vendredi 3 juillet 2015

A qui profite le Crédit Impôt Recherche ? (l'Humanité)

A qui profite le Crédit Impôt Recherche ?

Mardi, 30 Juin, 2015
Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice communiste (CRC) des Hauts-de-Seine
Alors que la dépense budgétaire directe est régulièrement soumise à contrôles et évaluation, il semble qu’il n’en soit pas de même pour la dépense fiscale. Le sort réservé au rapport de la Commission d’enquête sur la réalité du détournement du Crédit d’impôt recherche (CIR), créée à l’initiative du Groupe Communiste, Républicain et Citoyen au Sénat, en témoigne. Rejeté par dix voix contre huit le 9 juin dernier, ce rapport, que j’ai rédigé en tant que rapporteure, ne sera donc jamais officiellement publié.
Faute de rapport, nous avons donc publié sur notre site internet la contribution que notre Groupe avait prévue d’'y annexer, considérant que la fin de l’omerta pesant sur ce dispositif de près de 6 milliards d’euros relève d’une exigence démocratique et fiscale !
En effet, depuis la réforme conduite par le gouvernement Sarkozy en 2007, le CIR est entré dans le Top 10 de la dépense fiscale. Il paraissait dès lors logique que le Sénat se penche sur sa consistance, son application, son évaluation, son contrôle et les éventuels détournements d'objet dont il peut être la source, à l'égal des travaux déjà accomplis par la Cour des Comptes en 2013. D’autant que ce dispositif en faveur de la recherche privée pourrait atteindre les 9 milliards d’euros, comme le montrait le rapport.
Un affrontement politique sur le financement de la recherche et l’utilisation, à ce titre, de l’outil fiscal, existe dans notre pays. Une des difficultés a donc consisté à faire vivre le débat d’idées, du fait même d’une posture idéologique très forte des partisans de tous bords du CIR.
La Commission d’enquête a permis d’interroger le dispositif du CIR et sa capacité à relancer une véritable politique industrielle dans notre pays. Dispositif aveugle, le CIR ne permet pas de cibler de grandes priorités de relance industrielle et s’articule difficilement avec les grands chantiers prioritaires que le gouvernement a lui-même fixés. Depuis vingt ans, c’est la recherche de rentabilité financière qui tient lieu de politique industrielle. Le bilan catastrophique des délocalisations en témoigne.
Le rapport le montrait, le CIR est un dispositif très peu évalué et peu contrôlé pour des raisons multiples précisément détaillées.
Le CIR doit aussi être appréhendé dans un contexte de concurrence fiscale effrénée en Europe et à l’échelle mondiale. En volume, il profite davantage aux grands groupes et la part octroyée aux services y est singulièrement importante. Le CIR bénéficie ainsi à des grandes entreprises du CAC 40 dont certaines ont des activités de recherche dont la progression réelle de « l’état de l’art » est peu probante voire nulle et qui pour certaines n’acquittent aucun impôt sur les sociétés en France. A cela se mêlent des effets d’optimisation fiscale – à notre sens scandaleux – à travers le lieu d’immatriculation de certains brevets, la pratique des prix de transfert et la localisation dans des paradis fiscaux des entités percevant des redevances découlant de ces brevets. Brevets qui, pour partie, sont financés avec du CIR ! Quid alors pour notre pays et son tissu économique et industriel, du retour sur investissement de la mobilisation d’une créance publique ?
Ce dispositif offre également des effets d’aubaine à des cabinets de conseils qui se rémunèrent sur le montage de dossiers CIR, percevant entre 10 à 20% en moyenne, parfois 30%, du montant du CIR.
Le CIR doit enfin être envisagé dans le contexte d’une transformation profonde de la recherche opérée dans notre pays. Les réformes successives de la droite - Pacte pour la Recherche en 2006, LRU en 2007, ANR, pôles de compétitivité, Labex, Idex - ont modifié très fortement le financement et les conditions de la recherche qui est passée d’un modèle financé par des crédits pérennes et programmés à une recherche sur projet ; modèle d’ailleurs renforcé par la loi Fioraso de 2013. Confronté à l’état de sous-financement des laboratoires et organismes publics et à la précarisation continue des personnels, les interpellations du monde de la recherche publique sont donc légitimes pour réclamer un rééquilibrage de la créance publique mobilisée au travers du CIR.
Comment en effet accepter ce double constat : d’un côté une recherche publique - reconnue internationalement - de plus en plus étranglée ; de l’autre un CIR opaque, sans évaluation, accompagnant sans le redresser le déclin de la recherche industrielle.
Ce déséquilibre est dangereux et nous proposons d’y mettre un terme : en relançant la recherche fondamentale via des moyens pérennes et programmés pour la recherche publique et en développant l’emploi, avec une attention particulière pour l’insertion des jeunes docteurs ; en couvrant les besoins de financement des entreprises innovantes par le système bancaire et non par un aménagement de la fiscalité. Cela doit passer par la constitution d’un pôle bancaire et financier public, car loin de manquer de projets, les PME innovantes manquent surtout d’un accès au crédit pour les réaliser.
Si le gouvernement Valls a fait le choix politique de « sanctuariser » ce dispositif, le rapport censuré montre nettement l'acuité du débat ouvert sur les problématiques de la recherche et de l'industrie dans notre pays.