Cette petite coopérative fromagère qui paie ses agriculteurs bien mieux que les géants agroalimentaires
Une
petite coopérative fromagère de l’Aubrac paie ses éleveurs laitiers
bien mieux que les géants agroalimentaires : ses adhérents reçoivent 80%
de plus par litre de lait comparé aux prix pratiqués par Lactalis,
Danone ou Bel. Quelle sont les clés du succès ? Ici, pas de multiples
intermédiaires, ni d’actionnaires. Les coopérateurs misent sur des
produits de qualité impliquant en amont de bonnes conditions d’élevage,
et œuvrent à la maitrise des volumes. Une partie de l’argent sert
également à rémunérer des remplacements pour améliorer le quotidien des
adhérents, et aider des paysans à s’installer.
Les
éleveurs laitiers ont dû se battre des mois pour que les « géants » du
lait daignent leur accorder quatre petits centimes d’augmentation, soit
0,29 euros le litre garanti jusqu’à fin 2016. Un prix encore trop bas « pour couvrir les coûts de production et rémunérer le travail » (lire ici).
Comment, dans ces conditions, trouver une coopérative laitière qui
rémunère ses éleveurs correctement ? Il faut se rendre en Aveyron, dans
les environs de Laguiole, village rendu célèbre par sa coutellerie.
La coopérative Jeune Montagne y fabrique des fromages de l’Aubrac
ainsi que de l’aligot, cette purée de pommes de terre agrémentée d’une
fondue de tome fraîche au lait cru et de crème. Elle fait aujourd’hui
partie des coopératives qui rémunèrent le mieux ses éleveurs. Les 1000
litres de lait sont payés en moyenne 537 euros au paysan de la
coopérative, quand le lait standard est actuellement payé moins de 300
euros. Une augmentation de 80% comparé aux prix pratiqués par les géants
du secteur ! La clé ? « Il n’y a pas de caisse noire, ni d’intermédiaire, ni d’actionnaire. Les paysans sont responsables de la coopérative [1]. Une fois qu’on a payé les salariés et les différentes charges, ce qui reste c’est le prix du litre de lait. »
Le prix fixé en fonction de critères de qualité
Produire du lait en « appellation d’origine protégée » (AOP) joue
aussi un rôle majeur. Les vaches de race Simmental ou Aubrac doivent
passer 120 jours minimum en pâture, l’ensilage, l’enrubannage et les OGM
sont interdits, l’aliment de base – foin, herbe – doit se faire sur
l’aire d’appellation, le lait est crû et entier.... « Le respect de
ce cahier de ressources nous fait déboucher sur des produits de qualité
qui permettent de se positionner sur le marché », souligne Francis Sabrié, porte-parole de la Confédération paysanne de l’Aveyron.
La carotte plutôt que le bâton, c’est le fonctionnement adopté par la
coopérative depuis sa naissance, en 1960, à l’initiative de quelques
jeunes paysans, pour relancer la fabrication d’un fromage local, le
laguiole. Jeune Montagne compte aujourd’hui 80 adhérents. En 2015, elle a
collecté 17 millions de litres de lait, produit 1500 tonnes d’aligot et
650 tonnes de laguiole. « Le site de fabrication à Laguiole, c’est
aussi 100 emplois, en comptant la direction, le secrétariat, les
chauffeurs, les transformateurs, les fromagers... Soit un emploi pour un
paysan », se réjouit Francis Sabrié.
Aide à l’installation de nouveaux paysans
« En fin d’année, une partie du résultat est mise en fonds propres
pour les investissements et pour pouvoir infléchir la production en
payant mieux le litre de lait sur tel ou tel critère. Quand on a arrêté
l’ensilage pour passer au foin par exemple, la coopérative a mieux payé
le lait qui était issu du foin. On l’a fait pour la qualité fromagère. »
Plusieurs autres critères – rapport matière grasse / matière protéique,
cellules, staphylocoque... – donnent également lieu à une prime
fromagère. Jeune Montagne offre aussi une rémunération supérieure aux
adhérents élevant des vaches de race Aubrac dans leur cheptel laitier.
Car depuis les années 80, de nombreuses fermes se sont tournées vers la
production de viande, et la race Aubrac a peu à peu perdu ses qualités
laitières. Elle n’assure plus aujourd’hui qu’à peine 10 % de la
production de lait de l’AOP Laguiole [2].
Préoccupée par l’amélioration de la qualité de vie des adhérents, la
coopérative a décidé de monter un groupement d’employeurs sur ses fonds
propres. Elle emploie quatre salariés pour permettre aux paysans de se
faire remplacer, et réduire la charge de contrainte de la traite. Jeune
Montagne propose également des aides à l’installation dont le montant
varie entre 5 000 et 20 000 euros en fonction des situations. Elle a
également mis en place un système de prêts à taux zéro plafonné à 30 000
euros – par associé et jusqu’à deux associés maximum – pour financer
des équipements en cohérence avec le cahier des ressources AOP.
Se méfier de la surproduction
Malgré ces différentes initiatives, la coopérative va devoir baisser
cette année le prix du litre de lait à 510 euros les 1000 litres. « Avec
l’arrêt des quotas, des coopérateurs moins vertueux que la moyenne ont
appuyé sur le champignon ce qui a conduit à une surproduction... On a en
parallèle accueilli de nouveaux producteurs pour anticiper la suite,
car certains éleveurs n’ont pas de successeurs. Ces différents facteurs
ont amené à ce que trois millions de litres de lait non transformés
soient vendus en 2015 sur le marché standard ce qui nous a plombé le
résultat. »
Jeune Montagne a décidé de prendre les devants en 2016, en mettant en
place trois prix pour le litre de lait afin de limiter la production,
tout en cherchant de nouveaux marchés [3]. « Dès
qu’on ne maitrise plus nos volumes, qu’on surproduit et qu’on n’a pas
la capacité de vente en face, le prix du litre de lait baisse. Ça prouve
que même si nous sommes dans une coopérative de proximité qui
fonctionne, nous ne sommes pas étanches à la politique économique et
agricole qui nous entoure. Reste que quand les paysans se prennent en
charge, transforment et vendent leurs produits, ils s’en sortent mieux
que quand ils sont simples pourvoyeurs de matières premières pour les
industriels ».
Sophie Chapelle
Une autre version de cet article a initialement été publié dans le mensuel Campagnes Solidaires, en mai 2016.
Plus d’informations : www.jeune-montagne-aubrac.fr