GRECE Mine d'or de Skouries. Quand le gouvernement Syriza refuse le chantage d'une multinationale
Pavlos Kapantais
Vendredi, 22 Janvier, 2016
Humanité Dimanche
C'est l'histoire d'une mine d'or grecque que les gouvernements libéraux avaient offerte à la compagnie canadienne eldorado Gold. une mine dont l'exploitation cause un désastre environnemental, sanitaire et social au mépris des populations locales. depuis l'arrivée au pouvoir de syriza, la donne a changé. le nouveau gouvernement a décrété la suspension de l'exploitation. la compagnie a été condamnée à une amende de 1,7 million d'euros. Mais eldorado Gold n'a pas encore lâché l'affaire et s'appuie sur la droite grecque pour accuser le gouvernement tsipras de supprimer des centaines d'emplois.
«La répression quotidienne n'avait d'égale que le viol perpétré contre la nature. Les CRS étaient ici quotidiennement ; tous les jours il y avait des arrestations qui s'apparentaient plus à des enlèvements qu'à des opérations policières. À deux reprises, ils sont même venus chercher des habitants à 4 heures du matin chez eux ! Ce fut un choix délibéré. Casser des portes à 4 heures du matin ! Même s'il y avait un procureur qui était présent pour que cela reste dans le cadre de la légalité, le but était clair : ils voulaient nous terroriser ! »
Ioanna (1) a encore du mal à y croire. Cela pourtant n'est pas si vieux. Ce qu'elle raconte a eu lieu en 2013, sous le gouvernement d'Antonis Samaras et de son dogme « d'investissement à tout prix », façon détournée d'utiliser la crise économique pour faire de la servitude aux grands intérêts financiers et aux multinationales en tous genres le modus operandi permanent de l'État grec. L'histoire de Skouries est emblématique de tout cela. Concédées par l'État grec sous le gouvernement de technocrates de Loukas Papadimos, en 2011, les conditions de vente sont tellement scandaleuses qu'elles mobiliseront même la... Commission européenne.
Celle-ci condamnera, en effet, les conditions d'exploitation du site par la compagnie canadienne Eldorado Gold, les jugeant tellement favorables à cette société qu'elles constituent, selon Bruxelles, une aide d'État (2) !
UN DÉSASTRE ÉCOLOGIQUE MAJEUR
Plus important encore que l'aspect économique, le projet d'extraction de l'or (3) sur le site est une véritable catastrophe écologique. Pour Dimitris Ibrahim, directeur de campagnes à Greenpeace Grèce, la question des mines d'or de Chalcidique-Skouries ne devrait même pas être posée car « il est évident que ce projet ne peut pas être accompli sans un désastre écologique majeur. À cause des substances toxiques utilisées pour l'extraction, dont l'arsenic, qui empoisonneront la nappe phréatique, l'air et le sol ». Rien que ça. Tout cela avait évidemment conduit Syriza à s'opposer au projet depuis de nombreuses années. En 2013, en tant que chef de l'opposition, Alexis Tsipras avait dénoncé la volonté du gouvernement Samaras de « terroriser la population locale ».
Arrivé au pouvoir, Syriza a changé la donne : en août 2015, le ministère de l'Environnement et de l'Énergie décrète la suspension des travaux sur le site de Skouries, pour « diverses violations des conditions techniques du projet » préjudiciables à l'environnement. Après des mois de tractations au cours desquels elle essaye de faire pression sur le gouvernement, Eldorado Gold passe à l'offensive médiatique en ce début janvier.
« AUCUNE COMPAGNIE, GRECQUE OU ÉTRANGÈRE, NE PEUT FAIRE DU CHANTAGE À L'ÉTAT GREC ET IGNORER LES LOIS ! » PANOS SKOURLÉTIS,MINISTRE GREC DE L'ENVIRONNEMENT ET DE L'ÉNERGIE.
Lors d'une conférence le 12 janvier, son PDG, venu expressément du Canada pour l'occasion, décide de politiser la question à outrance : « Au moment même où les ministres du gouvernement grec supplient, à Londres et à New York, les investisseurs de venir en Grèce (...), le comportement ouvertement conflictuel de ce même gouvernement nous oblige à arrêter nos opérations. » Cela signifie la perte immédiate de 600 emplois. Pour l'opposition grecque, c'est du pain bénit, et la caricature du gouvernement de gauche qui détruit l'économie et chasse les emplois et les investissements joue ad nauseam sur les chaînes de télévision privées grecques.
LE BRAS DE FER CONTINUE
Pourtant, le gouvernement ne recule pas d'un pouce. En réponse au PDG d'Eldorado, Panos Skourlétis, ministre de tutelle en charge du dossier, déclare : « Aucune compagnie, grecque ou étrangère, ne peut faire du chantage à l'État grec et ignorer les lois. »
Quelques heures plus tard, son ministère, celui de l'Environnement et de l'Énergie, annonce des amendes à hauteur de 1,7 million d'euros pour la compagnie canadienne, pour diverses violations de la législation de la protection environnementale. Le bras de fer est engagé.
La compagnie canadienne comptet-elle réellement partir du site de Skouries ? Pour Foteini Evangelidou, sage-femme à la retraite, qui milite contre le projet depuis de nombreuses années, rien n'est moins sûr. « C'est très probablement une nouvelle stratégie mise en oeuvre pour mieux repartir de l'avant. Malgré ces déclarations, l'activité sur la mine ne s'est pas vraiment arrêtée depuis une semaine. Je ne croirai vraiment à l'abandon du projet que quand la mine sera fermée et qu'ils seront réellement partis. » Si elle reste sur ses gardes, c'est aussi parce qu'elle a vu de ses propres yeux de quoi la compagnie est capable. Militant contre la mine bien avant son rachat par Eldorado, elle se souviendra longtemps de « l'entrée en matière » de la compagnie canadienne.
ELDORADO GOLD NE RECULE DEVANT RIEN
« Depuis quelques années, nous avions créé avec les autres habitants un poste de garde pour pouvoir surveiller ce qui se passait sur la montagne. En mars 2012, quelques semaines à peine après le rachat du site, Eldorado a envoyé plus de 500 personnes, avec des bus de la compagnie, dont certaines étaient ses salariées et d'autres celles qui souhaitaient le devenir et à qui on avait promis une embauche si elles nous chassaient et nous terrorisaient... Une trentai ne d'entre nous, qui s'étaient réunis au poste de garde justement parce qu'on avait vu soudain du mouvement sur le chantier, se sont retrouvés face à 500 personnes en furie. Et tout ça s'est fait sans que la police ne daigne intervenir, alors qu'on l'avait prévenue en voyant les bus arriver ! Résultat : elles ont incendié et brûlé notre poste de garde, et certains d'entre nous se sont retrouvés à l'hôpital. Elles étaient comme enragées. »
Eldorado Gold a donc fait ses preuves : elle ne recule devant rien pour arriver à ses fins. Est-elle réellement prête à se retirer ou souhaite-t-elle juste donner des munitions aux adversaires d'un gouvernement qui lui tient tête ? Affaire à suivre. Quoi qu'il en soit, au lendemain de sa conférence de presse du 12 janvier, son action perdait 18 % à la Bourse de Toronto. Une drôle de victoire pour ses opposants...
(1) Le prénom a été changé à la demande de la militante. (2) La Cour de justice européenne a ensuite validé la décision de la Commission en décembre 2015. (3) Le début du projet d'extraction de l'or à Skouries date de 1995, la compagnie Eldorado Gold devient propriétaire du site en 2011 après maintes péripéties.
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Compagnie basée à Vancouver et fondée en 1991, Eldorado Gold est active dans le secteur minier et spécialisée dans l'or. Elle est la première compagnie nordaméricaine à construire et à faire opérer des mines d'or en République populaire de Chine. Elle opère aussi au Brésil, en Turquie et, évidemment, en Grèce. En 2015, elle a réalisé 890 millions de dollars de chiffre d'affaires et 125 millions de dollars de bénéfice d'exploitation.