Scène de chasse aux sorcières dans Paris en marge de la COP21
L’effervescence du « off » de la conférence climatique ne masque pas un climat austère imposé par l’état d’urgence et la répression des militants écologiques.
Les photos se sont partagées toute la journée de mercredi, accompagnées de ce message de la journaliste Manon Loizeau, témoin « sidérée » d’une scène qu’elle a vue la veille :
« Au beau milieu de la rue saint Antoine, je vois arriver toutes sirènes hurlantes 7 cars de CRS. Ils s’arrêtent, entre 30 et 40 CRS armés comme pour une opération anti terroriste encerclent alors une dizaine de jeunes écolos âgés de 20 ans qui chantaient sur le trottoir. Ils les font asseoir mains sur la nuque devant des passants médusés. »
Les militants écolos sont libres. Ils témoignent ce mercredi, détendus, de la scène qu’ils ont vécue mardi à deux pas de la place de la Bastille :
« Sam » et ses amis de circonstance étaient en promenade en direction du centre de la capitale, armés d’une enceinte montée sur un triporteur. Nom de code de l’opération : « disco zad ». Objectif : interpeller les passants par des danses clownesques avec un tas de flyers à la main.
« Une délégation d’un chef d’État est passée devant nous, raconte « Sam » à Politis. Ça a sans doute un lien, car dix minutes plus tard, les camions de CRS ont déboulé pour nous encercler. Ils nous ont fouillés et ont contrôlé nos identités ». Sam s’assied et met ses mains sur la tête (la photo). « Ils n’en demandaient pas tant, mais je leur ai dit : “Vous exagérer, alors moi aussi j’exagère“ ». Ils seront relâchés une demi-heure plus tard par groupe de deux sur la place de la Bastille.
« Ils doivent accepter qu’ils ont affaire à un vrai mouvement de masse. Nous sommes très divers et nous rassemblons des gens du monde entier ! », devise Sam d’un sourire songeur.
Des réflexes complètement délirants
En un éclair, leur mésaventure a fait le tour du petit monde en effervescence dans l’ombre de la conférence climatique de Paris. Il faut dire que depuis la série de perquisitions administratives déclenchées contre des écologistes et les 24 assignations à résidence (au moins) décrétées, un climat tendu méfiance s’est installé chez les militants.
« On a développé des réflexes complètement délirants pour éviter d’être identifiés par les policiers en civile lors de nos faits et gestes », témoigne un assigné à résidence. « Personne ne nous accueille parce qu’ils ont peur des perquisitions administratives », raconte aussi une militante venue du sud de la France pour participer à la semaine d’action qui espérait trouver un toit dans les lieux autogérés. « Mais je les rassure : ils seront perquisitionnés de toute façon ».
Pika, lui, se remet tranquillement de 48 heures passées en garde à vue. Il a été interpellé dimanche après-midi sur la place de la République, « alors que les affrontements étaient terminés et les casseurs évaporés depuis longtemps », raconte-t-il. « J’ai été interpellé à 15 h 30 et ma mise en garde à vue ne m’a été signifiée que 5 h 30 plus tard », s’étonne-t-il. Sa garde à vue est prolongée au terme de la première journée, comme 9 des 326 interpellés de dimanche, sans motif.
Une première condamnation suite à une manifestation en marge de la lutte de Sivens, pour des violences – qu’il nie – sur un gendarme mobile, explique selon lui la prolongation de sa garde à vue. Il a été relâché sans connaitre la suite de son éventuelle affaire judiciaire.
Des manifestants suisses et belges n’ont pas eu cette chance. Ils ont été placés en centre de rétention administratif et risquent une interdiction de territoire d’une durée limitée.
« Le deuil annule tous les autres sentiments »
Une partie de ces militants, qui ont convergé à Paris malgré le rétablissement des contrôles aux frontières pour participer aux actions de la société civile, se prépare au Jardin d’Alice, atelier et lieu de vie d’un collectif d’artistes, qui vient juste de s’installer à Montreuil.
Antoine Raimondi, membre du collectif, décrit un climat délétère et les « discussions très vives » qui ont animé les différents collectifs depuis les attentats du 13 novembre. « Au début, l’émotionnel a pris le pas sur tout le reste. Aujourd’hui, avec l’état d’urgence, on est dans une méfiance généralisée à l’égard des uns et des autres »
Florilège d’action de désobéissance en prévision
Cette tension devrait durer encore une dizaine de jours au moins, car le mouvement pour la justice climatique a évolué, suite aux échecs des précédentes conférences climatiques, vers les méthodes de la désobéissance civile. Avec l’ouverture de la COP, une plateforme en ligne dédiée à ces actions non autorisées a été inaugurée, lundi. Les « climate games » référencent toutes les actions entreprises sur la capitale, ciblant pacifiquement des entreprises polluantes ou des institutions. Chaque soir, les organisateurs décernent des points aux actions rapportées sur la plateforme pour créer une émulation.
Le jardin d’Alice sert aussi d’atelier pour les préparatifs d’une immense action de désobéissance prévue le 12 décembre, jour de clôture de la COP21.
Tom est venu d’Angleterre pour piloter les préparatifs au nom du collectif Tools for action. L’interdiction de manifester, prolongée pour les communes limitrophes du Bourget jusqu’au 13 décembre, l’oblige à une constante réflexion. Les cubes gonflables qu’ils fabriquent, qui devaient symboliser les lignes rouges à ne pas franchir et auraient été utilisés pour encercler les Bourget, devraient finalement être envoyés à travers le monde pour une journée mondiale d’action reprenant la même symbolique, raconte-t-il.
« L’idée reste inchangée : pour la première fois, nous allons nous rassembler à la fin d’une COP, pour que ce soit nous qui ayons le dernier mot » reprend un membre de la coalition climat 21 lors de son assemblée générale réunie mercredi soir dans le 11e arrondissement de Paris. « Chaque jour qui passe change ce qui est possible de faire. On ajuste en permanence. »
Toutes les énergies seront mobilisées à plein régime à partir de samedi 5 décembre, avec le sommet citoyen, et jusqu’à la fermeture de la COP21, le 11 ou le 12 décembre.