Hôpitaux. La refonte cassera bien plus que des vitres
anne-laure de laval
Jeudi, 30 Juin, 2016
Humanité Dimanche
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Véritable
« loi Bachelot au carré », ce projet signé Touraine entérine l'autorité
des « préfets sanitaires » et consacre la course à la rentabilité. I
Photo : Ian Harring/Réa
Des
jours durant, le gouvernement a instrumentalisé la détresse des
familles d’enfants malades après les dégradations des vitres de
l’hôpital Necker en marge des manifs contre la loi travail. De
l’intérieur, pourtant, quelques parents ont rappelé combien les «
conditions de travail effarantes des personnels hospitaliers » avaient,
elles, de vraies conséquences sur les enfants hospitalisés. Et au 1er
juillet, la mise en place officielle des groupements hospitaliers de
territoire (GHT) va accélérer la dégradation de l’offre de soins.
Explications.
Les
hôpitaux, c’est fini. Au 1er juillet, il n’en existe officiellement
plus 1 100 en France. Et tous seront réunis dans quelque 150 «
groupements hospitaliers de territoire » (GHT). On ne se rendra plus à
l’hôpital de Luchon, de Gonesse, au CHU de Toulouse… mais sur un site du
GHT de notre région. Qui était au courant ? Pas grand monde. Cette
réorganisation inaugure pourtant « une nouvelle phase de la vie
hospitalière », annonce Marisol Touraine, la ministre de la Santé.
Adoptée dans le cadre de la loi santé de janvier 2016, et « dans une
totale improvisation » selon le professeur André Grimaldi, la création
de ces « GHT » n’a été que très peu débattue. « Au début, ils
apparaissaient comme un simple changement de nom des “communautés
hospitalières de territoire” existantes, explique le diabétologue. Sauf
que c’est devenu un impératif. » Parce que moins d’un établissement sur 4
s’était organisé en communauté hospitalière, facultative, le
gouvernement a imposé la contrainte : l’organisation en GHT est
obligatoire pour tous les établissements publics. Le privé, lui, peut y
adhérer à certaines conditions.
Dans l’opacité
Depuis le décret d’application, fin avril, c’est donc dans une
relative opacité que directions et agences régionales de santé (ARS)
travaillent à ces regroupements. Le 1er juillet, date de publication des
listes de GHT, marque la première étape d’un long processus qui
aboutira en 2021.
À ce stade, il s’agit d’adopter les grandes lignes des projets
médicaux censés structurer ces coopérations territoriales. L’idée, c’est
de ne plus penser « structure », mais d’ouvrir l’hôpital sur « son
territoire pour mieux suivre les parcours des patients », explique
Marisol Touraine (1). Chaque groupement s’organise autour d’un « hôpital
support » et des fonctions, « comme les achats et les systèmes
d’information », sont mutualisées. Avec un projet médical commun, on
cherche à faire travailler au mieux les hôpitaux de proximité avec
l’hôpital de référence.
En somme, aucun hôpital ne disparaît, mais plus aucun ne fonctionne
seul. Au sein du GHT, qui peut contenir de 3 à 20 établissements, des
services sont amenés à fermer, d’autres à ouvrir ou à se réorganiser
dans ce grand tout. Et pour prouver qu’il s’agit uniquement de mieux
soigner, le gouvernement promet 2 milliards sur 5 ans pour « soutenir
cette transformation ».
Échaudés, les présidents de la Fédération hospitalière de France
(FHF) et des conférences hospitalières ont, le 22 mai, fait part de leur
vigilance : il ne faudrait pas que ces 2 milliards soient une simple
réaffectation des crédits existants au sein de l’Ondam – l’objectif
national des dépenses de santé – qui, plafonné à 1,75 % pour 2016, ne
permet même pas de maintenir l’offre de soins actuelle (il faudrait pour
cela 3 % selon la FHF).
Et c’est là tout le problème. Sur le principe en effet, tous les
professionnels de santé plébiscitent une organisation territoriale. Il y
a « plein d’arguments raisonnables » en faveur des GHT, convient André
Grimaldi. Mais dans le contexte d’austérité actuel, « on va organiser un
immense chaos qui facilitera les fermetures de services ». « Les
fusions, les groupements de coopération que l’on connaît déjà
préfigurent ce que seront les GHT, abonde Patrick Bourdillon, secrétaire
général CGT du centre hospitalier d’Avignon. Il s’agira uniquement de
rationaliser la gestion de la pénurie. »
Avec cet Ondam exsangue, des dépenses contraintes en hausse et un
endettement bancaire (29,9 milliards) triplé depuis 2003, les hôpitaux
ne peuvent que réduire l’offre de soins. Le plan d’économie de 3
milliards d’ici à 2017 annonce la suppression de 22 000 postes et de
15 960 lits.
Pleins pouvoirs aux ARS
Les GHT vont donc servir de catalyseur. Sur ce point, « la loi
Touraine, c’est la loi Bachelot (2) au carré », résume Christophe
Prudhomme, de l’Association des médecins urgentistes (AMUF) et
responsable CGT. La première réformait la gouvernance au profit des ARS,
celle-ci leur donne les pleins pouvoirs. « Concentrer les décisions sur
un nombre réduit d’établissements va renforcer l’autorité de ces
“préfets” sanitaires. » Ainsi, poursuit Jean-Luc Gibelin, de la
commission santé du PCF, on aura « 150 chefs d’établissement qui
pourront être réunis par l’ARS pour mettre en œuvre la feuille de route
du ministère. La capacité de pression sera bien plus importante que face
à plus de 1 000 établissements ». Décentraliser, c’est ici renforcer le
pouvoir gouvernemental.
À terme, prévoit Jean-Luc Gibelin, tous les hôpitaux publics seront
dépossédés de leur mission de proximité et de leur autonomie, avec un
établissement support qui aura la main sur toutes les activités et les
budgets. Et ce, sans contre-pouvoirs institutionnels ou presque.
Salariés et syndicats sont écartés des décisions. Seules les «
commissions médicales d’établissement » (CME), « parlements » des
médecins, ont une marge de manœuvre en ce qu’elles établissent les
projets médicaux de territoire. Mais quel poids des CME des petits
établissements face à celles des établissements « supports », en général
les gros CHU ? Et dans tous les cas, alertait un président de CME lors
d’une réunion publique à Chalon-sur-Saône, quelle marge de manœuvre
quand on a le couteau sous la gorge faute de moyens ?
Dans ce cadre, les établissements supports seront presque contraints à
la vampirisation des plus petits. « On place les hôpitaux en situation
de conflit d’intérêts. On peut coopérer quand on a les moyens d’aider
les autres. Mais tout le monde va essayer de développer son service
d’abord, de garder le minimum », prévient André Grimaldi. « Après les
mutualisations des services administratifs et médico-techniques,
viendront les fermetures de services de soins “redondants” comme les
urgences, les services de médecine, de chirurgie ou les maternités »,
anticipe aussi le PCF.
Des malades trimballés de site en site
Les logiques de coûts et de pouvoirs hospitaliers ne pourront faire émerger de projets efficients, sait le professeur Grimaldi. « En voulant supprimer les doublons et créer des établissements hyperspécialisés, on supprime les cohérences médicales sur chaque site. Et c’est dangereux parce que les malades vont passer leur temps en ambulance, tandis qu’on détruit les équipes hospitalières. »La polyvalence accrue des personnels soignants met déjà à mal le travail en équipe, et entraîne une dépersonnalisation favorable aux restructurations. De même que si l’on n’appartient pas à un service, on s’opposera moins à sa fermeture, si l’on est personnel d’un « groupe » hospitalier, on s’attachera moins à défendre un établissement en particulier, décrypte l’ancien chef de service.
Comme pour les usagers, c’est quand les professionnels ne sont plus attachés à leur service, parce que trop dégradé, qu’il peut commencer à être détruit.
(1) « Les Échos » du 23 mai 2016.
(2) Loi hôpital, patients, santé, territoires (HPST) adoptée en juin 2009.