- La manifestation des « gilets jaunes » samedi 24 novembre à Paris sur les Champs-Elysées, émaillée de violences, a donné lieu à 103 interpellations, selon un nouveau bilan de la Préfecture de police.
- Au lendemain du rassemblement, les commerçants et responsables des enseignes touchés par les dégradations évaluaient les dégâts.
- Ils craignent de nouveaux débordements le week-end prochain, les « gilets jaunes » ayant appelé à passer à l'« Acte 3 » de leur mobilisation, en manifestant samedi 1er décembre à Paris sur cette même avenue.
« L’avenue est connue dans le monde entier pour ses petits pavés. Quand je vois ça, ça m’écœure, franchement c’est moche ». François, employé d’une enseigne de restauration rapide a le regard fixé sur la chaussée dénudée. Téléphone portable à la main, il immortalise les dégâts survenus samedi 24 novembre en marge de la manifestation des « gilets jaunes » à Paris. Interdits de manifester place de la Concorde et redirigés vers le Champ-de-Mars, les cortèges se sont finalement rendus sur la prestigieuse avenue.
Des heurts entre manifestants, casseurs et forces de l’ordre ont causé de nombreux dégâts dans le courant de l’après-midi et jusqu’en début de soirée. Au total, 24 blessés dont 5 parmi les forces de l’ordre ont été recensés par la préfecture de police de Paris et 103 personnes ont été interpellées. Au lendemain du rassemblement, les commerçants tentaient, eux, d’évaluer leurs pertes et d’anticiper le rassemblement prévu le 1er décembre prochain.
« On sentait venir les débordements »
A 35 ans et après plusieurs années d’exercice sur les Champs, François estime avoir été « chanceux » cette fois. « On sentait venir les débordements donc on avait rangé l’intégralité de la terrasse. Mais on a laissé les bacs à fleurs. Ils sont lourds, on ne pensait pas qu’ils les déplaceraient », raconte le trentenaire.
C’était sans compter sur l’ardeur des casseurs qui s’en sont emparés pour monter des barricades face aux forces de l’ordre. Vitrines brisées et devantures taguées, de nombreux commerces prisés des touristes ont été dégradés. Le mobilier urbain, feux de signalisations et abribus ont eux aussi été particulièrement visés.
Incendié lors des célébrations de la coupe du Monde, le kiosque de Samy, 56 ans, a été épargné samedi. « On a fermé à la mi-journée. Les CRS étaient pris de court, on a vu l’arrivée de groupuscules violents, on a préféré ne pas prendre de risques. Mais ça a forcément un impact sur notre recette », déplore-t-il.
« On a le sentiment que l’Etat a laissé faire »
Quelques mètres plus bas, les dégâts sont plus visibles et plus impressionnants. Nicole est responsable adjointe d’une sandwicherie depuis quelques semaines sur les Champs-Elysées. Présente samedi avec six salariés, elle déplore le manque d’anticipation des autorités malgré la mobilisation de 3.000 forces mobiles dans l’agglomération parisienne.
« La préfecture ne nous a pas demandé de retirer nos tables et nos chaises. Donc tout était en place. Les casseurs se sont mêlés aux manifestants dès 11h30 et on a été obligé de fermer une première fois, puis de filtrer les clients. On a définitivement fermé vers midi, il y avait beaucoup de gaz lacrymogène, on suffoquait à l’intérieur de la boutique. Je n’ai pas terminé de tout chiffrer mais on a perdu au moins 6.000 euros de marchandise. Et je ne compte pas les dégâts sur la terrasse », souffle-t-elle.
Après une courte accalmie, les heurts ont repris vers 18h30 poursuit Nicole : « Un homme a commencé à incendier les parasols laissés à terre. Il a fallu douze seaux pour éteindre l’incendie malgré l’usage du canon à eau par les gendarmes ». De simples « dégâts matériels » selon le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, « intolérables » pour Nicole : « On paye des loyers faramineux pour être présent sur les Champs, et hier, les forces de l’ordre n’étaient pas suffisamment présentes. On a le sentiment que l’Etat a laissé faire, préférant les dégradations aux affrontements avec les CRS. C’est scandaleux ».
Une suite qui inquiète
Tous font en revanche la distinction entre les auteurs des violences et des dégradations et les manifestants en gilets jaunes. « C’est une minorité, comme c’est le cas à chaque fois et comme c’était le cas le 15 juillet dernier lors de la finale de la coupe du Monde », analyse François, salarié d’un fast-food. Nicole, installée plus bas sur l’avenue, abonde : « Quand le mobilier de la terrasse a été renversé, plusieurs manifestants nous ont aidés à le mettre à l’abri. Et ceux qui sont à l’origine des dégradations ne portaient pas de gilets », souligne-t-elle vidéos à l’appui.
Sous le regard amusé et effaré des touristes qui photographient les vitres brisées de la très chic brasserie du Fouquet’s, Samy le kiosquier s’inquiète des suites du mouvement. « Qui nous dit que des types ne vont pas débarquer un soir, revêtir un gilet jaune et tout casser ? On voit bien que tout le monde essaie d’instrumentaliser les manifestants. Je n’ai pas le sentiment que la mobilisation va s’arrêter, et un rassemblement serait déjà prévu samedi 1er décembre prochain. Si c’est le cas, cette fois je n’ouvrirai pas ».
Idem pour François : « Si la manifestation de la semaine prochaine est confirmée, je ferme. Je ne veux pas prendre de risque ni en faire prendre aux autres employés ». Un constat qui attriste Jao, 47 ans, également salarié sur l’avenue : « Ils visent les Champs-Elysées pour le symbole, parce que c’est ici que sont regroupées les enseignes les plus luxueuses. Mais ils oublient qu’il y a des salariés modestes qui y travaillent et des petits commerçants qui tentent de faire leur chiffre. A quelques semaines des fêtes, c’est dur ».