Vous avez apprécié les OGM ? Vous allez adorer le « forçage génétique ». Une agence militaire états-unienne, l’Agence pour les projets de recherche avancée de la défense (Defense Advanced Research Projects Agency, Darpa), aurait investi 100 millions de dollars dans cette technique. Le « forçage génétique » vise à modifier un gène et à faire en sorte que ce trait nouveau se transmette ensuite le plus rapidement possible à toute une espèce animale ou végétale, dans le but, par exemple, de limiter sa capacité de reproduction ou de la rendre plus vulnérable à une maladie ou à un produit chimique.
Pour le moment, les recherches connues se concentrent sur la lutte antiparasitaire et l’éradication, notamment des moustiques vecteurs du paludisme, de Zika, ou de la dengue, et de populations de rongeurs jugés nuisibles. Avec quels effets ? Certains experts des Nations-Unies s’inquiètent de conséquences imprévues et d’« effets irréversibles dans l’environnement ». « Vous pouvez peut-être éliminer les virus ou l’ensemble de la population de moustiques, mais cela peut aussi avoir des effets écologiques en aval sur les espèces qui en dépendent », confie l’un de ces experts au Guardian.
Pourquoi une agence militaire, qui mène par ailleurs des recherches sur des technologies du futur comme des exosquelettes, des robots ou des drones à énergie solaire, s’intéresse-t-elle au « forçage génétique » ? L’agence Darpa répond que les « boites à outils » permettant d’« éditer » des gènes en vue d’une manipulation génétique sont désormais devenues bon marché, ce qui multiplie les risques d’une expérimentation par des acteurs « hostiles » ou « voyous ». « Il incombe à Darpa d’effectuer cette recherche et de développer des systèmes qui peuvent protéger contre une mauvaise utilisation accidentelle ou intentionnelle », précise un porte-parole de l’Agence. L’intérêt de la Darpa pour le « forçage génétique » a été révélé par les organisations non gouvernementales Third World Network, dont le siège est en Malaisie, et ETC Group, basée au Canada, qui ont rendu public des centaines de documents sur le sujet [1].
Demande d’un moratoire sur des recherches sans aucun contrôle
En décembre 2016, à l’occasion du sommet sur la biodiversité de Cancun, 170 ONG avaient lancé un appel réclamant un moratoire sur les techniques de « forçage génétique » [2]. « Le forçage génétique est délibérément conçu pour se diffuser et persister, sans considération pour les frontières nationales, écrivaient-elles. Il n’existe à ce jour aucun processus international de gouvernance des effets transfrontaliers d’une utilisation du forçage génétique. » Les ONG estiment que les conséquences de l’expérimentation dans la nature d’une telle technique ne pourront être toutes connues ou détectées avec certitude. « Il n’est pas possible de prédire de manière adéquate les effets écologiques en cascade de la diffusion [d’une modification génétique] dans les écosystèmes sauvages », ajoutent-elles, précisant que les gènes introduits « pourraient se diffuser de manière irréversible » et « franchir la barrière des espèces ».
La publication de ces documents, qui révèlent l’influence militaire américaine dans l’édition du génome, renforce le bien-fondé d’une interdiction, selon Jim Thomas d’ETC Group. A ses yeux, ces usages pourraient constituer une « menace pour la paix », « la sécurité alimentaire » et « les écosystèmes », déclare t-il au Guardian. Il s’interroge également sur le respect de la convention Enmod, un traité international interdisant d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles.
Le retour du lobby des OGM
Selon le site d’information Inf’Ogm, « un important lobbying a été mis en place pour éviter ce moratoire ». La Fondation Bill & Melinda Gates aurait versé 1,6 millions de dollars à l’entreprise de « relations publiques » Emerging A.G. « Cette entreprise a notamment recruté des scientifiques pour influencer un des forums en ligne mis en place par les Nations unies sur les questions de biologie synthétique et de forçage génétique. » Inf’Ogm précise que la présidente et fondatrice d’Emerging A.G. est Robynne Anderson, ancienne directrice des communications internationales de CropLife, « un lobby très actif sur les OGM agricoles », dont les membres ne sont autres que BASF, Bayer, DuPont, Dow, Monsanto ou Syngenta [3].
Le forçage génétique va-t-il être expérimenté en-dehors de laboratoires ? Deux équipes de recherche, « Target Malaria » au Royaume-Uni – un projet de la Fondation Gates pour éradiquer la malaria - et « Genetic Biocontrol of Invasive Rodents [biocontrôle génétique des rongeurs invasifs, GBird] » aux États-Unis, sont sur le point de réaliser des expériences grandeur nature de lâchers de moustiques – pour lutter contre la malaria – et de rongeurs – pour limiter leur population et leurs nuisances. Ces expérimentations pourraient se dérouler en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Burkina Faso, en Ouganda, au Mali et au Ghana. Selon Inf’Ogm, GBird a déjà reçu 6,5 millions de dollars de l’agence militaire Darpa.
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