mardi 20 octobre 2015

Retour sur la provocation De Juniac-Valls du 5 octobre contre Air France : pourquoi l’état a t il voté un plan « qui pouvait être évité » ? (G. Filoche)

Retour sur la provocation De Juniac-Valls du 5 octobre contre Air France : pourquoi l’état a t il voté un plan « qui pouvait être évité » ?

En fait Air France va bien. 85 millions de touristes, 88 % de taux de remplissage, un prix de l’essence qui n’a jamais été aussi bas, une suppression déjà de plus de 10 000 postes, un plan de 20 % d’efforts de compétitivité depuis 4 ans, les personnels au sol ont atteint 100 % des objectifs. Avec 96 %, les hôtesses et stewards sont près du but. Les pilotes avec 67 % de mises en œuvre n’en seraient pas loin, sans la grève de 14 jours en 2014 provoquée par les intransigeances de la direction. Les navigants ont déjà réduit leur salaire de 20 % en l’espace de 20 ans : or contrairement à tout ce qui est dit c’est un métier hyper qualifié, lourd en responsabilités et terriblement usant. La « dette » de 5 milliards, sur un chiffre d’affaires global de 20 milliards, ce n’est pas énorme, car il faut toujours compter l’innovation, l’investissement.
Mais alors pourquoi tous ces cris d’orfraie de la direction ?
Parce que les dirigeants Alexandre Bezoügnes de Juniac et Fréderic Gagey sont des fanatiques financiers, méprisants du droit du travail et des personnels. Ils donnent une priorité excessive au remboursement de la dette au détriment du développement de l’entreprise, ils s’augmentent de 70 %, et comblent leurs actionnaires en mettant 150 millions de cote pour leurs retraites chapeaux. De Juniac est connu pour ses déclarations sur le travail des enfants, contre les 35h, et sur le fait que ses « amis du Qatar auraient mis tout les pilotes prison » plutôt que de négocier avec eux. En fait il veut « Ryaniser » Air France, liquider la compagnie, en la transformant par le biais de Transavia : il restera les lignes de prestige Air France, et pour le menu fretin, le « low cost » avec des pilotes surchargés et des conditions de trajet dégradées. Un peu comme ce que Macron fait contre la SNCF, le TGV pour les riches et l’autocar pour les pauvres. Comme ce qui a été fait pour la marine marchande française qui a été bradée. C’est ça, « la mode » de la gestion de la finance.
La grande provocation du 5 octobre :
Pour forcer la main aux pilotes et leur imposer de nouveaux sacrifices (les pilotes de Ryan air sont auto-entrepreneurs) de Juniac cherche à diviser les personnels. Alors il va faire sortir publiquement avant le CCE du 5 octobre, l’annonce d’un nouveau plan de 2900 suppressions de postes : 300 pilotes, 900 hôtesses et stewards, 1700 au sol. Il n’hésite pas pour cela à commettre un délit d’entrave en se servant de la presse : ce qui provoque l’explosion de colère des 2000 membres du personnel exaspérés qui se solidarisent entre eux. Dans une vidéo devenue culte, une jeune femme Erika se fait spontanément et à juste titre porte parole de tous les griefs des personnels contre les dirigeants. L’intersyndicale CGC, FO, UNSA, CGT est là, qui représente 70 % des salariés et quelques chemises sont déchirées – lesquelles vont donner prétexte à un déchainement d’une campagne de presse apocalyptique pendant 3 jours.
Le Premier ministre Manuel Valls en est la cause, se comportant comme un irresponsable brutal : lui qui fut si modéré face au menteur Jérôme Cahuzac ou lors des tirs meurtriers contre Rémi Fraisse, se déchaîne contre les « voyous » et exige de « lourdes sanctions ». En d’autres cas, il s’était drapé dans le fait que « ce n’était pas son rôle de déclencher des enquêtes » et dans la « présomption d’innocence ». Lui et Macron, l’état détenant 17 % d’Air France, font voter le 2 octobre les 3 représentants de l’Etat en CA d’Air France-KLM en faveur des 2900 suppressions de postes. Valls cherche à placer un de ses hommes à la tête d’Air France. Il utilise les méthodes exceptionnelles, intimidantes et vulgaires, d’une rafle policière au petit matin (procédure utilisée dans 1 % des cas, car il aurait suffi d’une convocation) contre 6 salariés d’Air France : ils sont mis « plus bas que terre » et « jugés avant d’avoir comparu », au total 11 salariés sont convoqués par la police et 2 pilotes mis à pied. Alors que le pénal tient le civil en l’état, ils sont sanctionnés arbitrairement. Macron traite ces « indignés » de « stupides ». Juniac affirme qu’il ne pouvait « faire autrement »… Tout cela alourdit le dossier et mécontente l’opinion puisque 54 % de Français disent « comprendre » les violences dans un climat tendu par l’existence de 6 millions de chômeurs et l’annonce de la suppression de 132 700 postes de fonctionnaires par les mêmes Valls et Macron.
Le choc et le recul immédiats :
Mais cela ne peut tenir. La compagnie sera déstabilisée si les évènements suivent ce cours et les dirigeants contestés risquent de ne pas avoir leurs retraites chapeaux. Les pilotes ne se sentent plus isolés : devant le front syndical solidaire, le 9 octobre, le dialogue est renoué : « Vu le contexte, qui a évolué, il nous paraît difficile qu’Air France mette en œuvre unilatéralement des décisions qui relèveraient du fait du prince », commenté Véronique Damon, porte-parole du SNPL. 12 organisations appellent à manifester le 22 octobre. Ségolène Royal fait une déclaration énorme à l’Assemblée, démentant Valls et Juniac : “Les torts sont partagés”.
Ah bon, alors ce n’étaient pas des « voyous » ? Soit c’est le tour des dirigeants d’être réveillés au petit matin à leur tour par la police, soit les plaintes doivent cesser contre les salariés injustement provoqués puis humiliés et traqués. Et on entend alors se dire que « le plan de 2900 suppressions d’emplois peut être évité » : ce qui, quand on y réfléchit est inouï. Tout ça pour ça ! Normalement Juniac coupable d’entrave et de discours irresponsable, devrait démissionner, et Valls devrait s’excuser ! Pourquoi l’état a t il voté un plan « qui pouvait être évité » ? Les salariés poursuivis devraient être immédiatement relaxés et honorés : car finalement les fameuses « violences » auraient pu être beaucoup plus grandes et deux chemises déchirées ont fait plus pour rétablir le dialogue et sauver les emplois que des mois de palinodies.
Ce n’est pas l’histoire seulement d’Air France, c’est celle d’un gouvernement anti social, obtus et aux abois à la fois. C’est celle d’une tension en profondeur dans le pays, elle se sent partout et cela aggravera les effets électoraux hélas, le malheur étant que c’est une droite encore plus brutale qui cherche à en retirer les marrons du feu.