Combien les groupes du CAC 40 dépensent-ils en lobbying auprès des centres de décision – parlements, congrès, cabinets ministériels... – à Paris, Bruxelles ou Washington ? S’ils restent incomplets, les chiffres déclarés par ces grandes entreprises auprès des registres officiels de lobbying en donnent une première idée. Plongée dans ces millions déboursés pour influencer la décision politique, en avant-goût du premier « Contre-rapport annuel » sur les grandes entreprises françaises que l’Observatoire des multinationales publiera dans quelques semaines.
Il ne s’agit très probablement que de la partie émergée de l’iceberg, mais les données donnent une idée de la puissance de feu des grandes entreprises françaises lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts, en France mais aussi et surtout auprès des institutions européennes à Bruxelles et de l’administration américaine à Washington. Comme le révèle le premier Contre-rapport annuel sur les grandes entreprises françaises de l’Observatoire des multinationales, qui sera publié dans quelques semaines, en 2017 les entreprises du CAC 40 ont déclaré 9,65 millions d’euros de dépenses de lobbying à Paris, 26,95 millions d’euros à Bruxelles, et 22,2 millions de dollars à Washington [1]
Ces chiffres ne reflètent cependant qu’une partie de la réalité : toutes les entreprises ne respectent pas nécessairement leurs obligations. Elles sont censées déclarer leurs dépenses de lobbying à Washington, à Bruxelles dans le registre de transparence de l’Union européenne et à Paris dans le tout nouveau « répertoire des représentants d’intérêts » mis en place en France suite au vote de la loi Sapin 2 fin 2016. Une firme du CAC 40, TechnipFMC, ne déclare aucune dépense de lobbying ni à Paris, ni à Bruxelles, ni à Washington. À croire que cette entreprise parapétrolière, dont le principal actionnaire est l’État français via Bpifrance, ne fait pas de lobbying... Même question pour Vinci ou LVMH, qui n’ont – pour l’instant – pas daigné déclarer de dépenses de lobbying, même à Paris.
Des règles de transparence encore insuffisantes
De nombreuses autres multinationales tricolores ne déclarent pas leurs dépenses de lobbying partout, ou alors les sous-estiment manifestement. C’est l’un des points faibles des dispositifs de transparence mis en place à Washington, à Bruxelles et désormais à Paris : que doit-on considérer comme du « lobbying » ? Les chiffres ne comprennent-ils que les coûts salariaux et frais liés aux activités de lobbying directes de l’entreprise – par exemple, un rendez-vous avec un député ? Incluent-ils les contrats passés avec des cabinets de consultants ou de relations publiques ? Intègrent-ils les frais d’adhésion aux associations patronales ou sectorielles (Fédération bancaire française, Fédération française du bâtiment, Les entreprises du médicament, etc.) qui effectuent elles aussi du lobbying pour le compte des entreprises ? Tiennent-ils compte de la présence de salariés des entreprises dans les multiples comités consultatifs ou groupes d’experts ? Faut-il y inclure les dépenses de publicité ou de mécénat ? Si l’on tenait compte de toutes les dimensions de la stratégie d’influence des grandes entreprises, les sommes en jeu prendraient des proportions sans doute bien plus importantes.
Les chiffres qui ont été rendus publics n’en livrent pas moins quelques enseignements. Tout d’abord, à en croire les sommes en jeu, le lobbying à Paris compte moins pour les grandes entreprises françaises que le lobbying à Bruxelles ou à Washington, les centres de décision où sont fixées les règles encadrant leur accès aux marchés européens et nord-américains. Ensuite, les différents lieux de pouvoir sont plus ou moins déterminants selon les entreprises concernées : Accor concentre son lobbying à Paris, Engie et Pernod Ricard à Bruxelles, Sanofi à Washington.
Un rapport de forces totalement déséquilibré
On repère facilement quelques groupes pour lesquels le lobbying revêt une importance particulièrement stratégique, qu’il s’agisse de s’assurer des marchés publics ou des autorisations de commercialisation, de limiter les régulations relatives à la pollution ou à la santé, ou plus généralement de protéger leur modèle commercial. Certains de ces « champions du lobbying » sont attendus – comme Total, Airbus, Sanofi, Engie ou Renault-Nissan. D’autres le sont moins, comme Pernod Ricard ou Vivendi, intéressés respectivement à se protéger d’une législation trop contraignante sur l’alcool, ou des risques d’atteinte à sa propriété intellectuelle.
Ces montants - même sous-estimés - illustrent la disproportion des ressources dont disposent les multinationales par rapport à la société civile pour faire valoir leurs intérêts au plus haut niveau. Mais au regard de leur chiffre d’affaires ou de leurs bénéfices, ces dépenses de lobbying ne pèsent pas forcément très lourd. Pour ces groupes dont les chiffres d’affaires sont parfois équivalents au PIB de certains États, le « retour sur investissement » n’en est sans doute que plus intéressant.
Olivier Petitjean
Photo : CC Charles Sayger via flickr
Pour en savoir plus sur notre contre-rapport annuel des grandes entreprises françaises, voir ici.
-Données complètes, sur un échantillon d’entreprises plus large que le seul CAC40 : |