Qu’est-ce qu’être de gauche selon vous ? Y a-t-il encore du sens à se dire de gauche ? Comment voit-on la gauche du futur ? Quelles sont ses valeurs, ses idées, ses projets, ses défis ? #imagineLaGauche, c’est la série lancée par Basta !, pour comprendre, reconstruire, rêver, renouveler, mettre en débat… Salariés, chômeurs, retraités, étudiants, paysans, militants associatifs, syndicalistes, artistes, chercheurs, jeunes et moins jeunes, témoignent.. Aujourd’hui, Gérald le Corre, 45 ans, inspecteur du travail à Rouen, syndiqué à la CGT.
Le constat que l’on fait, que ce soit parmi les agents de inspection du travail ou au sein de mon syndicat, c’est que l’on ne peut pas dire qu’on a eu avec Hollande, Valls et Macron un gouvernement de gauche ; au sens de la gauche qui défend les travailleurs, les pauvres, la classe laborieuse. Du point de vue des droits des salariés, il y a eu encore plus de reculs que sous le quinquennat précédent. Si l’on regarde du côté des libertés fondamentales, dont le respect est censé être de gauche, le constat est identique. Il y a une utilisation de l’état d’urgence à d’autres fins que la lutte contre le terrorisme, pour réprimer les mouvements sociaux, que ce soit les syndicalistes en lutte contre la loi travail, ou désormais les jeunes mobilisés contre les violences policières.
Une attaque globale contre le monde du travail
Le sentiment que ce parti de gouvernement n’est là que pour gérer les affaires du capitalisme est désormais majoritaire parmi les syndicalistes et militants de gauche. On n’assiste plus aux mêmes discussions qu’en 2002 sur le fait de savoir si le PS est moins pire que la droite. Cela ne fait plus débat. Il y a de moins en moins d’illusions sur les capacités des politiciens professionnels à répondre aux besoins sociaux. Ce qui fait débat aujourd’hui, après la mobilisation pour le rejet de la loi travail, concerne les perspectives à imaginer pour gagner sur nos revendications. Alors que la colère est toujours là, alors qu’il existe une multitude de petites luttes isolées et dispersées, la question est : comment remettre en route ce mouvement social, retrouver cette mobilisation syndicale et intersyndicale, ce « tous ensemble » et l’élargir à toutes les catégories de la population ?
Si la fonction publique était peu représentée dans la mobilisation contre la loi travail, beaucoup étaient conscients que les conséquences de cette loi seraient désastreuses pour tout le monde. Chacun prend conscience qu’on assiste à une attaque globale contre le monde du travail, contre les acquis des travailleurs du privé, mais aussi contre les statuts et les missions de la fonction publique. Je n’ai entendu personne parmi mes collègues, ou parmi les salariés, défendre cette loi. C’est une différence majeure avec ce qui s’était notamment passé en 2003 sur la réforme des retraites, où une partie des salariés pensait qu’il fallait négocier des reculs pour soi-disant « sauver le système ».
Faire la jonction entre toutes les luttes
Que l’on travaille dans le privé ou dans le public, on est confronté aux mêmes politiques, aux mêmes modes de gestion d’organisation marqués par les suppressions de postes et la dégradation des conditions de travail. L’opposition maintes fois utilisée par les gouvernements successifs et par le patronat pour nous diviser entre public et privé passe plus difficilement. Malheureusement, ceux qui nous gouvernent restent très intelligents et s’arrangent pour « saucissonner » les attaques, de façon à saucissonner les mobilisations.
Il y a eu la loi travail ; avant on a eu les lois Macron et Rebsamen, la réforme des Prudhommes, celle de l’inspection du travail. Pour qu’il y ait des possibilités de victoire, il faut réussir à faire la jonction entre tous ceux qui ont des raisons de lutter, en intégrant le combat des chômeurs, des précaires, des lycéens et étudiants, des retraités, des mal-logés, des mal-soignés... de tous ceux qui sont confrontés aux violences policières, aux violences patronales ou pour le dire autrement à la violence inouïe du système capitaliste. Ce n’est pas simple.
Cette idée de la gauche, de la vraie gauche, de la gauche révolutionnaire qui se bat pour la transformation de la société, ne peut se limiter à des discours et des colloques. Il faut se demander ce que l’on fait pour que cela change concrètement. Comment redonner confiance aux travailleurs et à la population dans la lutte ? De nombreux salariés ne s’engagent pas dans la lutte car ils ne croient pas qu’il soit possible de faire reculer réellement un gouvernement et obtenir des droits réels et nouveaux pour tout le monde. Quand on lutte contre la loi travail, on lutte d’une certaine manière pour un autre modèle de société. Cela veut dire qu’on met la barre très haut. Gagner vraiment, cela veut dire changer radicalement de politique, et par conséquent faire tomber le gouvernement.
Renouer avec l’utopie d’une autre société
Le niveau de confrontation social doit être énorme pour y arriver. La grève et la manifestation restent les moyens les plus appropriés même si les directions syndicales nationales doivent être plus claires sur la feuille de route. La multiplication des journées d’action sans lendemain, on sait que ça ne marche pas ! Il faut un appel clair à la grève générale, à la grève reconductible même si, pour certains, c’est un gros mot en France, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays européens. Il s’agit de taper là où ça fait mal, en bloquant les moyens de production.
La génération précédente avait une utopie, elle luttait pour ses droits immédiats – salaire, sécurité de l’emploi... – mais avec la perspective de sortir du capitalisme. Nous avons perdu ça, très clairement. La CGT se situe toujours, dans ses statuts, dans la perspective d’un système débarrassé du capitalisme. Mais, selon moi, cela reste un peu trop dans les statuts et pas assez dans les discours au quotidien. Dans le monde syndical, c’est un sujet dont on parle encore trop peu. C’est dommage. Nous devons discuter de ce que l’on produit, et pour quels besoins : ceux des populations ou ceux des actionnaires ?
Nous devons renouer avec la conviction que d’autres systèmes politiques et économiques sont possibles, parler d’autres formes de production. Nous avons une véritable bagarre idéologique à mener, qui nous permettrait d’articuler nos luttes sur les revendications immédiates avec la perspective d’une société anticapitaliste.
Gérald le Corre, 45 ans, inspecteur du travail à Rouen, syndiqué à la CGT
Propos recueillis par Nolwenn Weiler