Dans l’affaire Kerviel, tout n’a pas été dit, loin de là. Jusqu’ici, l’accusé n’est pas parvenu à démontrer clairement l’implication de sa hiérarchie dans le naufrage de ses placements hasardeux en 2008, et la version officielle soutient toujours que Daniel Bouton lui-même n’était pas au courant de la petite prise de risque à 50 milliards d’euros sous la signature de l’un de ses affidés. Mais un scoop récent vient de laisser penser qu’il en est vraisemblablement autrement.

Kerviel dans le cartel

Selon un article à lire de Marie-Jeanne Pasquette sur minoritaires.com, la version donnée par Daniel Bouton sur le déroulement des faits entre la découverte des pertes colossales de Kerviel, intervenue officiellement le samedi 19 janvier, et la révélation des pertes le 24 janvier, est très éloignée de la vérité. La journaliste a en effet eu accès à des sources directes qui infirment la version donnée par la banque.
Officiellement, le gouverneur de la Banque de France a donné un délai de quatre jours à Daniel Bouton, le 19 janvier au soir, pour satisfaire à son obligation d’informer les marchés des risques de perte. Ce délai devait permettre à la banque de déboucler ses positions dans les moins mauvaises conditions possibles. En contrepartie, Daniel Bouton s’était engagé à respecter le secret durant cette période de latence.
Selon Marie-Jeanne Pasquette, le secret n’a pas duré longtemps: avant même la fin du week-end, Daniel Bouton avait craché sa pastille à une palanquée de collègues.
Le soir même du dimanche 20 janvier, le cercle des initiés va en effet s’élargir. Les banquiers prévenus ne peuvent pas faire comme s’ils ne savaient rien. Deux de nos témoins, ont partagé immédiatement l’information avec leurs proches collaborateurs, membres du directoire, directeurs financiers ou directeurs des risques. Et il est probable que ces derniers aient, eux aussi, passé quelques coups de fils à leurs équipes pour vérifier l’exposition exacte de leur banque sur les marchés et ses engagements vis à vis de la Société Générale.
Manifestement, les banques internationales ont donc bénéficié d’un « tuyau » de la part de la Société Générale bien avant le reste du marché.

Kerviel, petit soldat de la banque

On lira avec intérêt les analyses de Gilles Pouzin sur le sujet, qui rappelle que l’audit de la Société Générale s’est intéressé très tardivement aux positions de Jérôme Kerviel. Durant toute l’année 2007, c’est-à-dire l’année précédent le bouillon de la banque, Jérôme Kerviel a dépassé 2.200 fois ses limites d’engagement. Le 7 novembre 2007:
le service de surveillance du marché à terme germano-suisse Eurex (filiale de Deutsch Börse et SWX) avait aussi demandé des explications par courrier à la Société générale, concernant les positions extravagantes prises par Jérôme Kerviel le mois précédent. Les services de contrôle interne de Daniel Bouton avaient bien reçu et répondu à ce courrier, mais pour enterrer l’affaire et continuer à en faire : la Société générale avait même renfloué les positions de Kerviel sans les couper, en versant plusieurs centaines de millions d’euros à Eurex, pour honorer ses appels de marge. Quelques semaines plus tard, le joueur s’était refait, à la faveur d’un rebond boursier, et on n’en parlait plus.
Fin 2007, les spéculations de Jérôme Kerviel avaient rapporté 1,4 milliard d’euros de profits à la Société générale. Un gain déraisonnable sur des paris hasardeux dépassant les limites, certes, mais un gain bien réel.
On connaît la suite: début 2008, le même Kerviel met la banque en danger en prenant des positions qui se terminent par une débâcle. Jusque-là, Kerviel a servi fidèlement son employeur qui ne s’en plaint pas!
Daniel Bouton a-t-il, à cette occasion, instrumentalisé Kerviel pour dissimuler d’autres pertes sur le marché des subprimes qui commençait à sentir le roussi?
Il appartiendra à l’histoire de lever le voile sur ces secrets.
En attendant, il est évident que certaines banques ont été initiées à un secret qui aurait dû être gardé avant le débouclage total des positions.