Rentrée des classes : l’esprit d’entreprise au sein de l’école
Michèle
JANSS
L’école est une institution que nous croyons tous connaître pour l’avoir
fréquentée durant de nombreuses années. Pourtant, une nouvelle idéologie y
pénètre, trompant notre vigilance démocratique, pour mieux servir le
« management » qui attend les futurs salariés. Son fonctionnement repose sur 3
concepts : compétitivité et excellence, culture de l’ évaluation,
responsabilisation et citoyenneté.
Compétitivité-excellence
L’enseignement doit servir, par son excellence, à développer une Europe
compétitive.
Historiquement, socialiser et éduquer les enfants du peuple fut la première
fonction de l’école obligatoire. Considérée comme un outil d’émancipation des
classes populaires, en réalité l’enseignement se met pour l’essentiel au service
des idées dominantes qu’on retrouve actuellement dans les discours des
organisations internationales telles que l’OCDE, la Commission européenne,
notamment.
Ainsi, l’école devient le lieu de la promotion de concepts tels que
l’employabilité, le développement des compétences, de performance et de
compétition, d’efficacité, de mérite et d’ apprentissage tout au long de la
vie.
Tout ceci est en complète contradiction avec les valeurs de solidarité, de
gratuité, d’égalité, de fraternité, de justice sociale. Le pacte d’excellence
lancé par Madame Milquet (Ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance
en Belgique, NdR) repose sur les idées que :
« Notre marché du travail est demandeur de qualifications croissantes et
d’innovations constantes. »
« Un enseignement de qualité permet d‘accroître le nombre d’emplois ».
(1)
C’est sans tenir compte que beaucoup de jeunes sans emploi ont obtenu des
diplômes d’ études supérieures, que les offres en matière d’emploi ne sont pas
suffisantes pour donner du travail à tous et que le marché propose aussi une
grande part d’emplois non spécialisés ou non appris à l’école (nettoyer, remplir
les rayons des magasins, conduire des camions... )
Le pacte d’excellence fait régulièrement référence à l’OCDE et aux
partenariats avec les entreprises dans une logique de soumission jamais remise
en question. Il oublie au passage l’ « excellence sociale » et ne prévoit pas de
nouveaux financements pour l’enseignement : il y a moyen de faire mieux avec ce
qu’on a ! Il suffirait d’appliquer les « bonnes recettes ». Mais on reste très
vague sur la manière d’y arriver et il est certain que, en conservant le
fonctionnement hiérarchisé auquel les professeurs doivent se soumettre, cela ne
pourra pas se réaliser.
Les politiques sociales devraient avoir pour objet l’ amélioration des
conditions de vie des citoyens, notamment par la redistribution des revenus et
des profits. En mettant l’accent sur la prise de risques individuelle, en
oubliant les injustices sociales que subissent parents, élèves et professeurs,
nos écoles se transforment en un mécanisme d’approfondissement des inégalités et
camouflent les injustices de notre système économique : l’élève est devenu
« capital humain »
La connaissance est considérée comme une marchandise ou comme un luxe, alors
qu’elle est avant tout un droit.
Evaluations
L’élève, devenu « capital humain » doit donc être flexible, réactif et ses
compétences suivront l’évolution du marché du travail. Celui-ci implique
spécialisation, subdivision et hiérarchisation des tâches.
L’évaluation devrait lui servir à se situer pour améliorer son apprentissage
et les méthodes utilisées pour y arriver. Au lieu de cela, elle devient un
projet de domination, de contrôle et de tri, au service du profit et de la
concurrence. Il est prévu, sans cesse, de réactualiser les enseignements, de
placer les individus dans des profils imposés, de produire un « carnet des
compétences acquises » standardisé.
Cette course à l’évaluation entraîne une lourde gestion administrative. Les
équipes pédagogiques pourraient bénéficier des progrès de l’informatique pour
faciliter cette opération mais on en est encore bien loin. Les bulletins à
remplir via internet et les fichiers informatiques pensés pour simplifier ces
tâches doivent être achetés par les écoles à des développeurs privés. Le service
public n’ a que très peu pris en charge ce domaine. Les écoles manquant de
moyens s’en trouvent donc pénalisées.
Les professeurs, apparemment libres d’organiser leur travail, sont soumis à
des choix pédagogiques imposés qui ne correspondent pas à la réalité du terrain
et qui ne tiennent absolument pas compte du bien être des individus, professeurs
et élèves.
Une organisation administrative lourde, non transparente et tatillonne
complique la tâche. Par exemple, les bilans et examens produits par les élèves
sont actuellement archivés en vue d’une homologation dont la fonction de double
contrôle est discutable. Ces travaux devraient plutôt être rendus aux étudiants
afin de leur donner la possibilité d’en comprendre l’évaluation et de les
retravailler comme cela se fait dans la plupart des systèmes d’enseignement.
Le fonctionnement même des conseils de classe est pervers. On décide en peu
de temps (beaucoup d’élèves sont passés en revue) du sort des étudiants sans que
ceux-ci puissent avoir accès à ce qui se dit à leur sujet. Le secret des
délibérations est même sacré dans certains établissements. Les décisions sont
présentées comme collégiales et les méthodes pédagogiques, le système mis en
place ne sont pas évalués. Des injustices de fonctionnement sont constatées et
on croit mettre tout le monde sur un pied d’égalité grâce à des évaluations
externes. On se dirige ainsi vers un enseignement « standardisé » où
l’enseignant ne peut plus faire passer un savoir qui lui est propre de la
manière qui lui semble la plus profitable. Il devient un « coach » qui prépare
les jeunes à se mettre sur le marché.
Une évaluation n’est pas neutre. Toute personne évaluée essaie de « coller »
aux critères de l’évaluateur. Ainsi, actuellement, pour « passer » il vaut mieux
être moyen dans tout que excellent dans quelques matières et mauvais dans
d’autres. On préfère faire redoubler un élève qui n’a pas sa moyenne en math
alors qu’il est excellent dans les branches littéraires et qu’il désire faire
« droit » ou « journalisme » par exemple. L’excellence promise n’est
actuellement pas encouragée.
« L’important est de « respecter les règles », qui sont les mêmes pour tout
le monde. L’élève en question n’aura qu’à faire un effort, tant pis si sa
confiance en lui en prend un coup. Loger tout le monde à la même enseigne
rend-il le système plus « juste » pour autant ? » (2)
Aligner tout le monde sur une ligne de départ et décréter que les règles
doivent être les mêmes pour tous ne débouche évidemment pas sur un parcours
égalitaire. L’enseignement ne consiste pas à produire le règlement d’une
compétition mais à entraîner tous les participants pour en faire des
« athlètes ».
Citoyenneté-Responsabilisation
Malgré les exigences d’autonomie et de responsabilité, la soumission à
l’autorité et au respect des normes est présente partout. Il ne s’agit pas de
repenser le monde mais de s’ y adapter : si l’élève (ou le prof) ne se conforme
pas aux attentes de l’école, s’il est hors normes, il sera mal évalué.
L’ adhésion spontanée et l’apprentissage tout au long de la vie semblent
pourtant être préférés à l’obéissance imposée. Le discours est dangereux car il
a l’apparence d’ un progrès. Ce ne sont d’ailleurs pas ces valeurs qu’il s’agit
de combattre mais bien l’usage qui est en est fait : en réalité, tout le monde
finit par obéir aux « lois du marché » qui sont présentées comme naturelles et
rarement remises en cause.
L’ individualisme développé dans les parcours scolaires gomme la part de
responsabilité des pratiques pédagogiques dans les échecs individuels. Les
élèves sont amenés à faire des choix, sans qu’on se préoccupe des conditions
sociales et matérielles qui déterminent leur rapport à l’école. Il ne peut ainsi
plus être question de se révolter contre une injustice puisque les individus ont
« choisi » leur parcours. Sans envisager que, peut-être, n’ont-ils pas eu
vraiment le choix ?
Quant à l’ autonomie souhaitée, elle est très contrôlée et se borne souvent à
proposer un nombre limité de méthodes pour atteindre les objectifs déterminés
par les idéologies dominantes.
La citoyenneté responsable se situe en bonne place dans le pacte
d’excellence. Un projet de « cours de citoyenneté » est d’ailleurs à l’étude. La
citoyenneté devrait pourtant être l’affaire de tous les cours et de tous les
moments dans une école fonctionnant de manière démocratique et participative :
on est encore très loin d’atteindre cet objectif.
C’est d’abord un étudiant « consommateur » qu’on tente de former. La vraie
citoyenneté consiste à être capable de porter un regard critique sur les choses
plutôt que de s’y adapter à tout prix, à chercher l’équilibre possible entre
liberté individuelle et intérêt collectif. Pour y arriver, il sera nécessaire de
développer les connaissances de base en économie et sociologie, en philosophie
et histoire de la pensée, en psychologie, en anthropologie... Toutes ces
matières qui ne font pas partie du « programme » scolaire ou alors si peu...
Que faire ?
Dans un monde où la rentabilité et la compétitivité comptent plus que la
gratuité et le « bien vivre », enseignants, parents et élèves doivent cultiver
« l’être ensemble » plutôt que la lutte pour une place. L’enseignement est un
partage. Il est indispensable de s’opposer ensemble à une école de
« consommation », d’exiger un enseignement obligatoire réellement gratuit pour
tous et de dénoncer les discours et les pratiques soumis aux lois du marché.
En France et en Belgique, notamment, sont apparus des mouvements indépendants
qui dénoncent les dérives des pratiques actuelles dans la recherche et
l’enseignement et appellent tant à un ralentissement – la Slow Science – qu’à un
recentrage sur des valeurs favorisant l’émergence d’un travail de qualité :
partage, désintéressement, honnêteté, plaisir...
Il faut :
Refuser de traiter les étudiants en « clients » ou
« consommateurs », notamment :
- en mettant au cœur de l’enseignement ce qui
fait la force, le plaisir et la richesse de la recherche dans la construction
des savoirs – par exemple, par la multiplication de liens entre cours,
séminaires et travaux pratiques, et par le développement de dispositifs
pédagogiques qui permettent la construction conjointe des savoirs ;
- en
combattant l’infantilisation des étudiant-e-s dans le processus d’apprentissage
(dû, entre autre, à la standardisation des contenus et des attentes), qui
concourt plus à les maintenir dans un statut « d’étudiant » qu’à former des
adultes curieux et critiques ;
- en évitant de recourir à des évaluations
formatées et standardisées ». (charte de désexcellence) (3)
Michèle JANSS est membre de l’Aped (Appel pour une école démocratique)
Notes :
(1) Pacte d’excellence - http://www.pactedexcellence.be/tele...
(2) opinion de Leyla Yilmaz, étudiante (La Libre, avril 2014) - http://www.lalibre.be/debats/opinio...
31 août 2015
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