Source : Journal de Montréal, Mathieu Bock-Côté, 24-06-2016
Le référendum britannique n’a pas donné le résultat escompté par les
élites. Elles se demandent dès lors, de plus en plus ouvertement,
comment neutraliser son résultat. Une chose est certaine: on se jure
qu’on ne se laissera plus prendre: on ne fera plus de référendum. Le
référendum ne serait pas un mode de consultation accordé aux exigences
de la démocratie. Il libérerait les passions et pousserait le peuple à
s’approprier la question qu’on lui pose, en l’investissant d’une
signification autre que celle qui lui est prêtée par le système
médiatico-politique. En gros, on reproche au référendum de politiser la
politique, de la délivrer de la gangue gestionnaire et juridique. Par
exemple, on ne pardonne pas au peuple d’avoir fait un lien entre la
souveraineté britannique et l’immigration massive: ce serait un lien
interdit.
Évidemment, la disqualification du référendum s’appuie aussi sur une
disqualification du peuple: celui-ci ne serait pas habilité à se
prononcer sur une question aussi complexe que celle de son appartenance à
un cadre politique ou un autre. La question de l’appartenance de la
Grande-Bretagne serait trop complexe pour lui. Le peuple ne serait pas
rationnel: ce serait un animal étrange, inquiétant, qu’il faudrait
domestiquer en l’empêchant de faire trop de mal. Les démagogues
joueraient avec ses craintes. Depuis ce matin, on nous explique que les
électeurs du Leave étaient insuffisamment éduqués, qu’ils étaient trop
vieux, qu’ils n’étaient pas assez modernes. L’électorat du Brexit serait
composé de rebuts indésirables au sens commun intoxiqué. La marche de
l’histoire ne saurait s’encombrer d’un tel bois mort.
En gros, on considère que leur vote serait moins légitime que celui
des partisans du Remain, qui eux seraient éclairés et emportés par le
vent du progrès. On l’a dit et redit: les éduqués et les instruits
étaient massivement pour le Remain. Il serait regrettable qu’ils aient à
subir les préférences politiques de leurs mauvais concitoyens. Nuançons
quand même: on adule la jeunesse sophistiquée parce qu’elle embrasse le
rêve européen. Il faudrait quand même se rappeler qu’au vingtième
siècle, si nous avions toujours suivi par jeunisme les préférences
idéologiques des jeunes générations, la liberté politique serait
aujourd’hui en bien mauvais état. On pourrait en dire de même de
l’intelligentsia qui n’est pas toujours éclairée. On ne doit ni
idéaliser la jeunesse ni la diaboliser.
Que faire pour se débarrasser du peuple: telle est la question? En
temps normal, on judiciarise la politique: on passe de la souveraineté
populaire au gouvernement des juges. On technocratise aussi la vie
politique: il faudrait dissoudre la charge politique des enjeux
électoraux pour les transformer en questions strictement techniques.
Mais lorsqu’on pose ouvertement la question d’un peuple à un ensemble
politique, que faire? Comment faire taire le peuple. La solution
prescrite depuis près de 24 h, c’est tout simplement de cesser de le
consulter. Cette tentation de déconstruction du peuple s’opère
essentiellement au nom du parachèvement de la démocratie, qui ne serait
jamais aussi belle que lorsqu’elle parvient à se priver du demos. C’est
au nom d’une démocratie évoluée qu’on étouffera le principe premier de
la démocratie : la souveraineté populaire.
Source : Journal de Montréal, Mathieu Bock-Côté, 24-06-2016