La réduction drastique des contrats aidés – dont le nombre sera plus que divisé par deux d’ici fin 2018 – va priver le sport, la culture, l’accompagnement des personnes âgées ou le soutien scolaire, de plus d’un milliard d’euros de ressources. Une catastrophe selon de nombreux responsables associatifs, auxquels Bastamag a donné la parole. Rejoints par les constats de plusieurs parlementaires, ils s’inquiètent de l’effondrement prévisible de pans entiers du secteur. Partout, et d’abord sur les territoires et auprès des populations qui en ont le plus besoin, des activités vont être réduites, des services vont se dégrader. Enquête sur un gâchis à échelle industrielle.
Les acteurs du monde associatif et de nombreuses collectivités – qu’ils agissent dans le domaine du sport, de l’éducation, de la culture, ou encore du travail social – sont sous le choc. La réduction drastique du nombre des contrats aidés est un véritable coup de poignard pour un secteur pris en étau entre des besoins sociaux de plus en plus importants, et une baisse continue de ses moyens. Le gouvernement a pourtant décidé de continuer le massacre : en 2019, « la réduction des contrats aidés se [poursuivra] sur un rythme similaire à celui de 2018 », a-t-il annoncé dans son programme de « stabilité » pour 2018-2022, présenté en avril aux partenaires de la zone euro. Depuis leur création dans les années 1990, les contrats aidés permettaient aux employeurs qui offraient travail et formation à des personnes éloignées de l’emploi d’obtenir une aide financière de l’État.
Mais à l’été 2017, l’exécutif a subitement décidé de faire fondre le volume de ces contrats, les jugeant « trop coûteux » et « inefficaces ». De 459 000 contrats aidés en 2017, ils ne seront plus que 200 000 fin 2018. La mesure a été présentée comme une réforme de la politique de l’emploi. Mais sa conséquence la plus directe a été de mettre des collectivités territoriales en difficulté, et de pousser le monde associatif au bord du burn-out . « Les contrats aidés ont servi aux gouvernements successifs à réguler le marché de l’emploi, mais aussi à compenser la réduction des subventions publiques au secteur associatif, observe Didier Minot, membre fondateur du Cac (Collectif des associations citoyennes). Depuis 2005, elles ont diminué de 16 milliards d’euros ! »
Un milliard d’euros en moins pour les associations
À la fin de l’année, 144 000 emplois auront été supprimés dans les associations. Un plan social, aussi silencieux que désastreux, qui représente plus d’un milliard d’eurosrepris au secteur associatif. Les collectivités et associations ne sont pas les seules à constater les conséquences négatives de cette mesure sur le terrain : un rapport de deux sénateurs, Alain Dufaut (LR) et Jacques-Bernard Magner (PS), une Mission Flash menée par les députés Marie-Georges Buffet (PCF) et Pierre-Alain Raphan (LREM) ainsi que le récent rapport « Vivre ensemble, vivre grand » de Jean-Louis Borloo, parviennent à la même conclusion de gâchis.
Dans certaines collectivités ou associations, quelques postes en contrats aidés ont été pérennisés. Mais la grande majorité des personnes qui avaient retrouvé une autonomie, une dignité et une utilité sociale via ce dispositif, ont été licenciées. Elles assumaient pourtant directement des missions de service public. Une grande partie était employée dans les secteurs sanitaires et sociaux, la médiation sociale, les crèches parentales, les régies de quartier. « Les contrats aidés des associations palliaient la faiblesse des pouvoirs publics dans ces territoires qui en ont tant besoin : l’activité éducative et culturelle, le rattrapage scolaire, l’accompagnement à l’emploi, l’informatique, la bureautique, les activités sportives, l’aide à la parentalité », souligne ainsi Jean-Louis Borloo.
« Des ateliers et projets ont été annulés, on accueille moins de jeunes, les horaires d’ouverture sont réduits »
Pour les rapporteurs du Sénat, « le besoin social de ces activités n’est pas à démontrer ». Les députés ajoutent que la réduction des contrats aidés « a un impact énorme pour les associations et pour les habitants, non mesurable parce qu’il n’est pas seulement économique, mais qu’il touche aussi à la construction et au maintien d’un lien social de proximité ». Aucun bilan n’a été fait des conséquences concrètes de la décision. Pour Didier Minot, c’est un pur scandale : « À l’été 2017, le gouvernement cherchait par tous les moyens à faire descendre le déficit sous la barre des 3%. Il a pris cette décision pour des raisons uniquement budgétaires, sans aucune étude d’impact, sans réunion interministérielle : ce n’est pas le fonctionnement normal de l’État. »
Sur le terrain, les associations sportives et culturelles sont particulièrement touchées. « Les directeurs ont du bricoler, la réforme des taxes sur les salaires nous a un peu aidés, quelques politiques se sont mobilisés », retrace Patrick Chenu, directeur régional de la Fédération des MJC (Maisons des jeunes et de la culture) d’Ile-de-France. Mais le choc reste rude : dans chacune des 85 MJC de la fédération, un ou deux emplois ont été supprimés. Des animateurs d’activités, personnels administratifs, agents d’accueil et d’entretien des locaux. « Des ateliers et projets ont été annulés, on accueille moins de jeunes, les horaires d’ouverture sont réduits », poursuit-il.
Dans certaines régions, 20 % des clubs sportifs pourraient disparaître
Beaucoup d’associations culturelles ont tout bonnement fermé leurs portes. De grandes soirées de foyers ruraux sur le théâtre amateur, des randonnées culturelles, des découvertes du patrimoine, des festivals de chorale ont été supprimés, notent les députés dans leur rapport. « Alors que ces activités sont indispensables à la société en matière de lien social, d’action culturelle, d’entraide mutuelle, d’éducation citoyenne », estiment-ils. Des associations sportives, aussi, ont disparu, ne pouvant survivre grâce aux seules cotisations des adhérents. Certaines régions évaluent à 20 % la proportion de clubs qui aura disparu d’ici à fin 2018. « Il semble paradoxal de geler les contrats sur le terrain, alors que la dynamique des Jeux olympiques et paralympiques est supposée permettre aux Français de faire plus de sport ! », relève le rapport de Marie-Georges Buffet.
La mesure a aussi désorganisé les établissements accueillant les personnes âgées : « Pour nous, l’été dernier, le couperet a été violent », raconte Jean-Pierre Riso, président de la Fnadepa, une fédération de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées [1]. Pour alléger la facture de l’accompagnement des personnes âgées et pallier le sous-financement public du secteur, les Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) avaient été incités à employer des contrats aidés : intendants, agents d’entretien, aides-cuisine, etc. C’est aussi l’été dernier que, dans le Jura, des aides-soignantes d’un Ehpad mènent une grève historique de 117 jours pour dénoncer les conditions indignes de travail et d’accueil dans leur établissement, faute de moyens et de personnel. Suite à cette grève, la Mission flash commandée à la députée Monique Iborra (LREM) estime que le secteur est en souffrance. Le gouvernement a alors beau jeu d’annoncer que le « gel » des contrats aidés qu’il vient de décider ne concernera pas les Ehpad.
Dans le médico-social, les autres professions touchées par ricochet
Pourtant, « dans énormément d’établissements, les postes aidés supprimés sont restés vacants, soupire Jean-Pierre Riso. Nos budgets sont trop contraints. » Les contrats aidés étaient souvent des métiers « support », essentiels selon lui : « Quand l’homme d’entretien vient changer une ampoule, il parle avec les résidents, il les écoute, il prend le temps que les soignants n’ont plus. On perd une présence, un lien social. » Ici, plus d’animateur culturel. Là, plus d’aide-cuisine qui permettait de préparer des repas plus frais et goûteux. « Malheureusement, cette mesure affirme que les Ehpad sont davantage des lieux de soins que des lieux de vie », ajoute-t-il.
Sans compter que, dans le secteur, la suppression des contrats aidés a dégradé les conditions de travail des autres professionnels. « A cause du durcissement des normes, du manque de personnel, les professionnels du médico-social connaissent une démotivation, observe Didier Minot. Ils n’ont plus le temps de faire un travail de qualité et en perdent le sens. Les contrats aidés permettaient d’introduire de la souplesse. » Jean-Pierre Riso ne peut qu’acquiescer : « Cela rajoute à la difficulté des conditions de travail dans les établissements, au stress des soignants. »
« Les territoires ruraux et les quartiers en difficulté sont les premiers impactés »
Les collectivités n’ont pas été épargnées. En septembre 2017, les maires de La Réunion ont reporté la rentrée scolaire de cinq jours, estimant qu’ils n’avaient pas les moyens de l’assurer convenablement sans les contrats aidés. Beaucoup étaient chargés des activités extra-scolaires. Des régies de quartier, qui ont développé de nombreux services – jardins associatifs, garages, auto-écoles, ateliers de recyclage, laveries – au service des habitants des quartiers prioritaires des villes, ont réduit ou suspendu leurs activités après le départ des contrats aidés. « Nous sommes en train d’évaluer l’ampleur des conséquences, indique Wilfried Schwartz, maire de La Riche (Indre-et-Loire), et référent emploi de l’Association des maires de France (AMF). Mais ces postes contribuaient à des missions de service publique. La qualité de celui-ci a été impactée. Par exemple, je n’ai pu pérenniser que deux postes sur les cinq Atsem(agents territoriaux spécialisé des écoles maternelles, ndlr), pourtant indispensables dans notre école. »
La réduction des contrats aidés a renforcé les inégalités territoriales : « Les territoires ruraux et les quartiers en difficulté sont les premiers impactés », constatent les députés dans leur rapport. Malheureusement, cela n’étonne pas Patrick Chenu, le directeur de la Fédération des MJC : « Les associations venaient déjà pallier le désengagement des pouvoirs publics dans les villes aux faibles ressources. » Pour qu’un bassin de vie soit en bonne santé, il doit apporter en proximité une certaine gamme de services, explique Didier Minot, du Collectif des associations citoyennes. Sinon, il s’appauvrit et se fragilise.
« On voit des banlieues où il n’y a plus une seule association. Qui prend la place, à votre avis ? »
« La France relègue des territoires ruraux entiers à la faveur des pôles urbains d’attractivité, favorisant ainsi l’exode rural et la désertification des campagnes françaises », abonde le rapport Borloo. Lui aussi constate que, lorsque l’État abandonne certains territoires, ce sont surtout les associations qui sauvegardent le dynamisme local. Depuis l’été dernier, elles sont empêchées de le faire : « Dans ces territoires, la disparation de chaque asso sportive, de chaque atelier d’expression artistique est grave, alerte Didier Minot. On voit des banlieues où il n’y a plus une seule association. Qui prend la place, à votre avis ? » Pour pérenniser quelques contrats aidés dans sa ville, Wilfried Schwartz a du trouver 200 000 euros supplémentaires, alors que, depuis 2014, il a perdu un million de dotations publiques. Maire d’une ville moyenne, il reconnait avoir bénéficié d’une petite marge de manœuvre. « Mais pour les communes pauvres, c’est impossible. Leur service public s’est dégradé. Cela accentue la fracture territoriale. »
Les inégalités accentuées sont aussi sociales. Pour s’en sortir, certaines associations ont augmenté le prix de leurs prestations. Une accélération dans la marchandisation de l’action associative, en marche depuis dix ans. « Dans les associations, le pourcentage des recettes issues des prestations ne cesse de croître, constate encore Didier Minot. On restreint les services à ceux qui peuvent les payer chers et on ferme la porte aux autres. » Tout le contraire de l’état d’esprit des MJC, se désole Patrick Chenu : « Notre travail de fond, c’est de faire vivre des lieux ouverts à tous et toutes, sans distinction de culture, religion, richesse ou âge. Il n’y a plus beaucoup de lieux comme ça. Mais plus on augmente les prix, plus on sélectionne... »
Un coût social supérieur aux économies réalisées
En plus de peser sur les salariés licenciés, les associations et leurs usagers, la diminution des contrats aidés plombe aussi l’État lui-même. Les coûts induits s’avèrent bien supérieurs aux économies réalisées, estiment les députés dans leur rapport : « Par exemple, la disparition des associations dans les quartiers sensibles conduit à augmenter de façon bien plus importante les charges de sécurité, de vidéosurveillance, de police, sans que cela évite la montée de la violence et de la radicalisation. » Les sénateurs admettent : « Les retombées en termes d’utilité sociale sont parfois supérieures au coût du contrat. » Qui mesure l’utilité d’une association développant le regard critique des jeunes ou les intéressant à la chose publique ? Qui lutte contre la paupérisation des zones périurbaines, entretient des espaces verts, aide à la transition écologique ? Il semble que ce ne soit pas le cas du gouvernement, plus occupé à serrer toujours davantage le cordon de sa bourse, quelles qu’en soient les conséquences.
Le deuxième effet pervers de la disparition de plus de 140 000 emplois associatifs est d’entraîner la volatilisation de quantités de bénévoles. Pour animer ces derniers, la présence des contrats aidés est vitale : un emploi aidé encadre et coordonne en moyenne l’action de dix bénévoles, estime le rapport de Jean-Louis Borloo. Par exemple, dans une fédération départementale de foyers ruraux, depuis le licenciement de l’employé en contrat aidé, les trois coprésidents bénévoles doivent désormais assurer toutes les tâches administratives. Ils envisagent donc de renoncer à leur présidence. C’est bien en mobilisant de très nombreux bénévoles que les associations mènent sur le terrain une multitude de tâches indispensables que ni l’État, ni les entreprises privées, ne peuvent remplir. Sans les contrats aidés pour les soutenir, cette ressource bénévole s’évapore.
Réfléchir à des modes de financement durables
Les « Parcours emploi compétences » (Pec) devaient remplacer avantageusement les contrats aidés. « Cela ne fonctionne pas, constate Didier Minot. Les conditions administratives pour y recourir sont compliquées et inadaptées. Les Pec ne s’adressent qu’aux grosses associations gestionnaires. » « Les Pec, on n’en voit pas beaucoup arriver, ajoute Jean-Pierre Riso (de la Fnadepa), alors que le secteur des personnes âgées est prioritaire ! Il y a des blocages à tous les échelons administratifs. Les consignes ne semblent pas descendues jusqu’au préfet, ni à Pôle emploi. »Parallèlement, les deux rapports, celui des députés comme celui des sénateurs, jugent que le coût d’un contrat aidé n’est pas exorbitant pour les finances publiques. Et que le taux de pérennisation de l’emploi n’était pas si mauvais qu’annoncé. Le Sénat, qui a préconisé le rétablissement provisoire de 100 000 contrats aidés, n’a pas été entendu. Didier Minot ne défend pas les contrats aidés en tant que tels : « Ils sont temporaires, sous-payés, fléchés sur certains publics, mais à court terme ils sont indispensables si on veut éviter l’effondrement de pans entiers du monde associatif. »
Le tremblement de terre infligé aux associations les pousse surtout à aspirer à autre chose. « Inutile que le gouvernement nous rende quelques contrats aidés en nous demandant de nous débrouiller, estime Jean-Pierre Riso. Aujourd’hui, il y a urgence à travailler sur la question des financement pérennes de l’accompagnement des personnes âgées. » Les associations ont été contraintes d’utiliser massivement les contrats aidés, faute de financements stables. « Depuis plusieurs décennies, les pouvoirs publics se déchargent progressivement sur les associations d’un nombre toujours plus important de missions d’utilité sociale, sans que les financements soient proportionnels à ces transferts de charges. Au contraire, le montant des subventions ne fait que baisser », écrit le sénateur Alain Dufaut.
« L’argent ne manque pas, on en demande simplement une autre répartition »
Résultat de ce processus de « décharge » sur le monde associatif, couplé à une baisse des dotations pour les collectivités : ces dernières ne peuvent plus compenser. Les réserves parlementaires ont disparu. La réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune risque même d’entraîner une diminution des dons aux associations. « Surtout, les dotations aux associations ont été remplacées par des appels d’offres, remportés par de grosses associations qui ont des services spécialisés pour y répondre », explique Dider Minot. Pour Patrick Chenu, les associations ont besoin de davantage de visibilité : « Une dérive du "tout projet" s’est mise en place. Or, si le fonctionnement de l’association n’est pas financé et que l’on court en permanence après des appels à projets, on ne peut plus faire de travail éducatif au long cours. »
Jean-Louis Borloo suggère de remplacer les contrats aidés par des subventions à l’emploi, en laissant l’association recruter la personne de son choix. Les députés de la Mission flash proposent quant à eux la création d’un fonds global unique pour l’emploi associatif : « Les associations ont besoin de subventions pérennes pour embaucher des personnels qualifiés. » Didier Minot approuve : « En 2018, les cadeaux fiscaux et sociaux aux riches et aux entreprises s’élèvent à 66 milliards d’euros. L’argent ne manque donc pas. On en demande simplement une autre répartition. Que voulons-nous ? Une société qui soumet tout au marché ou une société à finalité humaine ? »
Audrey Guiller
Dessins : Rodho