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Le
procès en appel de l’affaire Luxleaks s’ouvre ce 12 décembre au
tribunal correctionnel de Luxembourg. D’un côté de la barre,
PricewaterhouseCoopers (PwC), un cabinet de conseil luxembourgeois dont
la spécialité est d’aider ses très gros clients à « optimiser » leurs
impôts. Comprenez : à en payer le moins possible malgré les énormes
profits engrangés. De l’autre, deux anciens salariés de ce cabinet,
Antoine Deltour et Raphaël Halet, ainsi que le journaliste Edouard
Perrin (France Télévisions), déterminés à dénoncer ces pratiques à la
limite de la légalité (notre précédent reportage).
« La décision de faire appel vient fondamentalement du jugement qui paraît incohérent, souligne Antoine Deltour auprès de Basta !. Le
tribunal reconnaît l’intérêt général de ma démarche contre des
pratiques d’optimisation fiscale moralement douteuses. Il reconnaît
également que Raphaël Halet et moi sommes des lanceurs d’alerte, que
notre action a permis une plus grande transparence fiscale et que nous
avons contribué à un débat politique mondial important. Du coup je ne
comprends pas pourquoi me condamner : cela revient à dire que nous
n’aurions pas dû promouvoir la transparence fiscale et servir l’intérêt
public. A partir du moment où on fait ce constat là il faut encourager
cette démarche, pas la condamner. »
Un soutien grandissant venu d’associations et de citoyens
En première instance, Antoine Deltour et Raphaël Halet ont
respectivement été condamnés à une peine de douze mois de prison avec
sursis assorti de 1500 euros d’amende, et neuf mois de prison avec
sursis et 1000 euros d’amende. Acquitté, le journaliste Edouard Perrin a
dévoilé dans un documentaire les accords fiscaux secrets permettant aux
multinationales implantées en Europe de réduire considérablement leurs
taxes sur les bénéfices en s’installant au Luxembourg. Il doit de
nouveau comparaitre.
En faisant appel, Antoine Deltour s’expose au risque d’une peine plus
sévère. Mais il est soutenu dans sa démarche par un nombre grandissant
de citoyens et d’organisations [1]. Une pétition rassemble déjà plus de 200 000 soutiens. « Le
fait qu’il y ait des ONG qui défendent la liberté d’information, la
justice fiscale, étaie l’intérêt public de ma démarche », confie t-il. « Le
soutien qui a continué de s’exprimer après la décision de faire appel
est très réconfortant. Il a permis de financer les frais de la procédure
en appel. »
Augmentation des « accords de complaisance » entre gouvernements et multinationales
Ce procès intervient alors que les scandales de fraude ou d’évasion
fiscale se multiplient : Panama Papers, Swiss Leaks, Offshore Leaks...
Avec le nouveau scandale FootballLeaks, Mediapart et le réseau European
Investigative Collaborations ont multiplié les révélations de fraudes et
d’évasions fiscales dans l’industrie du football. Or, selon un nouveau
rapport d’Oxfam France et de CCFD Terre-Solidaire, le nombre de rescrits
fiscaux conclus entre des gouvernements européens et des
multinationales a explosé ces dernières années – + 260 % entre 2013 et
2015 [2]. Ces rescrits fiscaux permettent aux grandes entreprises de réduire considérablement leurs taxes sur les bénéfices. « Tant
que ces rescrits fiscaux ne seront pas rendus publics, il y a de fortes
raisons de craindre qu’on ait à nouveau besoin du courage de lanceurs
d’alerte pour connaître leur existence et leur impact potentiel sur les
finances publiques », observe Lucie Watrinet, du CCFD Terre-Solidaire.
« Avant de réclamer une protection, les lanceurs d’alerte ont
souvent pour priorité la prise en compte de leur alerte. C’est la
première étape et ce n’est pas toujours le cas. Dans le cas de l’affaire
Luxleaks, la mobilisation des médias, donc de l’opinion et des
politiques, a été telle que les répercussions sont concrètes [3]. Mais elles sont loin d’être suffisantes, déplore Antoine Deltour. Nous avons l’impression que des scandales supplémentaires sont nécessaires pour continuer à avancer. »
Le 8 décembre, le Conseil constitutionnel a censuré l’obligation faite
aux grandes entreprises de publier les informations détaillées sur les
impôts dont elles s’acquittent à l’étranger, prévue dans la loi Sapin 2.
Un coup de plus porté à la dynamique vers davantage de transparence
fiscale des multinationales.