Colocation étudiante pas chère en échange d’action sociale dans les quartiers : devenez « kapseurs »
Accéder à un logement étudiant peu cher tout en incitant à l’engagement des jeunes dans les quartiers populaires. Tel est l’objectif des Kaps, ces « colocations à projets solidaires », portées par l’Association de la fondation étudiante pour la ville. Les Kaps essaiment en France. Elles permettent de combiner engagement citoyen, colocation étudiante et projets solidaires. Les étudiants impliqués en semblent satisfaits. En Bretagne, le concept est expérimenté à Rennes et à Brest. Rencontres avec ces jeunes pour qui le mot « colocation » rime avec « action ».
Brest, un jeudi d’automne. Le vent s’engouffre entre les bâtiments du quartier Kerbernier, refroidissant l’atmosphère baignée de crachin. La petite cité HLM enclavée dans la ZUP [1] de Bellevue, est calme. Peu de personnes se risquent dehors, la nuit est déjà tombée. Un local, blotti au rez-de-chaussée d’un des immeubles, attire l’œil avec sa fenêtre éclairée. À l’intérieur, une équipe d’étudiants préparent les prochaines heures d’aides aux devoirs auprès des jeunes habitants de la cité.
Attablées à côté, deux jeunes femmes, Nolwenn et Manon, attendent la venue d’habitants. Elles sont « Kapseuses », un nom original pour un concept développé depuis 2010 par l’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) [2]. Les Kaps signifient « K(c)olocations à projets solidaires ». Elles s’inspirent des Kot belges, ces habitations communautaires rassemblant des dizaines d’étudiants autour de projets sociaux, humanitaires ou sportifs. En France, les Kaps consistent en une colocation d’étudiants, dans un quartier populaire, au sein de laquelle les occupants doivent mener un projet solidaire, en lien avec les habitants du quartier.
À Brest, deux Kaps ont vu le jour depuis 2014. Chaque colocation accueille trois étudiants, dont Manon et Nolwenn. La première, 21 ans, est étudiante en master 1 « métiers de l’intervention sociale ». La deuxième est en troisième année de licence de lettres modernes. Toutes deux ont été rapidement intéressées par la possibilité d’entrer en Kaps. « Lorsque j’ai vu l’annonce en ligne, le concept de “colocation solidaire” m’a tout de suite tapé dans l’œil », se rappelle Nolwenn. Idem pour Manon, qui apprécie de pouvoir vivre à plusieurs, tout en ayant un engagement. Avant d’entrer en colocation, les deux étudiantes ont passé un entretien avec l’Afev de Brest, afin de mesurer leur intérêt pour le projet, leurs goûts, leur motivation et leur disponibilité.
De l’aide aux devoir pour les élèves
Les loyer sont attractifs : comptez entre 180 et 220 euros à Rennes, charges comprises, et 150 euros à Brest, car les appartement proposés font partie du parc social et les loyers sont, du fait de la colocation, divisés entre plusieurs. En échange, les étudiants doivent s’engager dans les quartiers populaires où ils vivent. Chaque colocation a ainsi un projet à mener sur le quartier, ainsi que des actions plus ponctuelles. « Toute l’année, nous animons des séances d’aides aux devoirs », précisent les deux étudiantes. À Noël, des ateliers de confection de décorations ont lieu, et, à partir du printemps, des sessions de fabrication de nichoirs à oiseaux, en matériaux de récupération, prennent le relais. Une idée de David, un autre Kapseur brestois. « Au minimum, tout cela demande deux heures de disponibilité par semaine, évaluent Manon et Nolwenn, mais, au final, on déborde souvent. »
Même principe du côté de Rennes, deuxième ville bretonne à héberger des Kaps. La capitale de la région, avec 65 000 étudiants, est un terrain de jeu idéal pour la déclinaison du concept. « Nous avons cette année 30 Kapseurs répartis en huit colocations », indique Elodie Habert, déléguée territoriale à l’Afev de Rennes. Le dispositif est plus étendu et plus ancien qu’à Brest. Les Kaps sont situées dans plusieurs quartiers populaires : Maurepas, Villejan, Le Blosne-Cleunay et Brequigny. Ce quartier est le dernier en date à avoir vu les Kapseurs débarquer. « À Bréquigny, il y a deux colocations de petite taille, de trois personnes », précise Elsa Jacquiez, référente pour le quartier à l’Afev de Rennes et en charge directe des Kaps.
Repas entre voisins et cluedo géant apaisent les tensions dans le quartier
À Rennes aussi, un projet minimum doit être mené dans l’année par chaque colocation. À Bréquigny, des étudiants ont décidé de mettre en place une zone de gratuité à l’échelle d’un immeuble. À Maurepas, les étudiants colocataires ont invité leurs voisins à manger chez eux, une fois par mois, afin de créer du lien. « Des étudiantes ont organisé un Cluedo géant entre jeunes et adultes afin d’apaiser certaines tensions en cours dans le quartier », raconte Elsa Jacquiez.
Tom, 21 ans, a vécu deux ans en Kaps, à Rennes, dans le quartier universitaire de Villejean. Une expérience qui l’a marqué au point de « continuer aujourd’hui à vouloir vivre en colocation ». « Je suis arrivé il y a trois ans à Rennes, et je cherchais un logement pour mes études. J’ai repéré l’annonce pour les Kaps, et j’ai tenté l’aventure », se souvient-il. Au programme de ces deux années : des rencontres avec les habitants et des projets. « Suite à la demande d’une voisine, on a mis en place des veillées contées. Cela a bien marché. »
« On a aussi travaillé autour des cultures du monde : on proposait par exemple aux habitants de les accompagner à la médiathèque où se tenaient des soirées jeux de société du monde », raconte Tom. De quoi « rencontrer des gens dans le quartier. » Un constat que partagent également les Kapseuses brestoises, Manon et Nolwenn. « Toutes nos actions nous permettent de créer du lien avec les habitants. » Les trois avouent d’ailleurs « se sentir vraiment habitants du quartier et non plus juste Kapseurs ».
« On en ressort avec une vision différente de la citoyenneté »
La formule « engagement contre loyer modéré » semble plaire aux étudiants qui l’ont testée ou qui l’expérimentent actuellement. « Outre la possibilité de se loger à tarif avantageux, cela leur permet de développer le lien social, mais aussi également d’acquérir des compétences en élaboration de projets et en méthodologie », affirme Elodie Habert. « Mais parfois mener des projets pendant seulement un an, c’est un peu frustrant, on aimerait que ça dure plus longtemps », concède Tom, l’ancien Kapseur rennais. « Le problème, c’est de parvenir à tout gérer sur une semaine, le planning peut être vraiment très serré entre la vie étudiante et les actions sur le terrain », avouent de leur côté les deux brestoises.
Et il peut être parfois compliqué de mobiliser les habitants du quartier. « Il faudrait qu’on communique davantage sur le projet, même si on commence à être identifiés à Kerbernier », explique Noëllie Dufau de l’Afev de Brest. « Si aller vers les habitants n’est pas toujours simple au début, le concept des Kaps permet de développer la mixité sociale au niveau d’un quartier ainsi que les relations humaines », complète Elodie Habert. « On en ressort avec une vision différente de la citoyenneté. C’est plus que jamais nécessaire par les temps qui courent », conclut la chargée de mission.
Marie-Emmanuelle Grignon (Eco-Bretons)
Photo : série « University life » / CC Francisco Osorio
Cet article a été réalisé en partenariat avec le journal en ligne Eco-Bretons, dans le cadre du projet Médias de proximité, soutenu par le ministère de la Culture.
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