Pouvoirs et synthèse des intérêts: les puissants défendent leur caste
MONIQUE PINÇON-CHARLOT ET MICHEL PINÇON, SOCIOLOGUES
Jeudi, 22 Octobre, 2015
Humanité Dimanche
La nomination du nouveau gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, venu de BNP Paribas, a suscité l'émoi. On a parlé de conflit d'intérêts. Mais pour Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, cette nomination symbolise au contraire un parfait exemple de synthèse des intérêts telle qu'on la pratique, tout naturellement, dans le beau monde.
La candidature et la nomination, au poste de gouverneur de la Banque de France, de celui qui fut directeur général délégué de la BNP Paribas pendant 12 ans ont soulevé une campagne médiatique autour de la notion de conflit d'intérêts. Comment, s'est-on demandé, cet énarque de la même promotion que Pierre Moscovici saura-t-il oublier son passé de banquier au service d'intérêts privés pour défendre l'intérêt public, assurer la régulation bancaire et éviter tout conflit d'intérêts ?
Ce n'est pas la bonne question. Il s'agit tout au contraire, dans cette nomination proposée par François Hollande et approuvée à une très large majorité, le 29 septembre 2015, par les députés et les sénateurs membres des commissions des Finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, de réussir la synthèse des intérêts de l'oligarchie.
Pour les dominants, le réel ne se découpe pas en tranches sans communication entre elles, car dans les affaires tout se tient. La séparation des pouvoirs est donnée en pâture aux classes moyennes et aux classes populaires car, dans les beaux quartiers et les grands cercles, on sait très bien que l'amalgame des pouvoirs au sein d'une même petite caste est la condition pour que ses intérêts soient défendus en tous lieux et en toutes occasions.
Quoi de mieux en effet que de mettre à la tête de la Banque de France un homme de la finance qui connaît non seulement les arcanes du ministère de l'Économie et de la Finance mais aussi celles de la plus grande banque privée de France et d'Europe. François Villeroy de Galhau est donc l'homme idéal, du point de vue de l'oligarchie, pour contrôler le secteur bancaire français et pour représenter la France dans les instances internationales chargées de la régulation bancaire.
Ce n'est pas la bonne question. Il s'agit tout au contraire, dans cette nomination proposée par François Hollande et approuvée à une très large majorité, le 29 septembre 2015, par les députés et les sénateurs membres des commissions des Finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, de réussir la synthèse des intérêts de l'oligarchie.
Pour les dominants, le réel ne se découpe pas en tranches sans communication entre elles, car dans les affaires tout se tient. La séparation des pouvoirs est donnée en pâture aux classes moyennes et aux classes populaires car, dans les beaux quartiers et les grands cercles, on sait très bien que l'amalgame des pouvoirs au sein d'une même petite caste est la condition pour que ses intérêts soient défendus en tous lieux et en toutes occasions.
Quoi de mieux en effet que de mettre à la tête de la Banque de France un homme de la finance qui connaît non seulement les arcanes du ministère de l'Économie et de la Finance mais aussi celles de la plus grande banque privée de France et d'Europe. François Villeroy de Galhau est donc l'homme idéal, du point de vue de l'oligarchie, pour contrôler le secteur bancaire français et pour représenter la France dans les instances internationales chargées de la régulation bancaire.
DÉCONNECTÉS DU CITOYEN
Une pétition signée par 150 économistes, publiée par « le Monde » du 16 septembre 2015, demandait aux parlementaires de rejeter le choix de l'Élysée de François Villeroy de Galhau pour le poste de gouverneur de la Banque de France. Celuici ne présentant pas « les garanties d'indépendance et d'impartialité nécessaires au contrôle de l'industrie bancaire ». Cette pétition a été critiquée quelques jours plus tard par un député du Parti socialiste, Christophe Caresche, dans « le Monde » du 24 septembre 2015. Il reproche aux économistes de s'égarer « dans une dénonciation de "l'entre-soi" et des "gouvernants déconnectés de leurs concitoyens" qui doit beaucoup à l'air du temps mais qui n'éclaire pas le débat. (...) L'interdiction d'exercer une fonction sur la seule suspicion d'un conflit d'intérêts reviendrait, dans les faits, à ériger un régime d'incompatibilités professionnelles exorbitant ».
Il est vrai que la concentration des pouvoirs au sein d'une petite caste rend le conflit d'intérêts inhérent au fonctionnement même de cette caste qui cumule toutes les positions dominantes de tous les champs de l'activité économique et sociale. L'entre-soi des beaux quartiers et des conseils d'administration, la consanguinité des mariages entre semblables et la sociabilité mondaine assurent la fluidité des informations, voire des délits d'initié, qu'il est bien naïf de vouloir réformer par de simples mesures institutionnelles. Ainsi, la sénatrice socialiste Marie-Noëlle Lienemann a indiqué, à l'issue de l'audition au Sénat de François Villeroy de Galhau, son intention de déposer une loi pour empêcher que se multiplient les conflits d'intérêts. « Ne pourraient être nommées par le président de la République, dans les instances de contrôle et de régulation, que des personnes n'ayant pas travaillé dans des entreprises contrôlées par ces instances, dans les cinq années précédant la nomination », est-il précisé dans le projet de loi.
François Villeroy de Galhau, catholique, est engagé dans la gauche libérale. Il est issu d'une riche famille d'industriels de la faïencerie de l'est de la France, les Villeroy et Boch. Les valeurs intériorisées dans l'éducation aristocratique sont constitutives d'un être socialement construit et font de François Villeroy de Galhau un représentant de la haute noblesse et de ses intérêts, que ce soit à la BNP Paribas ou à la Banque de France. Le père de ce polytechnicien et énarque était lui-même directeur de banque. De sa femme Odile de La Lande de Calan, il eut cinq enfants dont François est l'aîné. Celui-ci a eu également cinq enfants de son épouse, Florence Gilbert de Vautibault. Ils habitent rue du Faubourg Saint-Honoré, dans le huitième arrondissement de Paris.
Il est vrai que la concentration des pouvoirs au sein d'une petite caste rend le conflit d'intérêts inhérent au fonctionnement même de cette caste qui cumule toutes les positions dominantes de tous les champs de l'activité économique et sociale. L'entre-soi des beaux quartiers et des conseils d'administration, la consanguinité des mariages entre semblables et la sociabilité mondaine assurent la fluidité des informations, voire des délits d'initié, qu'il est bien naïf de vouloir réformer par de simples mesures institutionnelles. Ainsi, la sénatrice socialiste Marie-Noëlle Lienemann a indiqué, à l'issue de l'audition au Sénat de François Villeroy de Galhau, son intention de déposer une loi pour empêcher que se multiplient les conflits d'intérêts. « Ne pourraient être nommées par le président de la République, dans les instances de contrôle et de régulation, que des personnes n'ayant pas travaillé dans des entreprises contrôlées par ces instances, dans les cinq années précédant la nomination », est-il précisé dans le projet de loi.
François Villeroy de Galhau, catholique, est engagé dans la gauche libérale. Il est issu d'une riche famille d'industriels de la faïencerie de l'est de la France, les Villeroy et Boch. Les valeurs intériorisées dans l'éducation aristocratique sont constitutives d'un être socialement construit et font de François Villeroy de Galhau un représentant de la haute noblesse et de ses intérêts, que ce soit à la BNP Paribas ou à la Banque de France. Le père de ce polytechnicien et énarque était lui-même directeur de banque. De sa femme Odile de La Lande de Calan, il eut cinq enfants dont François est l'aîné. Celui-ci a eu également cinq enfants de son épouse, Florence Gilbert de Vautibault. Ils habitent rue du Faubourg Saint-Honoré, dans le huitième arrondissement de Paris.
Le début de la carrière de François Villeroy de Galhau, inspecteur des finances comme son grand ami Jean-Pierre Jouyet, commence dans le public, comme chargé de mission à la direction du Trésor de 1988 à 1990, puis comme conseiller technique de 1990 à 1993 au cabinet de Pierre Bérégovoy lorsque celui-ci fut ministre de l'Économie, des Finances et du Budget, puis premier ministre. De 1997 à 2000, cet aristocrate sera le directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn, puis de Christian Sautter, ministre de l'Économie et des Finances sous le gouvernement Jospin. Avant de rejoindre la BNP Paribas, il fut nommé directeur général des impôts au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie de 2000 à 2003. Autant dire que le conflit d'intérêts ne date pas d'aujourd'hui.
À GAUCHE À DROITE, ALLÉES ET VENUES PUBLIC-PRIVÉ
Les allées et venues entre le public et le privé, et ce dans les deux sens, permettent le dépeçage de l'État au profit de la classe des puissants, qui, avec la complicité des politiciens de la droite et de la gauche libérale, font les lois qui transforment leurs intérêts particuliers en intérêt général. « Leurs » lois devenant alors « la loi ». Pierre Moscovici, son camarade de classe, le soutient sans nuances : « Il a les valeurs du service public chevillées au corps. Il avait déjà cette très forte conscience sociale à 20 ans. (...) Ce n'est pas un banquier d'affaires qui passe dans le public, c'est un homme du service public qui a fait un passage dans le privé et revient dans sa maison », a-t-il déclaré au « Monde », le 10 septembre 2015.
C'est donc un homme « indépendant » qui va gouverner la Banque de France, devenue elle-même « indépendante » depuis la loi du 4 août 1993, à la fin du second mandat du président socialiste François Mitterrand. L'autonomie de la Banque de France signifie en réalité sa mise au service des marchés financiers et des intérêts d'une oligarchie aujourd'hui mondialisée. Celle-ci n'a fait que reprendre à son compte la technique néolibérale des financiers imposant leurs diktats aux États, avec une Banque centrale européenne, elle aussi déclarée « indépendante ». Dans la guerre que la classe dominante mène contre les peuples, la bataille idéologique est intense avec un détournement des mots et de leur sens, utilisés à contresens pour mieux piéger le gibier.
C'est donc un homme « indépendant » qui va gouverner la Banque de France, devenue elle-même « indépendante » depuis la loi du 4 août 1993, à la fin du second mandat du président socialiste François Mitterrand. L'autonomie de la Banque de France signifie en réalité sa mise au service des marchés financiers et des intérêts d'une oligarchie aujourd'hui mondialisée. Celle-ci n'a fait que reprendre à son compte la technique néolibérale des financiers imposant leurs diktats aux États, avec une Banque centrale européenne, elle aussi déclarée « indépendante ». Dans la guerre que la classe dominante mène contre les peuples, la bataille idéologique est intense avec un détournement des mots et de leur sens, utilisés à contresens pour mieux piéger le gibier.
Deux sociologues au paradis. Tout est dit ou presque ! dans le titre du dernier ouvrage de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, « Tentative d'évasion (fiscale) ». Le couple de sociologues, terreur des beaux quartiers, tente une évasion fiscale et tape sans complexe à la porte d'HSBC Suisse, à Genève. Celle-là même qui employait Hervé Falciani, l'informaticien qui a révélé les noms de milliers de fraudeurs et les montages sulfureux mis en place par la banque vers des paradis plus exotiques. Alors ça ne marche pas, bien sûr ! Trop connus, les Pinçon, et de toute façon pas assez riches pour que l'on s'y attarde. Mais ce n'est pas grave, puisqu'il s'agissait bien évidemment d'un prétexte à un voyage dans les hauts lieux de l'évasion fiscale, sport réservé aux gens de la haute. La Suisse, le Luxembourg, le « paquebot » de Bercy où s'organisent, dans l'entre-soi et la mansuétude, le dégrisement des repentis et la remise au pas compréhensive des pris au collet. De la sociologie qui se lit comme un polar.