mercredi 8 juillet 2015

Le « non » grec, ou l’illusion d’un changement, par Gabriel Rabhi (cercle des volontaires)

Le « non » grec, ou l’illusion d’un changement, par Gabriel Rabhi

 
Referendum-grec-une-victoire-pour-Tsipras V2Gabriel Rabhi, auteur du documentaire « Dette, crise, chômage : qui crée l’argent ? » revient sur le referendum grec qui a vu une large victoire du « non » dimanche dernier. Pour lui, contrairement aux apparences, ce referendum n’illustre pas une aspiration du peuple à la souveraineté.

Suite au « non » du peuple grec, l’euphorie qui s’exprime traduit l’émergence d’un espoir de changement réel et une formidable solidarité des peuples européens. C’est un moment fort de la vie politique européenne qui voit un gouvernement renforcer par référendum sa position dans une négociation asymétrique. Ce n’est pas tant le retour d’un peu de démocratie que le sentiment que, depuis longtemps, nous n’avions pas vu la condition des populations avoir un impact aussi direct sur la politique d’un gouvernement. Mais ce « non » initie-t-il vraiment une évolution des conditions de vie du peuple grec ?
L’impromptue de ce référendum ferait presque oublier l’essentiel, c’est à dire la question posée. En réalité, il fut moins question de reconquérir la souveraineté du pays que d’affirmer son adhésion à une négociation avec des institutions extérieures au pays. En cela, et quelle qu’en soit la réponse, le référendum légitime bien la soumission à un pouvoir supranational, sans remettre en question la légitimité de ce pouvoir et poser la question de la souveraineté du pays.
Ce « non », par le taux de participation à ce référendum, c’est ainsi l’affirmation de l’adhésion à l’Euro et à l’Union Européenne. On peut supposer que ceux qui ne consentent pas à perdre leur souveraineté n’ont pas voté, la question posée ne les concernant pas. C’est l’apparition du référendum dans la vie politique qui est l’évènement, la question posée étant un non évènement. Et cela en dit long sur les qualités démocratiques de nos institutions.
La souveraineté d’un pays se cristallise dans ses institutions, au travers des droits régaliens dont il a le privilège sur son territoire, les principaux étant le droit de faire les lois, de battre monnaie et de lever des armées. Or, la construction européenne réalise précisément un transfert de souveraineté des pays membres vers des structures politiques et monétaires supranationales. Et force est de constater que, sur le plan démocratique, ces institutions supranationales sont plus que critiquables, et que sur le plan économique, elles sont très fortement néolibérales. Le fait est que nous élisons des représentants nationaux qui n’ont plus de pouvoir, et nous avons un pouvoir européen pour partie non élu, le tout étant la cible d’une armée de Lobbyistes en tous genres. Quel pouvoir a la Grèce, qui représente 2% du PIB, d’influencer la gouvernance de l’UE de sorte que la politique monétaire soit en phase avec son économie et que la législation soit en accord avec les opinions de son peuple ?
Car précisément, en l’absence d’union budgétaire et fiscale, dans l’espace de libre échange, les pays membres de la zone euro ne peuvent partager une monnaie commune sans que cela pose d’insolubles problèmes à leurs économies. Si les Grecs ont perdu 25 à 30% de leur pouvoir d’achat et que le chômage a littéralement explosé, c’est aussi du au fait que l’euro n’est pas adaptée à leur économie, à leur dette, à leurs ressources, à leur compétitivité et à leur budget. Tant que l’Union Européenne n’aura pas un budget commun, avec des redistributions de pouvoir d’achat, les zones riches (l’Allemagne, les pays du nord) payant pour soutenir les zones les plus pauvres (Grèce, Portugal, Italie…), la résultante de la monnaie unique sera un accroissement des disparités de niveau de vie. Or, cette étape n’est pas à l’ordre du jour, le peuple allemand étant peu enclin à donner une partie de ses revenus au peuple grec ou portugais, au seul motif de la construction européenne. La notion de peuple européen est en ce sens assez illusoire.
En d’autres termes, soit les Allemands font un pas vers la restructuration de la dette grecque pour favoriser l’intégration européenne, au détriment de leur pouvoir d’achat (un peu comme lors de la réunification allemande), soit ils refusent tout compromis, et la Grèce pourrait être contrainte de sortir de la zone euro pour avoir les moyens de ses prétentions politiques. Et c’est bien pour cette raison qu’il est question d’un Grexit, une sortie désordonnée de la Grèce de la zone euro, largement décidée, si c’est le cas, par la chancellerie allemande.
Or, pour que Grexit il y ait, et qu’une politique conforme au message donné par le peuple soit mise en œuvre, soit la fin de l’austérité, il faut une volonté politique claire qui ne semble pas au rendez-vous. Le gouvernement Tsipras n’a jamais, pour le moment, prétendu vouloir sortir de la zone euro, et n’a réalisé aucun préparatif en ce sens. Le seul moyen d’une politique économique réellement différente est la nationalisation des banques et la reprise en main de la banque centrale. Il s’agit là, de fait, d’une sortie de la zone euro. Les conséquences politiques supposées du « non » grec sont donc largement surestimées, puisque ce gouvernement n’a en rien l’intention de récupérer sa souveraineté monétaire.
Il est donc légitime de s’interroger. Soit le gouvernement Tsipras se couche rapidement face à l’intenable blocage des banques qui déboucherait sur une crise sociale pouvant le démettre en quelques jours ou semaines, au profit d’un gouvernement docile, soit il persiste et prend dès aujourd’hui les dispositions nécessaires à son indépendance monétaire et il organise sa sortie de la zone euro pour avoir les moyens de sa politique.
Dans le premier cas, les Grecs obtiendront quelques concessions de la partie adverse, permettant au gouvernement Tsipras de sortir la tête haute, mais leur condition réelle ne sera pas significativement améliorée et le problème de l’inadaptation de la monnaie unique à leur économie se reposera dans quelques mois ou quelques années.
Dans le second cas, avec une dévaluation de 30% de sa monnaie, la Grèce passera par une période de difficulté financière et économique pour déboucher sur une reprise et une amélioration de la condition de vie de son peuple. Elle pourrait faire la démonstration que sortir de la zone euro est une alternative viable, ce qui serait une réelle catastrophe pour les européistes.
La seconde hypothèse est exclue par le gouvernement Tsipras, et le peuple Grec a renouvelé son attachement à l’Euro. Et l’on peut craindre que si la Grèce reste dans la zone euro, lorsqu’à nouveau elle sera confrontée à ses difficultés économiques et à son endettement, ce référendum ne serve d’argument au profit de l’intégration européenne. Il pourrait être instrumentalisé pour démontrer qu’il n’y a pas d’alternative à l’intégration européenne : budget et fiscalité sont la suite logique de la construction Européenne, quoi qu’en pensent les peuples, car c’est le projet européen et atlantiste qui, au milieu du gué, ne souhaite sous aucun prétexte reculer.
En ce sens, on pourrait craindre une stratégie du choc : l’instrument bancaire grec, sous contrainte extérieure, permettrait dans les jours prochains la crise sociale nécessaire à faire accepter aux Grecs une soumission contradictoire avec le message anti-austérité qu’ils ont envoyé par ce « non » au référendum.
Le fait est que le souverain est celui qui frappe monnaie : on peut craindre que le gouvernement grec en fasse prochainement l’expérience.
Gabriel Rabhi
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