Le cobalt des smartphones et voitures électriques extrait par des enfants
Composant essentiel des batteries de nos smartphones, tablettes et voitures électriques, le cobalt provient en grande partie des mines situées au sud de la République démocratique du Congo (RDC). Selon les estimations, le quart du cobalt exporté provient de mines artisanales, dans lesquelles les mineurs utilisent des outils très rudimentaires pour creuser et extraire le précieux métal. Ils travaillent sans aucune protection, exposant leurs peau et leurs poumons aux poussières très irritantes du cobalt. Creusés à mains nues, sans matériel adéquat et sans précautions, les puits et galeries s’écroulent régulièrement, ensevelissant les travailleurs. Des dizaines de morts sont signalées chaque année. « Les mineurs ont tellement peur que nombre d’entre eux s’alcoolisent pour se donner du courage », souligne un rapport sur la filière cobalt publié ce 19 janvier par Amnesty international et l’Observatoire africain des ressources naturelles (Afrewatch).
Intitulé « Voici pourquoi nous mourrons : les violations des droits humains dans le commerce globalisé du cobalt en RDC » [1], le document présente les témoignages recueillis sur place en avril et mai 2015. « Nous avons tous des problèmes aux poumons, et mal partout dans notre corps », rapporte Joséphine, 33 ans, mère de cinq enfants. Les enquêteurs ont rencontré une petite centaine de mineurs, dont plusieurs enfants. Ils sont plusieurs milliers à trimer 12 heures par jour, pour gagner un ou deux dollars [2]. Certains enfants trient le cobalt, en surface. D’autres descendent dans les boyaux sans air et sans lumières, parfois pendant 24 heures d’affilée. Vivre et travailler dans le secteur des mines expose en plus les enfants à la violence des adultes : nombre d’entre eux rapportent avoir été frappés. Il y a aussi des violences sexuelles, qui concernent également les femmes.
Apple, Samsung, Microsoft, Sony et Volkswagen interpellés
Qui achète le cobalt de RDC ? D’après le rapport d’Amnesty international et Afrewatch, le principal client des marchés congolais est une entreprise chinoise, la Congo Dongfang Mining (CDM), filiale détenue à 100 % par le géant chinois de l’exploitation minière Zhejiang Huayou Cobalt Ltd (Huayou Cobalt). La multinationale fournit ensuite le cobalt « à trois fabricants de composants de batteries lithium-ion », en Chine et en Corée du Sud [3]. « Ces trois fabricants ont acheté pour plus de 85 millions d’euros de cobalt à Huayou Cobalt en 2013. À leur tour, ceux-ci vendent leurs composants à des fabricants de batteries qui affirment fournir des entreprises du secteur de la technologie et de l’automobile, notamment Apple, Microsoft, Samsung, Sony, Daimler et Volkswagen », décrit le rapport. Contactées par les ONG, certaines de ces entreprises ne savent même pas d’où vient le cobalt dont elles se servent. Elles semblent se désintéresser des conditions dans lesquelles le matériau est extrait [4].
« En raison des risques pour la santé et la sécurité, l’extraction minière est l’une des pires formes de travail des enfants. Comment des entreprises dont les profits à l’échelle mondiale se montent à 125 milliards de dollars (115 milliards d’euros) osent-elles affirmer qu’elles sont incapables de vérifier d’où proviennent des minerais essentiels à leur production ? », s’insurge Mark Dummett, spécialiste de la responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International.« Des millions de personnes bénéficient des avantages des nouvelles technologies, sans se préoccuper de la manière dont elles sont fabriquées. Il est temps que les grandes marques assument leur part de responsabilité dans l’extraction des matières premières qui rendent leurs produits si lucratifs. »
Amnesty International et Afrewatch demandent aux multinationales qui intègrent des batteries lithium-ion dans leurs produits, d’enquêter pour déterminer si le cobalt est extrait dans des conditions dangereuses ou en recourant au travail des enfants, et de renforcer la transparence quant à leurs fournisseurs. « Les entreprises ne doivent pas se contenter d’interrompre une relation commerciale avec un fournisseur ou de décréter un embargo sur le cobalt de la RDC parce que des risques en termes de droits humains sont identifiés dans la chaîne d’approvisionnement, précise Mark Dummett. Elles doivent agir en vue de remédier aux souffrances endurées par les victimes d’atteintes aux droits humains. »
Photo : © Amnesty international