Sucre : le doux mensonge ou le doux poison
L'Homme n'a jamais consommé autant de sucre de toute l'Histoire. Pourtant, tous les ans, de nouvelles études pointent son implication dans de multiples pathologies : diabète, maladies cardiovasculaires, cancers... L'industrie sucrière continue de nier l'évidence et sème la confusion à travers des stratégies de communication où le scepticisme serait financé à coup de millions afin de brouiller le débat. Un reportage diffusé sur Arte lève le voile sur ce business très lucratif.
Sucre : tendance lourde et excès alarmants
« Sucre : le doux mensonge » est un documentaire récemment diffusé sur Arte tentant de lever le voile sur la problématique de la trop forte consommation de sucre dans le monde. Quelques quelques chiffres-clés : depuis 30 ans, le nombre de diabétiques dans le monde a triplé pour atteindre aujourd'hui 347 millions de personnes. Chaque année, nous ingurgitons 160 millions de tonnes de sucre. Par la même, le nombre d'obèses a doublé, passant de 300 à 600 millions de personnes. Cette tendance lourde coïncide avec une dégradation du régime alimentaire occidental, toujours plus saturé de graisses (saturées), de sel, de viande mais surtout de sucres. Face à ce constat, les lobbys arguent qu'une « grosse suspicion » ne suffit pas à incriminer le sucre. Que disent les chercheurs ?
Le docteur Robert Lustig, pédiatre et endocrinologue, a mené aux USA une croisade contre le lobby du sucre. L'homme s'est heurté sur les plateaux de télévision à une résistance plus idéologique que scientifique : « Je voudrais qu'on débatte avec moi sur des faits », appuie-t-il. Or, dans notre culture, le sucre est désormais lié au bonheur dans l'inconscient : événements heureux, anniversaires, soirées, déserts... Le sucre donne du goût à la vie, tout le monde l'aime et s'attaquer à lui revient à s'attaquer à notre façon d'être heureux. Pourtant, le docteur Lustig l'affirme : « Le problème est vraiment global, plus vaste que l'obésité infantile ». La question n'est donc pas tant de bannir le sucre, mais d'ouvrir le débat sur sa sur-utilisation dans les produits industriels.
Dans les années 60, le professeur John Yudkin, nutritionniste en croisade contre les mensonges du lobby sucrier, évoquait déjà l'évolution anormale de la consommation de sucre chez l'Homme. Si on consommait environ 2 kilos de sucre par personne et par an il y a 200-300 ans, aujourd'hui une personne moyenne en Occident consomme 46 kilos de sucre par an. Par ailleurs, il est difficile de se repérer dans la jungle des produits transformés : 75% d'entre eux contiennent des sucres ajoutés désignés sous 56 dénominations différentes, qui, selon le docteur Lustig, engendre le même effet sur le métabolisme. Il s'agit juste de rajouter de la confusion à la confusion, compte tenu qu'un consommateur lambda ne connaît pas nécessairement 56 synonymes de « sucre ». En d'autres mots, si nous étions vraiment informés sur la quantité exacte de sucre dans les aliments transformés, nous serions probablement choqués.
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Une lutte pour le discours de vérité
Face à ces constats et accusations, l'industrie du sucre se bat pour rester crédible et remet en cause chaque étude invitant à consommer moins de sucre pour des questions de santé. Ainsi, on apprend que le lobby sucrier financerait des contre-études menées par des scientifiques qui multiplient les arguments douteux sans véritable fond (comme ce fut le cas à l'époque pour le tabac, comme c'est le cas aujourd'hui pour les produits laitiers ou les pesticides notamment).
Le docteur Cristin Kearns est dentiste, et elle a pu récupérer des archives de la Great Western Sugar Company, ancienne industrie sucrière du Colorado. Elle pointe un élément clé dans cette lutte : « Les débats, questions et recherches n'ont pas évolué depuis les années 1970 », preuve, selon elle, que l'industrie du sucre se bat pour laisser planer le doute sur les ravages du sucre, comme l'industrie du tabac a toujours nié les propriétés addictives de la nicotine et la causalité entre tabagisme et cancer du poumon.
Pour entretenir ce flou, la Sugar Association (lobby du sucre aux USA) s'acharne à demander des études plus complètes et à remettre en question la solidité de chaque étude scientifique qui pointe les dangers du sucre. Un argument récurrent est celui des calories : Il faudrait juste en brûler plus qu'on en absorbe pour ne pas grossir. Mais Gary Taubes, auteur de « Why we get fat », le répète : toutes les calories ne se valent pas, certaines sont plus « toxiques » que d'autres. Par ailleurs, Yoni Freedhoff, chercheur à l'Université d'Ottawa, regrette que l'industrie du sucre, des sodas, des fast-foods, se livrent à un « gavage » des humains comparable à celui des oies à partir desquelles on fait le foie gras : la cirrhose graisseuse chez l'Homme est une réalité, et le coût du traitement de ces maladies fait planer sur les systèmes médicaux occidentaux la menace d'un effondrement futur qui impacterait tout le monde.
Pourtant, les statistiques parlent : 26% des diabètes sont uniquement dus au sucre. Le nombre de décès liés au diabète augmentent, et devraient encore augmenter de 50% dans les 10 ans à venir. Mais le lobby du sucre s'est internationalisé et son emprise est tentaculaire : dernièrement, l'EFSA, en Europe, encouragerait la consommation de fructose au vu de son faible indice glycémique. Le docteur Lustig tempête « C'est normal, il n'y a que peu de glucose dans ce sucre. Mais beaucoup de fructose, ce qui est 7 fois pire pour l'organisme !». Encore un exemple de confusion volontaire qui endormirait le consommateur... Précision importante : si le fructose présent naturellement dans les fruits ne pose pas de problème, il en va différemment du fructose « ajouté » dans les sirops, jus commerciaux et produits industriels.
Pourtant, le documentaire se termine sur une note optimiste, évoquant une proposition du groupe bancaire Crédit Suisse : Taxer les produits transformés avec un certain taux de sucre et utiliser ces revenus pour financer le traitement des pathologies liées à la surconsommation de sucre ! Il fallait y penser. Le reportage prolonge cette idée, proposant d'encourager l'agroalimentaire sain et durable et de le subventionner pour qu'il l'emporte face à l'agroalimentaire qui sacrifie la santé des populations sur l'autel du profit.