jeudi 6 octobre 2016

Les micro-fermes bio seraient économiquement viables (Basta)

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Dégager un revenu mensuel de 1500 euros en cultivant une parcelle en maraîchage un peu plus de 40 heures par semaine... En pleine crise agricole, vivre décemment grâce à une petite exploitation paraît improbable. Une étude de l’institut national de recherche agronomique (Inra) assure pourtant que c’est envisageable. L’étude s’appuie sur les données collectées pendant quatre ans à la ferme du Bec Hellouin, près de Rouen, en Normandie (lire notre reportage). Cette ferme pratique le maraîchage bio-intensif et la permaculture : pas de produits phytosanitaires (pesticides), pas d’engrais de synthèse, peu de mécanisation, une grande diversité de production (une soixantaine de légumes différents), une commercialisation en circuits courts directement aux consommateurs (paniers) ou pour des restaurants.
L’étude a exploité les données sur les rendements, les dépenses, le temps de travail et la commercialisation des produits cultivés au Bec Hellouin. Résultat : « Les modélisations montrent que, en fonction du niveau d’investissement et d’intensification, 1000 m2 peuvent dégager un revenu agricole net mensuel compris entre 900 et 1570 €, pour une charge de travail hebdomadaire moyenne de 43 heures. Cela apparait tout à fait acceptable, voire supérieur, au regard des références couramment admises en maraîchage biologique diversifié. » [1]
Pour François Léger, le facteur clé de cette réussite, c’est l’intensification : une très petite surface est cultivée avec un maximum de soin et de productivité, sans perdre d’espace ni de temps de culture. Les compétences des maraîchers ainsi que la variété des débouchés – paniers, vente à la ferme, vente à des restaurants – constituent d’autres avantages. « Produire des chiffres sur ce type de système est important. Cela donne des repères aux porteurs de projets agricoles de ce type, qui sont de plus en plus nombreux. Cela donne aussi des indications aux financeurs publics, à même de soutenir les personnes qui souhaitent s’installer en agriculture »,explique l’agronome François Léger qui a co-dirigé l’étude.

Des résultats à prendre avec précaution

Ces bons résultats sont à prendre avec prudence. « Ces chiffres ont été obtenus à partir de données recueillies sur une seule ferme tout à fait singulière, avertit l’agronome. Il n’est guère envisageable d’atteindre dès l’installation le niveau d’efficacité productive de la ferme du Bec Hellouin. » 1500 euros par mois, c’est la tendance haute de ce que peut gagner un maraîcher bio en production diversifiée avec des ventes directes, même plusieurs années après son installation.
« Toute personne souhaitant s’inspirer de la méthode permacole du Bec Hellouin devrait interpréter les chiffres de l’étude avec précaution et beaucoup de recul », insiste Catherine Stevens, dans une analyse critique de l’étude menée au Bec Hellouin. Gestionnaire administrative et financière du projet alternatif belge « Barricade », elle a accompagné un groupe d’agriculteurs en « voyage d’étude » dans la ferme normande. « Un maraîcher, qui opte pour les mêmes moyens de commercialisation que le Bec Hellouin ne devrait certainement pas espérer dégager 50 800 € de chiffre d’affaires sur une surface de 1 000 m2 cultivés », prévient-elle.
Quel crédit accorder au chiffre d’affaires du Bec Hellouin (plus de 50 000 euros), sachant qu’il est basé sur la valeur monétaire des légumes récoltées et non des ventes effectives ? « Récolter et vendre, ce n’est pas la même chose », insiste Catherine Stevens. Dans toutes les fermes, des produits sont donnés, d’autres mis au compost. Autres critiques : la charge de travail est sous-évaluée. Certains postes de dépenses n’ont pas été estimés – taxes et impôt, frais liés à la conservation et au conditionnement des légumes. Surtout l’expérience n’est pas réaliste pour une personne travaillant seule : à certaines périodes de l’année, il faut nécessairement être plusieurs à travailler en même temps.
Catherine Stevens souligne aussi que sur la surface étudiée ne produit pas de légumes de conservation, comme des pommes de terre, des carottes, des oignons, ou des betteraves. Ces productions répondent pourtant aux demandes alimentaires de base des consommateurs. Mais elles « restent plus longtemps en culture, sont gourmands en surface et ont une rentabilité plus faible ». Elle interroge enfin la viabilité économique globale du Bec Hellouin, en rappelant que la ferme ne vit pas que du maraîchage, mais aussi des visites payantes, de formations à la permaculture, de livres, des conférences et de la location de gîtes. Reste que le modèle demeure une source d’inspiration intéressante pour des personnes souhaitant vivre en partie de leurs activités de maraîchage tout en promouvant un modèle davantage soutenable.