L’état d’urgence face au terrorisme tourne à la répression des mouvements sociaux
Des militants écologistes qualifiés de « groupes et groupuscules appartenant à la mouvance contestataire radicale et violente » et interdits d’entrée en Eure-et-Loir. A Paris, une soixantaine de personnes ayant manifesté en solidarité avec les migrants viennent d’être convoquées au commissariat. Les autorités profitent de l’état d’urgence face à la menace terroriste pour réprimer les mouvements sociaux et écologistes.
En Île-de-France, les premières convocations sont arrivées quasi immédiatement dans les boîtes aux lettres. 58 personnes soupçonnées d’avoir participé à un rassemblement de soutien aux migrants, qui a réuni quelques centaines de personnes le 22 novembre à Paris, sont visées, indique la préfecture de police de Paris. Elles ont « commis ou tenté de commettre l’infraction de violation d’une interdiction de manifestation prise en vertu de l’état d’urgence », selon un procès verbal consulté par le site militant Paris-Luttes Info. Suite aux attentats du 13 novembre, le préfet de police de Paris a interdit toute manifestation sur la voie publique jusqu’au 30 novembre à minuit. Les personnes qui enfreignent l’arrêté d’interdiction encourent jusqu’à six mois d’emprisonnement et une amende de 7 500 euros.
« Parmi les 58 personnes poursuivies, il y a deux militants de Droit au logement dont le porte-parole Jean-Baptiste Eyraud, détaille Annie-Pourre, membre de l’association, contactée par Basta !. Ils ont visé haut. Le Préfet de police a indiqué qu’ils devaient faire l’objet de "poursuites exemplaires". C’est un acte politique », dénonce t-elle. Cette manifestation a mobilisé « un important dispositif de sécurisation » de la part des forces de l’ordre, ce qui les a « détournées de leur mission prioritaire de sécurisation générale », indique de son côté la préfecture de police de Paris. Question de priorités... Apparemment, les policiers n’ont procédé à aucun contrôle d’identité pendant la manifestation et ont identifié les contrevenants grâce aux images des caméras de vidéo surveillance. « Or, certaines personnes qui n’étaient pas présentes ont été convoquées », réagit Annie Pourre.
« Il s’agit bien de nous bâillonner ! »
Cette marche entre Bastille et la place de la République, intitulée « Migrant-e-s : Bienvenue », avait été décidée avant les attentats du 13 novembre, à l’appel de plusieurs organisations syndicales, associatives et politiques. Après l’interdiction de la manifestation par la préfecture, des militants de certaines organisations signataires ont néanmoins tenu à défiler. « Qu’ils soient nommés réfugiés, migrants ou sans-papiers ils et elles sont aussi, des victimes des guerres, des violences et de la misère qui les ont contraints à quitter leurs pays, a ainsi plaidé le syndicat Solidaires. Agir en solidarité participe aussi de la réponse aux attentats qui ont ensanglanté Paris. »
Alors que les convocations au commissariat se poursuivent, un appel à manifester « contre l’interdiction de manifester » est sur le point d’être rendu public par plusieurs organisations syndicales, associatives et politiques [1]. « Nous, mouvements sociaux, sommes interdits de nous rassembler et de manifester dans les rues, jusqu’à nouvel ordre. Femmes, migrants, défenseurs du climat et de la planète, altermondialistes, mal logés, salariés menacés, chômeurs et précaires, défenseurs des droits sont visé(e)s, alors que sont autorisés les marchés de noël et autres initiatives commerciales à l’occasion des fêtes de fin d’année, tout comme les événements sportifs ou culturels, écrivent les signataires. Cette interdiction ne vise donc pas à nous protéger, ni à économiser les forces de l’ordre, puisque les activités mercantiles sont autorisées. Il s’agit bien de nous bâillonner ! » Les signataires de l’appel demandent également la fin des poursuites contre « les 58 ».
« L’état d’urgence tourne à la caricature »
« L’état d’urgence tourne à la caricature », insiste Annie Pourre. Et pas seulement à Paris. La préfecture d’Eure et Loire vient d’interdire aux militants de « Cap sur la Cop » de traverser le département. Ce convoi rassemble 200 opposants à l’aéroport de Notre Dame des Landes qui se rendent en vélos et tracteurs à Paris. L’arrêté préfectoral qualifie ces militants de « groupes et groupuscules appartenant à la mouvance contestataire radicale et violente ». « Jusqu’où le gouvernement ira-t-il pour arrêter cinq tracteurs, un triton, une cabane, une cantine mobile et 200 cyclistes de 1 à 77 ans, armés d’un peu d’huile de chaînes et de pompes à vélo ? », réagissent les personnes visées par l’arrêté. Des responsables du convoi envisagent de déposer un référé liberté contre cette décision.
D’autres ont décidé de contourner l’interdiction de défiler sur la voie publique en mettant en avant « l’état d’urgence climatique ». C’est le cas d’organisations membres de la Coalition Climat 21 qui appellent à former une chaine humaine le dimanche 29 novembre à Paris, à la veille de l’ouverture de la conférence internationale sur le climat. « Pour la justice climatique, pour la paix qu’elle contribue à apporter et en hommage aux victimes des attentats, nous formerons, à Paris une chaîne humaine sur les trottoirs entre place de la République et Nation, sur le boulevard Voltaire en passant par le Bataclan et la rue de Charonne », précise la Coalition. A tous ceux qui veulent nous empêcher de nous exprimer, nous répondons : unis et solidaires nous voulons vivre ensemble sur une Terre juste et vivable. »