Grèce : la France place ses hauts fonctionnaires pour mieux profiter des privatisations
C’est
un haut fonctionnaire français, inspecteur général des Finances,
Jacques Le Pape, qui présidera au programme de privatisations de
propriétés et d’entreprises publiques imposé à la Grèce. Malgré les
appels des syndicats et de millions de citoyens grecs, le Parlement du
pays a acté fin septembre la relance de ce processus, dans le cadre de
son nouvel accord avec ses créanciers européens. Pour chapeauter
l’agence de privatisation Taiped, sera créée une nouvelle entité appelée
Superfund, avec un conseil composé de trois Grecs et deux Européens. «
Les représentants de l’UE auront un pouvoir de veto sur les décisions
du Superfund pour 99 ans, ce qui revient à placer de fait les services
et les biens publics grecs sous le contrôle de la Troïka et d’intérêts
établis pour tout un siècle », dénonce la Fédération syndicale internationale des services publics ISP.
Celle-ci attire notamment l’attention sur la situation des services
d’eau d’Athènes et de Thessalonique, depuis longtemps convoités par Suez
(lire notre enquête).
La privatisation totale initialement envisagée à été bloquée par un
arrêt de la Cour suprême grecque. Les Européens cherchent à contourner
ce verdict en ne cédant que 49 % des deux entreprises concernées au
secteur privé. Cela n’empêchera pas un prestataire comme Suez de
contrôler les services et leurs flux financiers (voir en bas de cet
article un film en anglais réalisé par l’ISP pour sensibiliser sur les
nouveaux risques de privatisation de l’eau en Grèce).
Diplomatie intéressée
Ancien du cabinet de Christine Lagarde et d’Air France, Jacques Le
Pape n’est pas le seul haut fonctionnaire français issu de Bercy à
occuper une place stratégique dans le processus de privatisation grec.
Philippe Boin, de la direction du Trésor, siège à la fois au conseil
d’administration de l’agence de privatisation Taiped, au nom de l’UE, et
au service économique de l’ambassade de France en Grèce, où il est
chargé... de promouvoir les intérêts des entreprises hexagonales. Un
beau conflit d’intérêt !
Le gouvernement français, qui aime à se présenter comme un ami de la
Grèce, paraît surtout préoccupé de tirer le meilleur profit des futures
privatisations. Outre Suez, de nombreuses autres firmes françaises
ont fait part de leur intérêt pour les secteurs privatisables, comme
EDF (électricité), Vinci (aéroports et autoroutes), La Poste (services
postaux) ou encore Alstom (rail). Leurs dirigeants accompagnent
régulièrement François Hollande lors de ses déplacements en Grèce.
Conquérants bienveillants ?
Avant d’être en poste à Athènes, Philippe Boin, rattaché à la
direction du Trésor, officiait au service économique de l’ambassade de
France en Roumanie. Il y a ardemment défendu les intérêts des
multinationales françaises, qu’il a qualifié de « conquérants, au bon sens du terme ».
On rappellera que la capitale roumaine Bucarest a privatisé son service
de l’eau au profit de Veolia, dont la filiale locale est aujourd’hui au
cœur d’une retentissante affaire de corruption (voir ici). GDF Suez (aujourd’hui Engie) avait également obtenu des marchés lucratifs dans le pays.
Depuis le début, le processus de privatisation imposé à la Grèce par
ses créanciers a été entaché de nombreux scandales de corruption et de
conflits d’intérêts, qui ont poussé plusieurs des responsables de
l’agence Taiped à la démission. Des problèmes que l’on retrouve quasi
systématiquement dans les processus de privatisation (lire notre article
Le petit monde des banquiers, avocats et auditeurs qui profitent des privatisations en Europe). Nos nouveaux « conquérants » français feront-il mieux ?
Olivier Petitjean