mercredi 23 décembre 2015

Geneviève Garrigos « À l’étranger, on me demande ce qu’il se passe en France » (L'humanité)

Geneviève Garrigos « À l’étranger, on me demande ce qu’il se passe en France »

Propos recueillis par Sylvie Ducatteau
Mercredi, 23 Décembre, 2015
L'Humanité
Présidente d’Amnesty International France
«L’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution et sa prolongation constituent un véritable danger. Avec cette réforme constitutionnelle, ce qui était une exception tendrait à devenir la norme. On peut restreindre les libertés dans un certain contexte. Le droit international le prévoit très précisément. Certains principes restent incontournables comme la proportionnalité, la non-discrimination et le fait que l’atteinte à la liberté soit justifiable. Or, l’état d’urgence tel qu’il est appliqué aujourd’hui n’est ni proportionnel, ni justifié et semble discriminatoire. Nous constatons clairement des abus et des violations des droits humains. L’inscrire dans la Constitution sans aucune garantie pour le droit des personnes, prolonger ses mesures jusqu’à six mois en dehors de tout cadre juridique constitue un grand danger. La France va beaucoup plus loin qu’un certain nombre de pays. Certaines personnes n’aiment pas que l’on compare l’assignation à résidence avec le centre de Guantanamo. Mais le fait que l’on puisse détenir des personnes de façon illimitée sur la base de présomption ou d’un comportement qui pourrait être considéré comme suspect, cela va extrêmement loin. N’oublions pas que nous avons adopté dix lois antiterroristes en France. Que les mesures prévues par l’état d’urgence, notamment la perquisition de nuit, étaient déjà possibles en dehors de ce cadre. La seule chose qui change est qu’on se passe de l’accord d’un juge. On sort d’un système basé sur des preuves, des éléments concrets, des faits, pour entrer dans un système basé sur le doute, ou des comportements jugés suspects. On change l’esprit de la lutte antiterroriste. On s’approche de démocraties moins avancées que la nôtre. Et tout cela sans débat, à une vitesse effrayante. À l’étranger, on me demande ce qu’il se passe en France. »