L’austérité en lieu et place de la « redistribution » promise
Sébastien Crépel
Jeudi, 1 Octobre, 2015
L'Humanité
La dernière occasion du quinquennat de modifier le cap suivi par le gouvernement est manquée.
L’ultime véritable budget de la législature enfonce le clou des cadeaux sans contreparties aux entreprises
et des « économies » budgétaires sur les services publics pour les financer.
François Hollande avait promis la redistribution, les Français auront droit en fait à la poursuite de l’austérité. Dernière occasion du quinquennat de modifier le cap suivi par le gouvernement marqué par la montée en charge du « pacte de responsabilité » et ses 41 milliards d’euros (à plein régime) d’allégements fiscaux et sociaux pour les entreprises sans contreparties exigées, le projet de loi de finances pour 2016, ultime véritable budget de la législature avant l’année électorale de 2017, enfonce le clou de la politique dite « de l’offre » au nom de la « compétitivité » des entreprises et des « économies » budgétaires pour la financer, dans le cadre contraint de la « maîtrise » de la dette et des déficits publics. En résumé, cela donne un budget marqué par quatre chiffres clés : 9 milliards d’euros supplémentaires d’« aides » aux entreprises viendront alourdir la facture à la charge de l’État ; 2 milliards d’euros seront consacrés à de nouvelles baisses d’impôt sur le revenu pour les particuliers ; tandis que les économies budgétaires pour financer ces mesures et la réduction du déficit public prévu (3,3 % du PIB en 2016 contre 3,8 % attendus officiellement cette année) atteindront 16 milliards d’euros au lieu des 14,5 milliards programmés, dont 3,5 milliards seront supportés par les seules collectivités locales, déjà financièrement asphyxiées.
Dans le détail, l’État devra réaliser pour son propre compte 5,1 milliards d’euros d’économies, ce qui signifie moins de services publics, tandis que la Sécurité sociale sera mise à contribution à hauteur de 7,4 milliards d’euros. Mais ces chiffres sont loin d’être exhaustifs et définitifs, puisque le projet de loi de finances dévoilé hier à l’occasion du Conseil des ministres n’intègre pas une série d’annonces nouvelles égrenées ces dernières semaines : aide exceptionnelle aux agriculteurs de 85 millions d’euros qui s’ajoute au plan d’urgence de 600 millions annoncé cet été, 150 millions d’aides à la construction de logements sociaux, mais aussi les 600 millions consacrés à l’accueil des réfugiés, promis mais toujours pas budgétés. Le gouvernement s’est engagé à revoir sa copie en déposant des amendements sur ces points lors de la discussion parlementaire, ou en présentant un prochain projet de loi rectificatif (un « collectif budgétaire »). Mais cela sera synonyme de choix douloureux, la règle fixée étant que toute nouvelle dépense est compensée « par des économies sur d’autres secteurs », a rappelé le secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert. Autres grands sacrifiés : les budgets de l’écologie et de l’aide au développement, qui voient leurs crédits diminuer, en contradiction avec les engagements pris par François Hollande à l’ONU.
Si le solde des emplois publics est positif de 8 300 postes pour la première fois depuis douze ans, cela est d’abord le fait de la révision à la hausse des personnels militaires dans le fil de la « guerre au terrorisme » engagée par le gouvernement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières nationales. Hors personnels des armées, le solde est négatif de 1 400 postes. Si certains autres secteurs voient leurs effectifs augmenter comme l’éducation (+ 8 500 emplois) et la justice (+ 1 000), d’autres comptent les pertes, comme les agents des ministères de l’Économie et des Finances (– 2 500 postes).
Dans le détail, les employeurs sont les grands gagnants de ce projet de budget 2016, avec un total d’allégements au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice) et des mesures comprises dans le « Pacte de responsabilité » s’élevant à 33 milliards d’euros. Un record à ce jour, excédant la totalité du produit de l’impôt sur les sociétés (IS) attendu pour 2016 (32,9 milliards), sans que l’on soit en mesure d’en mesurer un bénéfice quelconque en termes d’emplois. Cela représente aussi près de la moitié du déficit prévisionnel (72 milliards d’euros) et les deux tiers des intérêts annuels de la dette (44,5 milliards d’euros, pour une dette qui devrait culminer à 96,5 % du PIB en 2016). Dans le débat qui l’oppose, à l’intérieur même de sa majorité, aux « frondeurs », le gouvernement a donc tranché. Ces députés avaient en effet réussi à obtenir de la direction du PS une prise de position officielle en faveur d’une réorientation partielle de ces sommes vers le pouvoir d’achat des ménages. Le ministre des Finances, Michel Sapin, a clairement indiqué la nature du « débat » qu’il entendait tolérer dans la majorité : « Le parti propose et le gouvernement dispose, déclare-t-il au Monde. Chacun sait bien que changer de politique maintenant, ce serait la certitude de n’avoir ni les fruits de la politique précédente, ni les fruits de la nouvelle politique. »
Selon les données de l’institut Eurostat rendues publiques hier, la France est pourtant l’un des quatre seuls pays de l’Union européenne où le chômage a augmenté entre août 2014 et août 2015 (avec l’Autriche, la Belgique et la Finlande), à 10,8 % (+ 0,4 point). Quant à la croissance, elle a été nulle au deuxième trimestre, selon l’Insee. Mais le gouvernement n’en démord pas : « La reprise économique est à l’œuvre et se diffuse dans l’économie », affirme le compte-rendu du Conseil des ministres d’hier.
Hypothèse optimiste de croissance
Le gouvernement a d’ailleurs bâti son budget sur une hypothèse de croissance de 1,5 % du PIB en 2016 contre 1 % cette année, en tablant sur plusieurs facteurs favorables : un fort rebond de l’investissement des entreprises (+ 3,7 % espérés), un euro faible, un prix du pétrole bas ou encore une bonne tenue des salaires (+ 1,7 % espéré dans le privé). Quant à l’emploi salarié marchand, il serait quasi stable (+ 0,1 %).
Des chiffres à l’inverse de la tendance observée ces derniers mois. Car si « le climat des affaires est au plus haut depuis quatre ans, grâce à un taux de marge en net redressement », note avec justesse le gouvernement, cela n’a profité ni à l’investissement productif, qui a marqué brutalement le pas au deuxième trimestre (+ 0,2 % seulement après +0,6 %), ni à la demande intérieure, qui « décélère fortement » sur la même période (+ 0,1 % après + 0,6 %), selon l’Insee.
Quant aux ménages qui « constate(raie)nt la progression de leur pouvoir d’achat », toujours selon le gouvernement, l’impression est à relativiser, à la mesure de l’effet trompeur de la présentation de la « réduction des inégalités » en France dans un numéro récent de Libération, sur la base d’une enquête de l’Insee. Car si réduction des écarts de niveau de vie il y a, un chiffre de cette enquête passé inaperçu montre que ce resserrement est d’abord le fruit d’un appauvrissement global : le niveau de vie médian au-dessous duquel se situent la moitié des Français a reculé de 0,1 % entre 2012 et 2013, à 1 667 euros par mois.
De quoi s’interroger sur le ciblage de la nouvelle baisse d’impôt des ménages de deux milliards d’euros. Un geste certes bienvenu pour le pouvoir d’achat, mais concentré sur l’impôt le plus juste parce que progressif, qu’il contribue donc à affaiblir, tandis qu’un impôt indirect comme la TVA continue de peser pour chaque achat proportionnellement plus lourd dans le budget des plus modestes.
S’il existait un consensus des économistes pour tabler sur un début de reprise en 2016, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), qui rend un avis sur les projets de loi de finances, estime désormais que « compte tenu de l’accroissement des incertitudes », une prévision de croissance de 1,5 % « ne peut plus être qualifiée de “prudente” », même si elle reste « atteignable ». En clair : ce chiffre correspond désormais à une hypothèse optimiste, si tout se passe comme prévu par le gouvernement… Idem pour la hausse des prix, qui pourrait être « inférieure à l’hypothèse de 1 % ». Quant à la progression de la masse salariale, elle pourrait aussi « être moindre que ne le prévoit le gouvernement en 2016 », prévient encore le HCFP. Le résultat d’un tel cocktail serait une baisse des recettes escomptées et une hausse des déficits publics à prévoir, ce qui servirait de prétexte à un sévère ajustement budgétaire aux nouvelles « réalités » économiques, en forme de nouveau plan d’austérité… On connaît l’effet nocif en cascade de telles potions sur l’activité, aggravant le mal au lieu de le résoudre.
les départements réclament 700 millions d’euros à l’état pour compenser la croissance des dépenses liée au rsa
Comme beaucoup de collectivités, les départements ne parviennent plus à faire face aux besoins sociaux dans leurs territoires. Situation qui se trouve aggravée avec la décision du gouvernement socialiste de raboter de 28 milliards en cumulé, d’ici à 2017, les dotations aux collectivités. « Nous demandons à l’État une compensation globale sur les trois allocations individuelles de solidarité (AIS), principalement le RSA », le revenu de solidarité active, a déclaré mardi le président de l’ADF (Assemblée des départements de France), Dominique Bussereau. « Nous avons besoin à court terme d’une enveloppe de 700 millions. C’est l’augmentation entre 2014 et 2015, juste ce qui s’est passé sur l’année. » En 2014, ces dépenses ont atteint 9,7 milliards d’euros, compensés par l’État à hauteur de 6,4 milliards, soit un reste à charge de 3,3 milliards pour les départements, souligne l’ADF.