Confrontée à des difficultés sociales majeures révélées par le mouvement du printemps 2017, la Guyane s’apprête à débattre d’un grand projet minier porté par un consortium russo-canadien, et soutenu par de nombreux élus locaux, de même que par le président Emmanuel Macron. Misant sur un modèle de développement aux conséquences environnementales bien connues, et aux retombées économiques fortement contestées, le projet suscite une forte opposition, notamment représentée par le collectif « Or de question », qui regroupe une centaine d’organisations.
Dimanche 17 décembre 2017 se tenait dans un hôtel étoilé de Cayenne un séminaire du parti politique « Guyane rassemblement », fondé par l’actuel président de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG) Rodolphe Alexandre. Devant les grilles de l’établissement, des membres du collectif « Or de question » manifestaient pour exprimer leur opposition au projet minier de la Montagne d’or, soutenu par la CTG et par la plupart des élus locaux.
Banderoles et tee-shirts affichaient les slogans désormais connus de la lutte anti-extractiviste : « Déterminés contre des terres minées », mais aussi le plus guyanais « Pou Lagwiyann respekté sans mercure ni cyanure », en clin d’œil au collectif Pou Lagwiyann dékolé qui avait fédéré les revendications du mouvement social de mars-avril 2017. Ce dimanche matin, les 500 frères et l’association Trop Violans, fers de lance de la mobilisation du printemps, étaient présents aux côtés d’Or de question pour exprimer leur opposition à la « méga-mine ».
Une mine d’or à ciel ouvert sur 2,5 km
Depuis plusieurs mois, la Guyane est divisée par ce projet minier d’une envergure encore inconnue dans cette région d’Amazonie. Le moment où promoteurs et opposants à l’exploitation de la Montagne d’or débattront directement se rapproche. De mars à juin 2018, un débat public aura lieu en Guyane. En attendant ces rencontres organisées par la Commission nationale du débat public, chacun affine ses arguments.
Au premier chef, la Compagnie de la Montagne d’or (CMO), l’opérateur du projet en Guyane qui emploie à l’heure actuelle une vingtaine de salariés. Elle appartient au consortium russo-canadien Nordgold-Colombus Gold, qui prévoit d’exploiter une mine d’or à ciel ouvert de 2,5 km de long sur 400 m de large et 400 m de profondeur, sur le site dit de la Montagne d’or. A 120 kilomètres au sud-ouest de la sous-préfecture guyanaise Saint-Laurent du Maroni, il se trouve dans le secteur de Paul Isnard, exploité depuis 140 ans.
Gisements inexploités et convoités
Depuis la découverte de la première pépite d’or en 1855 sur le fleuve Approuague, la Guyane a connu plusieurs rushs miniers. Ces dernières années, l’orpaillage illégal y est en forte hausse. En août 2017, le Parc amazonien de Guyane dénombrait 177 sites clandestins dans son périmètre, un nombre jamais atteint en dix ans d’existence. Tout comme les exploitants artisanaux du secteur légal, les chercheurs d’or illégaux exploitent principalement l’or alluvionnaire contenu dans les cours d’eau. L’or primaire présent dans la roche a pour l’instant été très peu exploité, si ce n’est par quelques exploitants semi-industriels.
Depuis les années 2000, des multinationales lorgnent sur ces gisements. En 2008, une forte mobilisation citoyenne soutenue par une partie des élus locaux avait mis un terme à un précédent projet minier porté par la société Iamgold sur la Montagne de Kaw. Quelques années plus tard, l’histoire se répète.
À partir de 2011, la société junior canadienne Columbus Gold effectue des recherches sur le site de la Montagne d’or. Fin 2013, la major à capitaux russes Nordgold la rejoint dans ses explorations. Une série de forages est réalisée pour évaluer les ressources du gisement. En août 2015, au cours d’un déplacement en Guyane, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, avait apporté un franc soutien à ce projet minier encore en devenir.
Parmi les opposants, la Fondation de Nicolas Hulot
Un an après, une poignée de militants guyanais fonde le collectif Or de question pour s’opposer à ce projet qu’il qualifie de « méga-mine » et qui est, à l’été 2016, encore peu médiatisé. La plateforme s’étoffe pour réunir aujourd’hui plus d’une centaine d’organisations guyanaises, nationales et internationales mobilisées contre l’exploitation de la Montagne d’or, désormais sous les feux médiatiques.
En novembre 2017, Or de question a reçu un prix de la Fondation Danielle Mitterrand. Un choix qui permettait de « mettre en avant le fait qu’on a besoin d’avoir aujourd’hui des mouvements associatifs qui soient radicaux et qui puissent dire clairement non aux multinationales. La radicalité est saluée », s’était réjoui Emmanuel Poilane, directeur général de la fondation France Libertés-Danielle Mitterrand, lors d’un déplacement en Guyane en septembre 2017, relate le site d’information Guyaweb.
En octobre 2017, Emmanuel Macron a néanmoins réitéré son soutien au projet. Le ministre de la « Transition écologique et solidaire » Nicolas Hulot, dont la fondation est membre du collectif Or de question, y est quant à lui défavorable.
Dix tonnes de cyanure utilisées chaque jour
Si elle reçoit les autorisations administratives nécessaires, la compagnie minière envisage de lancer les travaux dès 2019, puis d’exploiter le site pendant douze ans, de 2022 à 2034. Elle table sur un gisement de 85 tonnes d’or et une teneur de 1,6 gramme d’or par tonne de roche broyée. Le minerai sera traité dans une usine de cyanuration permettant d’extraire l’or. Un procédé qui susciterait l’utilisation de dix tonnes de cyanure par jour et génèrerait quotidiennement 66 000 tonnes de rejets stériles stockées dans des cuves de rétention, d’après les calculs d’Or de question, qui compte parmi ses soutiens l’association Ingénieurs sans frontières - Systèmes extractifs (ISF Syst-Ext), composée d’ingénieurs miniers. Les accidents de rupture de digues des bassins à résidus miniers entraînent, quand ils se produisent, des pollutions majeures, comme cela fut le cas au Brésil en 2015 (lire notre article).
Au-delà des dégâts environnementaux qu’occasionnent les activités minières - dégâts exacerbés lorsque ces dernières sont de taille industrielle – c’est la rentabilité économique même du projet qui est questionnée par ses opposants. C’est pourtant l’argument phare des promoteurs miniers et des élus guyanais dont la majorité soutient le projet. Dans un contexte de fort chômage et de grande précarité, les politiques comptent sur les emplois et le levier de développement qu’ils voient dans l’industrialisation du secteur minier.
Relire cet entretien : « Les pollutions engendrées par l’industrie minière représentent un danger pour les décennies à venir »
« Nous n’avons pas le droit de mettre la Guyane sous cloche. Nous sommes responsables. On a raté le coche de Cambior sur la Montagne de Kaw. Il n’est pas question aujourd’hui qu’une seule voix fasse le débat de la Guyane », déclarait le président de la collectivité territoriale Rodolphe Alexandre dans l’émission Politik Guyane, diffusé sur Guyane première le 16 novembre 2017.
L’argument de la création d’emploi
« Le spatial ne peut pas être la seule locomotive de l’économie guyanaise. On peut aujourd’hui faire le bilan de cette "monoculture" du spatial », commente Gautier Horth, exploitant minier, ancien président de la Fédération des opérateurs miniers de Guyane (FEDOM-G) et élu à la Collectivité territoriale de Guyane. Représentant 16% du PIB guyanais et 1700 emplois, le Centre spatial guyanais est le premier secteur économique de la région.
La compagnie minière Montagne d’or promet quant à elle 900 emplois en moyenne sur les deux ans de construction de la mine, puis 750 emplois durant la période d’exploitation proprement dite qui courra sur douze ans. Selon l’entreprise, la mine réunira 57 métiers différents. Plus de la moitié des postes seront des emplois de conducteurs d’engins.
« Montagne d’or ne résoudra pas l’ensemble du problème de l’emploi, mais il n’y a, actuellement, pas d’autre projet dans les tiroirs qui puisse nous apporter ce que Montagne d’or peut nous apporter. Ce qui est important, c’est la dynamique que cela va générer : la mine va entraîner beaucoup d’activités », ajoute Gautier Horth.
« Les parents guyanais veulent-ils que leurs enfants travaillent à la mine ? »
Lors de son déplacement en Guyane, Emmanuel Macron a annoncé qu’il souhaitait qu’il « un juste retour pour la Guyane. Je ne veux pas que ce soit des emplois venant de l’étranger qui soient créés », ajoutant vouloir « favoriser l’emploi local », mais sans préciser de quelle manière. « Macron sait qu’il est impossible d’imposer à une société le recours à l’emploi local », pointe Harry Hodebourg, représentant départemental de Cap 21 – mouvement politique lié à l’avocate Corinne Lepage – et militant écologiste. Fabien Canavy, membre du Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale (MDES, parti politique guyanais), s’inquiète lui pour les droits des travailleurs : « La mine sera à 120 km de Saint-Laurent du Maroni, en site isolé. On va y confiner des travailleurs immigrés, dont on pourra faire ce que l’on voudra. »
« On est tous d’accord pour que les jeunes aient du travail », commente Christophe Pierre, porte-parole de la Jeunesse autochtone, mouvement réunissant des militants amérindiens. « Mais est-ce que les parents guyanais veulent que leurs enfants travaillent dans une mine ? », interroge-t-il.
Un rapport du WWF publié le 18 septembre 2017 pointe en outre le coût des emplois créés. Basé sur l’étude d’évaluation économique préliminaire publiée en juillet 2015, et sur l’étude de faisabilité bancaire publiée en avril 2017, le rapport de l’organisation environnementale dénonce le « mirage économique » du projet de la Montagne d’or.
420 millions d’euros de subventions publiques
Pour le WWF, la création d’emplois est en effet à mettre en perspective avec les subventions dont le projet doit bénéficier. Défiscalisation, prix d’achat de l’électricité et autres aides rendraient l’ouverture de la mine particulièrement attractive pour l’industriel, un peu moins pour le territoire concerné. « Les subventions atteindraient 420 millions d’euros sur la durée du projet, ce qui reviendrait à un coût de près de 560 000 euros pour chacun des 750 emplois créés », lit-on dans le rapport du WWF, qui ajoute que « chaque emploi créé à Montagne d’Or coûterait donc environ 42 années d’un emploi d’avenir ». Pierre Paris, président de la CMO, tient à préciser que la société « bénéficie sur ce projet de l’ensemble des dispositifs qui sont à disposition des investisseurs qui désirent investir en Guyane ».
Selon le WWF, la rentabilité même du projet minier est incertaine. Elle repose en effet sur deux variables fluctuantes qui sont le cours de l’or et le taux de change entre le dollar et l’euro. L’organisation de protection de l’environnement souligne que l’étude de faisabilité bancaire présentée par la compagnie minière retient des options particulièrement favorables pour démontrer la rentabilité du projet.
Cette fragilité est source d’inquiétude, car « si la rentabilité du projet se dégradait, il y a fort à parier que ses promoteurs feraient tout pour la rétablir, notamment en réduisant les dépenses, en premier lieu celles sur lesquelles ils ont des marges de manœuvre, à savoir le social et l’environnement », écrit le WWF dans son récent rapport. Cette crainte est confirmée par des membres d’Ingénieurs sans frontières, au fait des pratiques du secteur.
Faiblesse des rentrées fiscales locales
La Commission nationale consultative de droits de l’Homme (CNCDH), dans un avis sur le droit à un environnement sain dans les Outre-mer rendu le 17 octobre 2017, écrit qu’« aucune certitude n’existe quant à la redistribution dans l’économie guyanaise, ni même au bénéfice des populations qui seront touchées par l’extraction de l’or dans cette méga-mine ».
Même des soutiens à la mine comme Gautier Horth, qui souhaite que « la Guyane passe à l’ère industrielle », critiquent la fiscalité actuelle. La taxe sur la valeur de l’or est aujourd’hui plafonnée à 2%. S’appuyant sur l’étude de faisabilité bancaire d’avril 2017, le WWF estime les rentrées fiscales de l’exploitation de la Montagne d’or à hauteur de 308 millions d’euros sur douze ans, incluant 241 millions d’euros d’impôt sur les sociétés payé à l’État français et 67 millions de taxes locales sur l’or : 11 pour la commune de Saint-Laurent du Maroni sur laquelle se trouvera la mine, et 56 pour la Collectivité territoriale de Guyane.
« Il faut une fiscalité propre à la Guyane. De façon générale, l’impôt sur les sociétés ne devraient pas revenir à l’État, mais à la Collectivité territoriale de Guyane », commente Gautier Horth. « Il faut que ce soit un accord entre la Guyane et l’industriel, et non entre l’État et la Guyane. »
Un modèle qui appartient au passé ?
Emmanuel Macron a conditionné le soutien définitif du gouvernement à « la capacité qu’aura le projet à répondre à l’ensemble des sujets qui seront soulevés dans le cadre du débat public ». Mais en Guyane, Fabien Canavy du MDES dénonce « un simulacre de débat ». « Le temps choisi pour cette consultation laisse à penser qu’il ne pourra s’agir que d’une "consultation de façade", loin des exigences d’une consultation éclairée et préalable des populations concernées », regrette la CNCDH. Dans son avis du 17 octobre 2017, elle qualifie la consultation de « tardive, alors même que les étapes d’exploration et d’études diverses sont déjà intervenues », et demande un moratoire sur le projet.
« Investir dans Montagne d’or, c’est investir dans le 20ème siècle. Ce n’est pas pertinent », dénonce Christophe Pierre, le porte-parole de la Jeunesse autochtone. « Tourner son développement tout entier vers des activités extractives est le modèle à ne pas suivre. » Pour lui, il s’agit du « sommet de l’iceberg, révélant deux conceptions des choses radicalement opposées ». Fermement opposée au projet, la Jeunesse autochtone prévient que ses membres bloqueront l’accès au chantier si la société minière reçoit les autorisations de lancer les travaux, quel que soit la teneur des échanges lors du débat public.
Hélène Ferrarini
Photo : mine d’or et de cuivre en Australie / CC TineImWunderland