Les statistiques par tranches d’âge démontrent que le recul est homogène, non explicable par des crises sanitaires.
Que penser du recul de l’espérance de vie en France ?
Sranan KHAIRI
L’information est tombée cette semaine en arrière plan d’une actualité où les questions sécuritaires se disputent les couvertures aux questions identitaires. L’espérance de vie a reculé en France pour la première fois depuis 1969. (1)
Ce constat posé par l’Institut National des Statistiques et des Etudes Economiques (INSEE) semble d’importance. Et pourtant...
Et pourtant aucun responsable gouvernemental n’a crû bon s’exprimer sur le sujet. Pas même la Ministre de la Santé et des Affaires Sociales, Marisol Touraine. Ni dans la presse ni sur les réseaux sociaux sur lesquels s’étalent quotidiennement nos politiques.
Et pourtant la presse en fait peu de cas. Les chaînes d’infos en continu, si promptes à se saisir du moindre fait anxiogène, n’y ont pas accordé plus de 25 secondes (record atteint sur BFM-TV). Les journaux n’y ont consacré qu’un ou deux articles en pages intérieures. Qui plus est nos journalistes, seuls ou à l’aide "d’experts statistiques", se veulent rassurants : cela ne signifie rien. Ils le noient sous les autres paramètres démographiques (taux de natalité, de mortalité, de fécondité ou de mariages) et invoquent la canicule, la grippe, le papy boom et d’autres éléments non signifiants pour le transformer en anecdote conjoncturelle. (2)
Peu leur importe que les statistiques de l’INSEE, structurées par tranches d’âge, démontrent que ce recul est homogène. Donc peu susceptibles d’être expliquées par des crises sanitaires, par ailleurs récurrentes, ne touchant que des publics à risque.
Il faut dire que, tant Le Monde que L’Humanité, Le Figaro, L’Express, Le Point ou Libération n’ont fait que... reproduire ou retoucher une dépêche de l’Agence France Presse (AFP) rédigée à la va-vite... SeulLe Point ayant par ailleurs l’honnêteté de le mentionner. (2) Le Point, seul organe à avoir ensuite publié une tribune sur le sujet rédigée par un médecin, leur "chroniqueur santé", le Dr Laurent Chevalier, nutritionniste. Dr Chevalier qui, bien que péchant en ne l’analysant qu’au travers de l’objet de sa spécialité, considéra cet événement pour ce qu’il est : un signal d’alarme. (3)
Un signal d’alarme car l’évolution de l’espérance de vie est le meilleur indicateur de l’évolution globale d’une société, en particulier de son état social. Si les déterminants de la santé sont multiples, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a en effet démontré de longue date que le premier d’entre eux est la distribution des richesses. Plus déterminant que le nombre de médecins ou de lits d’hospitalisation par habitant. Plus déterminant que le niveau d’éducation. Plus déterminant que la pyramide des âges. Plus déterminant que le niveau moyen ou médian de richesses. (4)
Pays dont l’espérance de vie a reculé entre 2005 et 2015 (OMS, Banque Mondiale).
Ainsi, alors que l’espérance de vie est en augmentation constante dans toutes les zones du monde depuis l’ère post-coloniale, seuls quelques pays en guerre ou connaissant une grave crise sociale l’ont vu transitoirement reculer. Il en a été ainsi lors de la guerre du Vietnam, sous la dictature chilienne, en Afghanistan lors des opérations américaines, en Russie suite à l’effondrement de l’Union Soviétique,... (5)
Un signal d’alarme car depuis 2005, seuls 8 pays dans le monde ont vu ou voient leur espérance de vie reculer : l’Espagne, la Grèce, l’Irak, la Libye, le Portugal, la Syrie, la Tunisie... et maintenant la France. (5) Nul n’est besoin de s’étendre sur le cas de la Syrie (en plein désastre), de l’Irak (se remettant péniblement de l’illusion du nouvel ordre post-soviétique), de la Libye (toujours chaotique) ou de la Tunisie (dont l’Etat ne maîtrise plus rien d’autre que les coups de matraques).
Il n’aura pas échappé que sur ces 8 pays, 4 font partie de l’Union Européenne. Que la Grèce, l’Espagne et le Portugal sont en pleine débâcle, sacrifiés sur l’autel des intérêts de la préservation des patrimoines européens constitués. Que la France est le pays-pivot entre "l’Europe du sud" en perdition et le reste de l’Union. Que l’Union Européenne est le seul "trou noir économique" dans le monde aux dires mêmes des très orthodoxes Fonds Monétaire International (FMI) et Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Que ces derniers adressent des rapports alarmistes à nos chefs d’Etats depuis 2010 et leur préconisent des mesures qui paraissent "gauchistes" (diminution drastique des impôts sur le travail, levée des secrets bancaires, taxation des patrimoines,...) au vu de celles que nous connaissons. Que nos dirigeants (inutile d’incriminer d’obscurs eurocrates, l’Union est dirigée par les gouvernements nationaux) y restent sourds. Qu’ils paraissent toujours persuadés que "la croissance" reviendra mécaniquement. Que "serrons les fesses et préservons nos intérêts en attendant" semble être leur mot d’ordre.
Quelques uns nieront ces réalités. Il n’y a rien à leur opposer. Que peut-on répondre à la pensée magique ?
Certains objecteront que l’espérance de vie en France étant élevée, il était inévitable qu’elle s’infléchisse. Que l’on a atteint un plafond biologique. Rien n’est plus faux. De nombreux pays, pas seulement le Japon toujours cité en exemple, dont l’espérance de vie est supérieure à celle de la France continuent à la voir augmenter. Un plafond biologique existe certainement mais il est assurément loin d’être atteint. Ainsi, dans un bel élan d’optimisme quant à l’état de la France, l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) prédisait dans un rapport de 2010 que l’espérance de vie continuerait à augmenter continuellement jusqu’à dépasser 100 ans. (6)
D’autres répondront qu’une inflexion avec un recul se limitant à un an ne peut permettre de conclusions définitives. Ils ont raison.
Il n’en demeure pas moins que ce recul doit nous inquiéter. Qu’on ne peut que constater qu’il s’inscrit parfaitement dans le contexte européen. Qu’on ne peut nier que les indicateurs sociaux demeurent au rouge. Que lorsque l’espérance de vie recule, il est urgent de s’interroger sur les politiques futures. Que le désintérêt manifeste de nos dirigeants pour cette question tient de l’irresponsabilité.
Shanan Khairi, MD
1. INSEE, Evolution de l’espérance de vie à divers âges jusqu’en 2015, INSEE, 2016
2. Le Monde, L’espérance de vie recule pour la première fois depuis 1969, 19/01/2016 ; Libération, L’espérance de vie recule pour la première fois depuis 1969, 19/01/2016 ; L’Humanité, France : diminution de l’espérance de vie, 19/01/2016 ; Le Figaro, Recul de l’espérance de vie et baisse des naissances... le bilan morose de 2015, L’Express, L’espérance de vie recule, la faute au baby boom ?, 19/01/2016 et Le Point, L’espérance de vie recule et les naissances baissent en France, 19/01/2016
3. Le Point, Laurent Chevalier - Baisse de l’espérance de vie, sortons du déni !, 21/01/2016
4. World Health Organization, Database on Health and poverty, untill 2016
5. Statistiques officielles de World Health Organization et de World Bank, ONU.
6. Vallin J. et al., Espérance de vie : peut-on gagner trois mois par an indéfiniment ?, INED, "Population et Société", n°473, déc 2010
Les statistiques par tranches d’âge démontrent que le recul est homogène, non explicable par des crises sanitaires.
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