Oui, nous sommes corrompus !
L’article original est paru sur le site anglophone de The Intercept [1] le 30 juillet 2015, et il est signé Jon Schwarz. Il se veut un recueil des déclarations d’hommes politiques américains évoquant les liens étroits unissant la politique et le monde des affaires, et gangrénant le bon fonctionnement des Institutions.
(Getty Image)
Un des aspects les plus embarrassants de la politique des États-Unis vient des politiciens qui nient que l’argent ait un impact sur ce qu’ils font. Par exemple, Tom Corbett, ancien gouverneur de Pennsylvanie notoirement « ami de la fracturation [hydraulique] », a obtenu 1,7 millions de US $ des sociétés de pétrole et de gaz, mais a assuré aux électeurs que « Les contributions n’impactent pas mes décisions. » Si vous essayez d’inciter les gens à voter pour vous, vous ne pouvez pas leur dire que ce qu’ils veulent n’a pas d’importance.
Cette attitude est également courante chez un certain type d’experts de premier plan, qui aiment à nous dire « Ne vous focalisez pas sur l’argent » (New York Times, David Brooks), ou « L’argent n’achète pas les élections » (Stephen Dubner, co-auteur de « Freakonomics » sur la radio publique Marketplace), ou « l’argent ne va pas vous acheter des votes » (School Peter H. Schuck, professeur à l’université de Yale dans le Los Angeles Times).
Pendant ce temps, 85 % des Américains disent que nous devons soit « reconstruire complètement » ou faire des « changements fondamentaux » dans le système de financement des campagnes. Seulement 13 % pensent que « seuls des changements mineurs sont nécessaires », moins que les 18 % d’Américains qui croient avoir déjà rencontré un fantôme.
Nous avons donc décidé qu’il serait utile de recueillir des exemples d’authentiques politiciens reconnaissant la réalité flagrante. En voici un début ; je suis sûr qu’il doit y en avoir beaucoup d’autres, donc si vous avez des suggestions, s’il vous plaît laissez-les dans les commentaires. [Ndt : pour faire le parallèle avec le modèle américain corrompu dénoncé dans l’article original, il pourrait être utile de compiler dans les commentaires de cette traduction d’autres petites phrases d’homme politiques, et pas seulement américains. Jon Schwarz invite ensuite les lecteurs et des politiciens, actuels ou anciens, qui ont une opinion sur ce sujet, à lui écrire]
• « J’ai donné à beaucoup de gens, avant cela, avant il y a deux mois, j’étais un homme d’affaires. Je donne à tout le monde. Quand ils appellent, je donne. Et vous savez quoi ? Quand j’ai besoin de quelque chose d’eux deux ans plus tard, trois ans plus tard, je les appelle, ils sont là pour moi. Et cela est un système déglingué. » Donald Trump en 2015.
• « [C] ‘est ce qui ne va pas. [Donald Trump] achète et vend des politiciens de tous bords … il a l’habitude d’acheter les politiciens. »- Sénateur Rand Paul, R-Ky, en 2015.
• « Maintenant [les Etats-Unis sont] juste une oligarchie, avec une corruption politique illimitée en passe de devenir l’essence même du processus de candidature à la présidence ou d’élection du président. Et la même chose vaut pour les gouverneurs, les sénateurs américains et membres du Congrès… Donc maintenant, nous assistons à une subversion complète de notre système politique comme une récompense en faveur des principaux contributeurs … »- Jimmy Carter, ancien président des Etats-Unis, en 2015.
• « [L]es classes de millionnaires et de milliardaires s’approprient de plus en plus le processus politique, et ils possèdent les politiciens qui vont vers eux pour de l’argent…. Nous glisssons très, très rapidement d’une société démocratique, une personne, un vote, vers une forme oligarchique de société, où les milliardaires seraient à même de déterminer qui sont les élus de ce pays. » -. Le sénateur Bernie Sanders, I-Vt ., en 2015. Sanders a également dit beaucoup de choses similaires, telles que « Je pense que beaucoup de gens ont l’impression erronée que le Congrès réglemente Wall Street. … La vérité est que c’est Wall Street qui réglemente le Congrès. »
• « Vous devez aller là où est l’argent. Maintenant, là où se trouve l’argent, il y a presque toujours implicitement une ficelle attachée. … Il est terriblement difficile de prendre un tas d’argent d’un groupe que vous connaissez pour avoir une position particulière, puis de conclure qu’ils ont tort [et] de voter non [Ndt : contre eux]. » – Vice-président Joe Biden en 2015.
• « [A]ujourd’hui tout le jeu politique, conduit par le cauchemar absurde des élites fortunées, est ridicule – un jeu dans lequel les sociétés sont les gens et l’argent autorise à s’exprimer comme par magie ; les candidats font un tour dans les loges des sociétés et dans les retraites secrètes des riches, dans une vente sans vergogne de leurs âmes politiques. » –Jim Hightower, ancien commissaire agricole démocrate du Texas, 2015.
• « Les gens me disent tout le temps que nos politiques à Washington sont déglinguées et que les multimillionnaires, milliardaires et grandes entreprises décident de tout … Il est difficile de ne pas être d’accord. » – Russ Feingold, sénateur démocrate pendant trois mandats dans le Wisconsin, en 2015, alors qu’il annonçait qu’il s’apprêtait à candidater de nouveau pour le Sénat.
• « Les lobbyistes et les politiciens de carrière forment aujourd’hui ce que j’appelle le cartel de Washington. … [Ils] conspirent quotidiennement à l’encontre du peuple américain. … [L]es oreilles et les portefeuilles des politiciens de carrière sont ouverts au plus offrant. »- Sénateur Ted Cruz, R-Texas, en 2015. | |
• « Je peux légalement accepter des cadeaux illimités en nombre et en valeur de la part de lobbyistes … Comme vous pouvez le deviner, ce qui en résulte est une corruption de l’administration du Missouri, une corruption générée par l’argent en politique. » – Sénateur du Missouri Rob Schaaf, 2015.
• « Lorsque vous commencez à accéder effectivement à l’argent, et que l’accès implique des personnes responsables de l’application de la loi, vous avez clairement franchi une ligne. Ce qui se passe est choquant, terrible »-. James E. Tierney, ancien procureur général du Maine, en 2014.
• « Permettre aux gens et aux groupes d’intérêts des entreprises, ou à d’autres encore, de dépenser une quantité illimitée d’argent non traçable a permis à certains individus de se lancer dans à peu très toutes les élections, qu’elles soient au Congrès, qu’elles soient fédérales, locales, ou pour un Etat … Malheureusement ces gens ont rarement des objectifs qui sont en phase avec ceux de la population en général. L’Histoire montre bien qu’il s’agit d’un jeu très égoïste et que notre gouvernement a été en grande partie mis en vente. » –John Dingell, député démocrate du Michigan pendant 29 mandats, en 2014, juste avant sa retraite.
• « Quand certains think tank [2] s’arrangent avec la législation et vous disent de ne pas le remettre en cause, en quoi êtes-vous encore un législateur ? Vous vous asseyez simplement, vous ratifiiez, et vous êtes une sorte de serf féodal pour des gens qui ont beaucoup d’argent. » – Dale Schultz, législateur Républicain pendant 32 ans dans l’État du Wisconsin et ancien leader de la majorité au Sénat, en 2013, avant de prendre sa retraite plutôt que d’être opposé lors de la primaire à un challenger soutenu par les Américains pour la Prospérité. Plusieurs mois plus tard, Schultz a déclaré : « Je crois fermement que ce pays commence à ressembler à une oligarchie de type russe, où au fond une vingtaine de milliardaires ont acheté le gouvernement. »
• « On m’a carrément dit : « Vous voulez être président de la Chambre de l’Administration, vous voulez continuer à être président. » lls voudraient effectivement que vous mettiez par écrit que vous allez débloquer 150.000 $. Ils le font encore – Démocrates comme Républicains. Si vous voulez être dans ce comité, cela peut vous coûter 50 000 $ ou 100 000 $ – vous devrez débloquer ces fonds dans la plupart des cas. » – Bob Ney, député républicain pendant cinq mandats en Ohio et ancien président du comité de la Chambre de l’Administration, qui a plaidé coupable face à des accusations de corruption liées au scandale Jack Abramoff, en 2013. (voir également ce lien au sujet de Bob Ney)
• « L’alliance de l’argent et des intérêts qu’il représente, l’accès qu’il offre à ceux qui en ont au détriment de ceux qui n’en ont pas, l’ordre du jour qui est agencé en vertu de son pouvoir ne cessent de faire taire les voix de la grande majorité des Américains … La vérité exige que nous désignions la corrosion de l’argent en politique pour ce qu’elle est – c’est à dire une forme de corruption qui muselle davantage d’Américains qu’elle ne leur donne de pouvoir, et ce déséquilibre que le monde nous a enseigné ne peut que semer des graines d’agitation. » – Secrétaire d’Etat John Kerry, en 2013, lors de son discours d’adieu au Sénat.
• « La démocratie américaine a été piratée. … Le Congrès des États-Unis … est maintenant incapable de voter des lois sans la permission des lobbies industriels et d’autres groupes d’intérêts spéciaux qui contrôlent leurs financements de campagne. »- Al Gore, ancien vice-président, dans son livre de 2013 The Future.
• « Je pense que c’est à cause du paradigme de la corruption qu’est devenu Washington DC, où les votes sont achetés en permanence plutôt que de représenter les voix de la volonté de leurs électeurs. … Voilà la voix qui a été absente à la table à Washington DC -. La voix du peuple a été absente. »- Michele Bachmann, membre du Congrès républicain pendant quatre mandats dans le Minnesota et fondatrice de la Maison Tea Party Caucus, en 2011.
• « Je vais commencer par dire la triste évidence : notre système électoral est un gâchis. Des intérêts financiers puissants, libres de distribuer de l’argent presque sans aucune transparence, ont corrompu les principes de base de notre démocratie représentative. » –Chris Dodd, sénateur démocrate pendant cinq mandats dans le Connecticut, en 2010 dans son discours d’adieu au Sénat.
• « C’est difficile à croire dans un moment où nous faisons face à une crise bancaire que la plupart des banques ont créée, mais ces mêmes banques sont encore le plus puissant lobby sur la colline du Capitole. Et ils sont vraiment implantés là. » – Le sénateur Dick Durbin, en 2009.. | |
• « Dans l’ensemble, l’argent a changé les votes. L’argent a certainement piloté la politique de la Maison Blanche sous l’administration Clinton, et je suis sûr qu’il l’a fait également dans toutes les autres administrations. » – Joe Scarborough, député républicain pendant quatre mandats en Floride dans les années 90, et maintenant co-animateur de « Morning Joe ».
• « Nous sommes les seules personnes dans le monde autorisées légalement à prendre de grandes sommes d’argent à des étrangers et à ensuite agir comme si ces sommes n’avaient aucun effet sur notre comportement » – Barney Frank, membre du Congrès démocrate pendant 16 mandats dans le Massachusetts, dans les années 90.
• « … L’argent joue un rôle beaucoup plus important dans ce qui est fait à Washington que ce que nous croyons. … Lorsque vous étiez en exercice, vous avez pu vous réchauffer auprès de tous les groupes d’intérêts spéciaux qui peuvent sortir et amasser de l’argent pour vous auprès de leurs membres, et ce genre de relation a une influence sur la façon dont vous allez voter. … Je pense que nous devons devenir beaucoup plus vigilants en regardant l’impact de l’argent … Je pense que ça n’est pas bon et que nous devons changer cela. » – Mitt Romney, le candidat républicain concourant contre Ted Kennedy au Sénat, en 1994.
• « Il n’y a aucun doute dans le monde que l’argent a le contrôle. » – Barry Goldwater, candidat à la Présidence du GOP en 1964, juste avant de prendre sa retraite du Sénat en 1986.
• « Quand ces comités d’action politique [Ndt : PAC = political action committee] donnent de l’argent, ils attendent en retour quelque chose d’autre qu’un bon gouvernement. … Les pauvres ne font pas de contributions politiques. Vous pourriez obtenir un résultat différent s’il existait un PAC des pauvres ici. » – Bob Dole, ancien chef de la majorité républicaine au Sénat en 1983 et candidat à la présidence du GOP en 1996.
• « L’argent est le lait de la mère en politique. » – Jesse Unruh, Président de l’Assemblée de Californie dans les années 60 et trésorier de l’Etat de Californie dans les années 70 et 80.
• « J’ai eu une belle conversation avec Jack Morgan [càd le banquier JP Morgan, Jr.] l’autre jour et il semblait plus inquiet à propos du discours du [secrétaire adjoint à l’Agriculture Rexford] Tugwell que d’autre chose, surtout quand Tugwell a dit, ‘A compter de maintenant les droits sur la propriété et les droits financiers seront subordonnéss aux droits de l’homme. ‘… La vérité à ce propos est, vous le savez comme moi, qu’un élément financier issu des grandes places a mis la main sur le gouvernement depuis l’époque d’Andrew Jackson [3]… Le pays traverse une succession de luttes à la Jackson avec la Banque des États-Unis – sur des bases bien plus grandes et bien plus larges. » – Franklin D. Rooseveltdans une lettre à Edward Mandell House en 1933.
• « Derrière le prétendu gouvernement, trône un gouvernement invisible, n’ayant prêté aucune allégeance et ne se reconnaissant aucune responsabilité envers le peuple. Détruire ce gouvernement invisible, dissoudre l’alliance impie entre les entreprises corrrompues et la politique corrompue, est la première tâche de l’homme d’Etat au pouvoir. »-. Tribune de 1912 du Parti progressiste, fondé par l’ancien président Theodore Roosevelt.
• « Il y a deux choses qui sont importantes dans la vie politique. La première est l’argent et je ne me souviens pas ce qu’est la seconde. »- Mark Hanna, directeur de la campagne présidentielle de William McKinley en 1896 et sénateur de l’Ohio, en 1895.
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Notes :
[1] magazine en ligne totalement libre d’accès créé par Glenn Greenwald, Jérémy Scahill et Laura Poitras et lancé en février 2014.
[2] Groupe de réflexion ou « laboratoire d’idées« , théoriquement indépendant de l’Etat et à but non lucratif. Aux Etats-Unis, pourtant, de nombreux hommes politiques, et donc publics, font partie de divers think tank ou entretiennent des liens étrois avec eux. Outre des propositions en matière de politique, ces groupes exercent également le rôle de lobbies afin notamment d’infléchir les législations dans un sens qui est favorable à leurs intérêts (ou aux intérêts des groupes qui les financent ou qui en font partie).
[3] Président des Etats-Unis entre 1829 et 1837