dernière trouvaille du gouvernement, annoncée en juin dernier par François Rebsamen, d’un contrat par alternance pour les seniors en chômage de longue durée, a fait long feu. « On l’attend toujours », confie un directeur du travail qui ne cesse d’alerter depuis 2008 sa hiérarchie sur le sujet. Selon un rapport de l’OCDE publié en janvier 2014, seuls 55 % des seniors sont passés directement de l’emploi à la retraite ces dernières années. Les autres ont connu à la fin de leur carrière de longues périodes de non-emploi. Le chômage des seniors augmente de manière soutenue depuis 2007, ils sont aujourd’hui près de 850 000 à être privés de travail, plus de 0,9 % depuis le mois dernier.
François Hollande, au Bourget encore, faisait ce constat : « Partout où je vais dans les usines, deux sortes de travailleurs viennent me voir. Les plus anciens, qui me posent une seule question : quand est-ce que nous allons partir ? Et les plus jeunes, qui me posent une seule question : quand est-ce que nous allons pouvoir entrer ? » Le gouvernement socialiste, après trois ans d’exercice du pouvoir, cherche toujours la réponse.