13.600 euros pour une imprimante et un scanner! Le consortium Opale Défense (Bouygues, Thales…), opérateur privé de l’Hexagone Balard, facture chaque prestation au prix fort. Au grand dam des militaires.
Ne l’appelez plus « Pentagone à la française ». L’Hexagone Balard, nom définitif du nouveau siège du ministère de la Défense dans le 15èmearrondissement de Paris, est officiellement inauguré ce jeudi 5 novembre à 15h par le président François Hollande. Mais les militaires et agents du ministère n’ont pas attendu le grand raout pour prendre possession des lieux: 85% des 9.300 agents prévus sur le site sont déjà installés dans les 145.000 m2 de bâtiments neufs, qui rassembleront les états-majors des armées, la Direction générale de l’armement et divers services du ministère.
Depuis l’arrivée des « pionniers » en février dernier, les occupants vont de surprise en surprise. Il y a bien sûr les inévitables bugs des bâtiments flambant neufs : panne d’ascenseurs, volets qui se ferment automatiquement en pleine réunion, problèmes de scan des plaques d’immatriculation à l’entrée du site. Mais les agents ont surtout pu se familiariser avec les joyeusetés de la gestion du site en partenariat public privé (PPP): si le loyer annuel versé par le ministère, 154 millions d’euros, comprend la redevance immobilière, celles des systèmes d’information et des services (restauration, nettoyage, conciergerie…), chaque modification des bureaux demandée fait l’objet d’une facturation supplémentaire.

13.613 euros le scanner et l’imprimante

Et l’addition monte vite à des niveaux astronomiques. Un général ayant demandé une modification du sens d’ouverture de la porte de son bureau a reçu un devis de 2.000 euros. Installer un œilleton à la porte coûte « plusieurs milliers d’euros », assure un familier de l’état-major. Le Canard Enchaîné avait révélé le 29 avril (PDF) que la pose de deux prises de courant au secrétariat des généraux avait fait l’objet d’un devis de « 5468,02 euros ».
Même tarifs électrisants pour le matériel informatique. Selon des devis (refusés par le ministère) de Bouygues et Thales, datés de mars et avril 2015 et consultés par Challenges, l’installation d’une imprimante et d’un scanner est proposée à 13.613,21 euros. Le scanner lui-même est facturé 2.700 euros. « A ce prix-là, ça doit être un scanner doré à l’or fin 18 carats voire platine, serti de diamants, saphirs, rubis et émeraudes », ironise un agent du ministère dans un email adressé aux officiers et militaires du rang.

4 jours pour brancher une imprimante

L’imprimante est moins chère : 275 euros. Mais il faut ajouter divers zakouskis : les prises de courant (2274,24 euros), leur maintenance (3193, 78 euros), un vague agrégat « pilotage/coordination/vérification » (facturé 240 euros), l’installation des équipements (560 euros), leur maintenance (2.893 euros) ou un mystérieux « chef de projet », nommé pour mener à bien la très complexe opération de branchement (754 euros pour faire l’ »interface entre le fournisseur et le ministère »). D’où l’addition finale de 13.613 euros.
Un niveau de tarif qui ne garantit pas vraiment une grande célérité de la part du consortium : le délai d’exécution est de « 8 semaines à réception de la commande », et la durée des travaux est estimée… à 4 jours. Le devis a finalement été refusé par les argentiers du ministère. « Face à ces prix prohibitifs, il conviendra d’adapter sa façon de travailler aux nouveaux locaux, et non pas (ou plus) d’adapter les locaux à la façon de travailler », avertit l’un d’eux dans un email consulté par Challenges.

Contrat mal négocié ?

Certes, ces tarifs élevés sont le problème habituel des PPP. « Mais on peut se demander si le contrat a été bien négocié, assure le député LR François Cornut-Gentille, membre de la commission des finances de l’Assemblée nationale, et auteur avec Bernard Cazeneuve d’un rapport sur le sujet en 2012. Il semble y avoir une expertise plus forte, sur ce genre de projets, du côté des opérateurs privés qu’au sein de l’Etat. Globalement, le projet Balard tient la route, mais je pense que si l’Etat avait été plus loin dans l’exploration des solutions alternatives au PPP, il aurait pu négocier dans une meilleure position avec le consortium ».
Interrogé sur les tarifs des prestations du consortium Opale lors d’une visite de l’Hexagone Balard le 16 octobre dernier, le secrétaire général à l’administration Jean-Paul Bodin reconnaissait le problème. « Nous freinons les demandes de modifications », assurait-il. Avertissant tout de même que le loyer 2016 serait « supérieur » à l’enveloppe de 154 millions d’euros, en raison des ajustements demandés à Opale après le déménagement des agents.