Joseph Macé-Scaron Samedi 26 Décembre 2015
En Espagne, les
dernières élections ont révélé la volonté de tout un peuple de bousculer une
classe politique enfermée dans de vieux carcans en votant pour Podemos ou
Ciudadanos. En France, Bernard Tapie vient d'annoncer qu'il allait refaire de
la politique... Pour trouver un quelconque renouvellement politique, mieux vaut
traverser les Pyrénées semble-t-il.
Daniel Ochoa de Olza/AP/SIPA
Connaissez-vous Owen
Jones ? A 31 ans, ce jeune homme s'invite sur tous les théâtres d'opérations de
la gauche européenne, de cette gauche qui se refuse à signer son acte de décès
et s'invente un passé pour échapper à son passif. Son visage d'acteur de films
de Ken Loach s'est glissé dans toutes les vidéos de campagne de Podemos. Né
dans la banlieue de Sheffield d'un père ouvrier communiste et d'une mère
syndicaliste, Owen est devenu tour à tour historien, collaborateur
parlementaire (travailliste), éditorialiste (BBC, The Guardian...) puis
essayiste. Il publie à 27 ans Chavs : diabolisation de la classe
ouvrière. Le mot « chavs », empreint de racisme social, est l'étiquette
infamante pour les classes défavorisées. Un grand succès et, surtout, une
grande claque au Labour Party. Plus fort qu'un roman d'Irvine Welsh. Puis l'Establishment,
comment s'en sortir, critique de l'intérieur de notre désordre établi qui fait
grincer bien des dents de la City. Depuis un an, il est en dialogue
constant avec Inigo Errejon, un des plus inventifs penseurs de Podemos,
héritier hérétique du postmarxiste, Ernesto Laclau, âgé de 32 ans et grand
débatteur. Il faudra encore attendre pour pouvoir lire ces talentueux jeunes
gens. « Les idées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de
colombe », disait Nietzsche. En France, les idées traînent des semelles de
plomb. Rue de Solferino, une fois que les hiérarques du Parti socialiste ont
décidé de l'équilibre des forces, pesées au trébuchet, et quand arrive le
moment craint, le moment si délicat, d'élaborer un texte de prothèse plus que
de synthèse, il y a toujours un intervenant pour dire : « Et si on
demandait à Henri [Weber] ou à Alain [Bergounioux] ? »
En France, on n'a pas d'idées (politiques) mais, mais... on a
Bernard Tapie. La première fois que j'ai rencontré l'impétrant, j'étais au Figaro et
c'était en compagnie du directeur de l'époque, Franz-Olivier Giesbert. Tapie
portait son col roulé, tendit la main et m'apostropha directement : «
Qu'est-ce qui te branche, toi, le fric ou les nanas ? » Difficile
d'être aussi vite hors jeu. Il paraît que l'adversaire puis le copain de
Jean-Marie Le Pen parlait vrai. Erreur, il parlait cru. François Mitterrand
aima beaucoup Bernard Tapie, de même qu'il goûtait tout particulièrement le
gibier et les plats canailles. Difficile, en effet, de faire passer l'ancien
patron d'Adidas pour un ortolan politique. Que la déliquescence de la gauche en
France corresponde à un retour sur la scène médiatique de l'ancien ministre de
la Ville en dit long sur les mœurs journalistiques et politiques dans notre
pays. Pendant ce temps, Podemos, Ciudadanos et d'autres formations espagnoles
ont procédé à un profond renouvellement en envoyant la moitié de la classe
politique espagnole au tapis. Vérité au-delà des Pyrénées, erreur en deçà.
La droite hexagonale n'est pas mieux lotie, car elle n'a
d'espagnole que l'auberge. On cherchera en vain - à l'exception de Génération
libre de Gaspard Koenig - une analyse de fond du mouvement Ciudadanos. Cette
formation est souvent paresseusement décrite ici comme un mouvement « centriste
». De fait, si sa pratique politique le place ailleurs ; si son positionnement
le fait camper au milieu de l'espace public ibérique, il n'en demeure pas moins
un parti qui se retrouve souvent idéologiquement à la droite du Parti populaire
du mal-aimé Mariano Rajoy. Des nouveaux penseurs d'une droite républicaine et
libérale ? Vous pouvez les chercher dans nos contrées avec une lanterne.
Cette famille politique attend paresseusement le réchauffement
climatique, qui verra dériver vers ses côtes les icebergs de gauche. De fait,
les intellectuels de droite qui comptent, aujourd'hui, viennent d'un autre
continent ayant gardé comme seul doudou idéologique leur bon vieux manichéisme.
Les seuls à s'agiter sont regroupés dans Sens commun, l'expression au sein de
l'ex-UMP des Veilleurs et de La Manif pour tous. En bons trotskistes de droite,
ils hésitent entre deux stratégies : l'agit-prop ou le fait de s'appuyer sur
des élus qu'ils ont glanés lors des dernières régionales. Merci, Valérie
(Pécresse), merci, Laurent (Wauquiez). Bon. Tout cela fait des pages débats
dans le Figaro, mais est un peu court pour constituer une
révolution conservatrice. Décidément, ce qui se passe en Espagne nous apprend
beaucoup et d'abord sur nous-mêmes.