jeudi 27 décembre 2018

Une semaine en jaune Michel Onfray (karlkee)


L'année prochaine s'annonce sportive pour les Gilets Jaunes: le gouvernement recommande 1280 Lanceurs de balles de défense (fawkes)


Malgré les récents blessés dont une dizaine d’éborgnés et les alertes des ONG, le ministère de l’Intérieur s’apprête à acquérir 1 280 nouvelles armes de type Flash-Ball.

Le sens du timing. Le ministère de l’Intérieur a lancé le 23 décembre un appel d’offres pour une commande de nouveaux lanceurs de balles de défense (LBD 40). Utilisée par la police et la gendarmerie, cette arme de type Flash-Ball a récemment causé de nombreuses blessures graves lors du mouvement des gilets jaunes et de la mobilisation lycéenne. L’accord-cadre d’une durée de quatre ans prévoit l’achat de 1 280 de ces fusils d’épaule à un coup, et dont la munition de 40 millimètres en caoutchouc semi-rigide peut éborgner et provoquer des fractures des os de la tête.


Sulfureux

Si aucune estimation du prix de cette commande publique n’a été donnée par le service des achats du ministère, il devrait atteindre au moins 2 millions d’euros selon les calculs de Libération. Depuis plusieurs années, des associations de défense des libertés publiques et, plus récemment, le Défenseur des droits ont alerté sur les dangers de cette arme utilisée par les forces de l’ordre à l’occasion de manifestations. Le ministère de l’Intérieur, qui élargit en cette fin d’année son stock, ne semble pas avoir amorcé de fléchissement en la matière.

Cette commande sulfureuse comporte aussi l’acquisition de 270 lanceurs à 4 coups et 180 lanceurs à 6 coups du même calibre que les LBD 40. En l’état, ces armes pourraient tout à fait être chargées avec les mêmes balles semi-rigides en caoutchouc. Avec un risque nettement accru de blessures irréversibles. Ces fusils sont en effet capables de tirer leurs munitions en quelques secondes et sont plus lourds et donc moins maniables. Contactée par Libération, la Direction générale de la police nationale assure que ces lanceurs «multicoups» sont quant à eux «destinés à tirer exclusivement des grenades lacrymogènes, fumigènes ou assourdissantes».

Si aucune comptabilité officielle des blessures n’est établie par les autorités, ces dernières semaines, le LBD 40 est suspecté d’avoir blessé gravement plus de 30 personnes, dont 10 ont été éborgnées. C’est le cas d’Antoine C., 25 ans, blessé à l’œil le 8 décembre place de la République, et qui a depuis porté plainte contre les forces de l’ordre. Selon le procès-verbal, qui consigne un premier récit des faits, le jeune homme a été touché au visage alors qu’il tentait de s’éloigner de la manifestation qu’il était venu observer par curiosité : «Il y a eu un mouvement de foule, je regardais ce qu’il se passait. D’un coup, je suis tombé. J’étais un peu sonné, les gens autour de moi m’ont aidé à me relever. J’entendais "il l’a pris dans l’œil, il l’a pris dans l’œil".»

Fracturée

Antoine C. se rend alors compte que du sang coule de son visage, son œil gauche est gravement atteint. Les médecins lui annoncent qu’il a une fracture du plancher orbital et qu’il a perdu la vue. «Ce sont des armes qui sont fréquemment utilisées par les fonctionnaires de manière offensive à des distances non réglementaires et sur des parties du corps interdites», estime son avocat Arié Alimi. Plusieurs lycéens ont aussi été blessés gravement au visage lors de mobilisations devant leur établissement. La première semaine de décembre a été particulièrement désastreuse. A chaque fois, le LBD 40 est soupçonné d’être à l’origine des blessures. Le 4 décembre, à Grenoble, Doriana, 16 ans, a eu la mâchoire fracturée et des dents cassées. Le lendemain, à Garges-lès-Gonesses (Val-d’Oise), Issam, 17 ans, a eu lui aussi la mâchoire fracturée et un bout de la joue arraché. Le même jour, près d’Orléans, Oumar, 16 ans, a eu un enfoncement de l’os du front et d’importantes fractures. Le 6 décembre, enfin, à Béziers et Vénissieux, Jean-Philippe et Ramy, 16 ans, ont été mutilé à l’œil gauche.

Au départ, l’utilisation du LBD 40 n’était pas prévue lors des manifestations. En 1998, Christian Arnould, alors chef du bureau des équipements du service central des CRS, s’y était d’ailleurs opposé : «Symboliquement, en matière de maintien de l’ordre, cela signifie que l’on tire sur quelqu’un, alors que, depuis des années, on prend soin de tirer les grenades à 45 degrés sans viser les personnes en face.» Pour le sociologue Cédric Moreau de Bellaing, spécialiste des questions de police, l’usage «des armes sublétales a plus d’effets délétères que positifs», car est ancrée «l’absolue certitude qu’au pire on amochera mais qu’on ne tuera pas».

Inadaptée

Le Défenseur des droits alerte lui aussi depuis 2013 sur la dangerosité des lanceurs de balles de défense. Selon cette autorité administrative indépendante, qui a rendu un rapport dédié au maintien de l’ordre en décembre 2017, cette arme est inadaptée «à une utilisation dans le cadre de ces opérations». La raison ? Cette arme «ne permet ni d’apprécier la distance de tir ni de prévenir les dommages collatéraux», car lors d’une manifestation, «les personnes visées sont généralement groupées et mobiles ; le point visé ne sera pas nécessairement le point touché».

Dans le cadre de ce rapport, le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, s’était justement engagé à ne plus utiliser cette arme dans les cortèges. Alors pourquoi un tel revirement lors des événements parisiens des gilets jaunes ? Contactée par Libération, la préfecture de police répond que «les manifestations non déclarées de gilets jaunes ont pris une configuration de violences urbaines» et qu’il «n’était pas question dans ce cadre de laisser les policiers démunis d’armes intermédiaires face à la violence des participants à ces attroupements». 

Ismaël Halissat

Source: Liberation

En défense des gilets jaunes et d'Etienne Chouard (Jean Bricmont )


[Gilets Jaunes] Juan Branco désosse Macron ( via Brest buzz)


lundi 24 décembre 2018

Comment le système politico-médiatique s’y prend-il pour décrédibiliser les Gilets Jaunes ? (agoravox)


lundi 24 décembre 2018


 1) Mentir sur le nombre de manifestants

Les grands médias nous annoncent le nombre d'environ 39 000 manifestants gilets jaunes pour la journée du samedi 22/12/2018, certains autres médias encore moins, comme FR3 Nouvelle-Aquitaine qui annonce 23 800 personnes dans la rue contre 33 500 la semaine dernière dans toute la France, mettant en avant l'affaiblissement du mouvement.
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Photo : Place de la bourse à Bordeaux le samédi après-midi le 22/12/2018

Or, sur le site web du " Syndicat France Police – Policiers en colère ", on nous avance un chiffre très largement supérieur :

"Estimation de la participation à l’acte 6 des Gilets jaunes à 19h00 : au moins 300.000 manifestants dans tout l’hexagone selon l’estimation du syndicat France Police – Policiers en colère."

Le " Syndicat France Police – Policiers en colère " mentionne entre autres :
"Notre syndicat ne fait pas circuler de fake news contrairement à ce que certains médias malhonnêtes véhiculent. Nous sommes la 5ème force syndicale du ministère de l’Intérieur et produisons un travail sincère et honnête pour informer nos collègues et l’opinion publique sur les problématiques policières."

Et concernant la journée du 24 novembre 2018 : 750 000 manifestants, plus proche du vrai chiffre
"Estimation de la participation à 15h ce samedi 24/11 : le syndicat France Police – Policiers en colère dénombre 750.000 gilets jaunes dans toute la France sur environ 1500 points de blocage"

Alors que le ministère de l'Intérieur annonce pour la même journée du 24 novembre 106.301 manifestants "Gilets Jaunes" pour toute la France

Remarque : j 'aime bien ce chiffre finissant par 301, comme si les manifestants avaient vraiment été comptabilisés au détail près...
Là, le ministre de l'intérieur nous prend carrément pour des idiots !
Encore "bravo" au Figaro pour avoir joué son rôle de relais avec tant de précision !

Voici le témoignage de Jean-Claude Bourret, ancien présentateur des journaux de TF1 et de La Cinq qui confirme ce qu'on sait déjà depuis longtemps, c'est-à-dire la manipulation de l'opinion publique, la manipulation des chiffres par des médias qui agissent sur ordre de leur direction voire de la part du pouvoir politique.
Quelqu'un qui n'obéit pas aux ordres, comme Jean-Claude Bourret, est "mis au placard" ou même carrément licencié (on trouve toujours une "bonne" raison pour cela).


 2) Mettre à l'écart d'un des "représentants" des Gilets Jaunes, trop médiatisé et jugé pas assez coopératif avec le pouvoir :
L'oligarchie a peur d'une insurrection voire d'une révolution contre le monde de la finance et leurs vassaux, hommes politiques, médias, multinationales, grandes surfaces...
Au-delà de la manipulation des chiffres de la part de la classe politico-médiatique, c'est la crainte de perdre leur pouvoir qui a poussé le pouvoir politique à faire usage de la mise à l'écart d'un des représentants médiatisés des Gilets Jaunes, Eric Drouet, qui avait oser s'attaquer au pouvoir ploutocratique en France.

Le " Syndicat France Police – Policiers en colère " fait savoir :
"L’arrestation d’Eric Drouet, rue Vignon à Paris, a été manifestement programmée et ordonnée par l’autorité administrative ou judiciaire. Nos collègues n’ont pas interpellé de leur propre initiative ce leader des Gilets Jaunes. A ce stade, il n’y a pas, pour notre organisation syndicale, de lien entre les casseurs et l’arrestation d’Eric Drouet."

 A ce sujet, il faut citer l'article 35 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793 qui légitimise la désobéissance civile dans un cas bien précis :

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"Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs."
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 3) Employer l'arme "fatale", celle de l' assimilation du mouvement des Gilets Jaunes à l'antisémitisme

Les chaînes télévisées LCI , C-News se sont focalisées ce dimanche matin sur des actes commis par une infime minorité des manifestants injustement qualifiés d'antisémites par Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement en tant que secrétaire d'État adjoint au Premier ministre.
C'est une manipulation de l'opinion publique particulièrement malsaine.
Benjamin Griveaux a publié un tweet que je vous laisse découvrir dans les deux vidéos ci-dessous. L'une avec le commentaire de Jérôme Rodrigues, un des Gilets Jaunes, et l'autre vidéo par un représentant de Debout la France, Damien Lempereur :

Commentée par Jérôme Rodrigues, un des Gilets Jaunes :
source C-NEWS :

Commentée par un représentant de Debout la France, Damien Lempereur :
source C-NEWS :

4) Inciter les médias à présenter les manifestations des Gilets Jaunes comme violentes,
gangrenées par les casseurs, mauvaises pour l’économie (blocage des ronds-points) et les
commerçants

Le reportage sur la manifestation des gilets jaunes à Bordeaux diffusé samedi soir 22/12/2018 par FR3 Nouvelle-Aquitaine a commencé par la présentation des violences qui se sont produites à la fin de la manifestation à Pey Berland (on se demande qui sont ces provocateurs, on peut supposer beaucoup de choses, tellement ces images de poubelles en flammes et de jeunes cagoulés lançant des projectiles sur la police font les choux gras des médias...). Après ces images de violence qui se prolongent un peu, le commentateur reconnaît que la majeure partie de la manifestation s'est déroulée dans le calme et sans incident, ce qui est la stricte vérité puisque j'y étais...
Là aussi, on souhaiterait plus d'objectivité de la part des médias régionaux !


Je ne vais pas en rajouter sur les méthodes employées par le pouvoir politico-médiatique pour manipuler l'opinion publique, tellement elles sont évidentes pour qui se documente et se renseigne dans le but de fonder sa propre opinion, et tellement elles sont anormales dans un régime qui se prétend démocratique mais qui est en réalité ploutocratique.

Le rejet de la presse aux ordres du monde de la finance par les gilets jaunes
De nombreux heurts entre Gilets Jaunes et journalistes des grands médias témoignent de ce ras-le-bol de la France moyenne et rurale devant cette caste médiatique inféodée au pouvoir financier et mondialiste, qui s’arroge le droit de dire le bien et le mal, qui dicte la pensée unique et le politiquement correct, qui bâillonne la liberté d’expression, qui méprise « les citoyens ». Il faut savoir aussi que la plupart des journalistes bénéficient d'abattements fiscaux qu'on peut assimiler à des privilèges, moyen de tenir en laisse ces "chiens de garde", sans parler de ce qui leur arriverait s'ils osaient faire preuve de plus d'objectivité...

Le “quatrième pouvoir” vacille sur son piédestal. Et a peur. Peur de perdre ses privilèges, sa toute-puissance sur l’information, sur l’opinion publique : la France profonde entre en résistance sur les fronts politique et médiatique !

Le mot de la fin  : Les Gilets Jaunes vont poursuivre leur mobilisation, même pendant les fêtes et ils se préparent déjà à l'acte VII, samedi prochain, 29 décembre 2018...


A lire également :


Ps.
Un grand MERCI à Gérard, un de mes amis, pour avoir apporté des informations complémentaires à cet article ainsi pour les corrections orthographiques ainsi son support au mouvement des gilets jaunes

Le projet européen de Macron est-il mort ? - Coralie Delaume, Pierre Manent (Critique de la Raison Européenne)


Trop cons pour le RIC! Vraiment? ( La Mite dans la Caverne)


Le Hyaric recadre une journaliste sur la manipulation d'images sur les gilets jaunes (Break News TV)


jeudi 20 décembre 2018

"Hausse" du SMIC, Marseillaise genrée & Berger déconnecté ! (Vive La France #18)


Immersion dans un congrès de formation de médecins sponsorisé par Big Pharma (basta)

PAR 
Chaque année, 26 congrès « Preuves&Pratiques » sont organisés dans toute la France. L’occasion pour les spécialistes en vue des CHU locaux, qui ont souvent des liens d’intérêts avec les laboratoires, de présenter les traitements les plus récents aux médecins généralistes de la région, sous couvert de formation. Basta ! s’est invité à l’une de ces formations indirectement sponsorisées par les laboratoires : celle présentant le nouveau produit phare de Novartis contre l’insuffisance cardiaque, Entresto. Récit.

Le congrès Preuves&Pratiques, c’est l’arme de guerre marketing à peine déguisée des laboratoires pharmaceutiques. Tous les ans dans 26 villes différentes, histoire de quadriller l’Hexagone, cet organisme spécialisé dans l’événementiel médical invite les leaders d’opinion du secteur – généralement les professeurs du CHU local – à donner des conférences sur les nouveaux remèdes commercialisés par les labos aux médecins généralistes et internes de leur zone. Samedi 29 septembre 2018, c’est la ville de Châteaugiron, près de Rennes (Ille-et-Vilaine), qui accueille le congrès.
Les partenaires de Preuves&Pratiques (capture d’écran de leur site).
À l’entrée de la salle, les stands des financeurs de Preuves&Pratiques se succèdent. Essentiellement des entreprises pharmaceutiques (GSK, Merck, Sanofi, Mylan, etc.), classées du bronze au platine, selon la hauteur de leur apport. Cette année, c’est l’entreprise Novartis qui obtient la distinction suprême. Est-ce un hasard alors que le laboratoire suisse lance au même moment l’Entresto, un nouveau médicament contre les insuffisances cardiaques ? Au congrès Preuves&Pratiques, Novartis est partout. Y compris dans le petit sac rempli de prospectus de ces différents sponsors, grâce à un carnet de « fiches de correspondances entre médecins ». Siglé Novartis, ce carnet permettra de se transmettre entre confrères les traitements pris par les patients, et les incitera peut-être à la reconduction d’ordonnances. Mais le laboratoire pharmaceutique est aussi présent, à travers son nouveau médicament phare Entresto, dans les présentations PowerPoint des intervenants du Congrès.

Un intervenant à presque 1900 euros par mois…

Entresto apparaît en effet dans le support d’intervention d’Erwan Donal, cardiologue et professeur au CHU de Pontchaillou, à Rennes. Depuis la loi du 4 mars 2002 et le décret du 28 mars 2007, le médecin est obligé de déclarer ses liens d’intérêts avant chaque conférence. « Pas de liens d’intérêts conduisant à des conflits particuliers à ce jour dans le cadre de cette présentation », affiche quelques secondes l’écran, avant de mentionner quand même « une bourse de recherche de Novartis et General Electric Healthcare, de la formation/expertise pour Novartis, Bristol Myers Squibb, Bayer, Abbott ».

Erwan Donal sur EurosForDocs.
Ce que ne dit pas cette présentation en préambule, c’est la nature de ces liens avec l’industrie pharmaceutique. EurosForDocs, la plateforme simplifiée reprenant les données de la base Transparence santé (lire le premier volet des « Pharma Papers » : « L’argent de l’influence »), répertorie 535 liens d’intérêts entre le cardiologue et l’industrie pharmaceutique depuis 2012, avantages (repas, cadeaux, transports, invitation à des colloques, etc.) et conventions comprises (contrat d’orateur lors de formations pour le compte d’un laboratoire, etc.). En tout, l’industrie pharmaceutique a dépensé pour lui au moins 139 366 euros en six ans, soit 23 228 euros par an, ou 1 936 euros par mois. Et encore, 114 autres contrats sont mentionnés dont le montant reste secret, et qui n’entrent donc pas dans ce décompte.

… dont plus de 1000 euros par Novartis

En tête de liste : Novartis, avec 222 liens d’intérêts. Ce laboratoire a versé au cardiologue 73 445 euros (sans compter les 46 contrats au montant non révélé) depuis 2012, soit 12 240 euros par an. Ces liens financiers incluent des contrats réguliers rémunérés entre 400 et 1 500 euros et des invitations à des congrès. En novembre 2016, par exemple, Erwan Donal a été convié par le laboratoire à un congrès de l’American Heart Association à la Nouvelle-Orléans, aux États-Unis. Coût total des sommes que lui a consacré Novartis pour ce déplacement : 8 030 euros (6 175 de transport, 1 009 d’inscription au congrès, 739 d’hébergement et 107 de repas).
Campagne de Novartis.
À Châteaugiron, sur l’estrade du Congrès Preuves&Pratiques, le cardiologue vante le nouveau produit star de Novartis, Entresto, remède aux insuffisances cardiaques aux « effets assez incroyables » puisqu’il diminuerait la mortalité de 20 %. Ce nouveau médicament a pourtant obtenu un avis d’Amélioration du service médical rendu (ASMR) de niveau 4, donc « mineur ». En clair, il n’apporte que peu de nouveautés par rapport aux médicaments déjà existants. Mais parmi les blouses blanches, son efficacité fait l’unanimité. Dominique Dupagne, médecin chroniqueur sur France Inter, vent debout contre les conflits d’intérêts dans le secteur, la reconnaît lui-même. Ce qui n’empêche pas ce fils de cardiologue d’avoir été interpellé par la puissance de la campagne marketing déployée par son fabricant. « Il faut dix ans pour obtenir des parts de marché significatives car les médecins sont très lents à changer leurs habitudes de prescriptions. Dix ans plus tard, les génériques arrivent. D’où l’offensive marketing de Novartis », analyse le docteur. Une offensive marketing à grand renfort de campagne de sensibilisation sur l’insuffisance cardiaque… Et de sponsoring de congrès, donc.

La primeur de l’annonce de l’arrivée d’Entresto en pharmacie de ville

Erwan Donal est toujours au micro : il vante en Entresto une nouvelle classe thérapeutique qui correspond à « une révolution ». Il encourage les prescripteurs à « optimiser les doses pour obtenir l’effet maximal. L’augmentation des doses doit être le leitmotiv de tout médecin », insiste-il. « Pour l’instant, il est uniquement délivré en pharmacie hospitalière, pour encore quelques semaines », lâche-t-il à l’assemblée. Quand nous l’interrogeons à propos de ce mystérieux délai, il se rétracte : « Cela n’est pas officiel, je ne peux rien dire. » La réponse arrive neuf jours plus tard dans une publication au Journal officiel : celle-ci annonce qu’Entresto est à présent disponible dans les pharmacies de ville et remboursable pour les patients avec une insuffisance cardiaque de classe 2 ou 3. Le service communication de Novartis assure « en avoir été informé lors de la publication au Journal officiel ».
Le laboratoire a ainsi intérêt à toucher les cardiologues qui exercent en cabinet, prescripteurs des pharmacies de ville, le nouveau marché qui s’offre à lui, après avoir conquis celui des hospitaliers. Lesquels sont devenus entre-temps les relais marketing de l’entreprise pharmaceutique. La machine est bien rodée… Et elle rapporte. Dix jours après cette publication au JO, Novartis a relevé son objectif de chiffre d’affaires annuel, notamment « en raison des performances d’Entresto, dont les ventes ont plus que doublé au troisième trimestre », selon Reuters. Le groupe pharmaceutique suisse anticipe désormais une croissance de ses ventes d’environ 5 %, contre une fourchette de 0 à 5 % auparavant. Le marché est porteur : près de 1,5 million de Français souffrent d’insuffisance cardiaque selon la Société française de cardiologie.

« J’ai d’autres conflits d’intérêts. J’en ai avec tout le monde, donc je n’en ai pas »

Si Erwan Donal est si bien informé, c’est parce qu’il fait partie du « board scientifique Novartis » : il a été choisi par le laboratoire pour faire partie de la dizaine d’hospitaliers français à prescrire Entresto en premier, depuis trois ans, dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) pour environ 300 patients. Le cardiologue a donné une dizaine de formations à ses collègues sur ce nouveau remède : d’où le pic de liens d’intérêts entretenus avec Novartis en 2016. Quand nous l’interrogeons à ce propos, il se raidit d’emblée. « Ce n’est pas parce que je promeus Entresto que je suis payé par Novartis. Je ne suis pas rémunéré par Novartis, affirme-t-il. Je fais des formations, je suis dédommagé pour mon travail. »
D’ailleurs, « j’ai d’autres conflits d’intérêts. J’en ai avec tout le monde donc je n’en ai pas », s’énerve-t-il. Une ligne de défense bien connue et documentée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Je les rencontre tous, aussi je ne suis influencé par aucun » est une « idée reçue », selon laquelle « l’exposition à la promotion de plusieurs entreprises neutralise les biais », explique l’organisation internationale dans un manuel pratique sur la promotion pharmaceutique. « Toutefois, cette stratégie ignore certains biais partagés par toutes les entreprises concurrentes. Par exemple, les entreprises pharmaceutiques font la promotion de leurs produits les plus rentables. Par conséquent, la promotion porte sur les médicaments nouveaux et coûteux plutôt que sur les produits anciens et génériques, quel que soit le meilleur produit. »

« Ce ne sont pas les laboratoires qui fournissent les présentations PowerPoint. »


« Qui vous a invitée ? », s’agace sa collègue pneumologue, Graziella Brinchault, qui intervient en binôme avec lui lors de la conférence. « Demande à relire l’article », lui souffle-t-elle, avant d’aller chercher les responsables de Preuves&Pratiques à la rescousse. Lesquels ne souhaitent pas voir cités de noms de laboratoires ou de médicaments dans notre reportage… Peu importe qu’Erwan Donal, lui, donne en toutes lettres dans sa présentation celui d’Entresto, au lieu de mentionner la dénomination commune internationale (DCI), c’est-à-dire le nom scientifique et non commercial, alors que depuis le 1er janvier 2015 la loi oblige les médecins à indiquer la DCI dans les prescriptions.

Extrait d’un diaporama présenté par un médecin.
« Les médecins peuvent préparer leurs propres présentations PowerPoint, ce ne sont pas les laboratoires qui les fournissent », se félicite Bruno Fourrier, animateur de Preuves&Pratiques. « N’allez pas imaginer que mon discours est dicté par Novartis, ajoute Erwan Donal. Je n’ai aucun lien avec Novartis quand je fais cette formation. »C’est Preuves&Pratiques, via l’Agence CCC, spécialisée dans l’événementiel médical, qui le rémunère 300 euros pour cette intervention en binôme de 35 minutes. Sauf que Novartis est bien le principal sponsor de ces congrès. « De fait, je suis un leader d’opinion, admet le cardiologue rennais. En tant qu’hospitalo-universitaire, je suis amené à faire de la formation, par le biais de Preuves&Pratiques mais aussi de Novartis. On fait notre travail d’enseignement, on n’est pas acheté par qui que ce soit, je n’en ai rien à faire que ce soient des laboratoires qui organisent la formation. »
Erwan Donal est loin d’être le seul cardiologue à recevoir de l’argent de la part de laboratoires pharmaceutiques. La cardiologie est la dixième spécialité la plus visée par le lobbying des laboratoires pharmaceutiques (lire notre analyse « Les labos soignent plus particulièrement les spécialistes du cancer »).

Le budget de Preuves&Pratiques, « secret des affaires »


En 2018, 5 500 blouses blanches ont assisté aux congrès Preuves&Pratiques, gratuitement. « Cela coûte plusieurs centaines d’euros par participants. Nous pourrions demander une participation aux médecins, mais le problème, c’est que les gens ne sont pas habitués à payer. Nos investisseurs industriels, qui tiennent les stands, nous permettent de financer entièrement les évènements », indique sans davantage de précisions Patrick Ducrey. directeur scientifique de Preuves&Pratiques. « Secret des affaires », avance-t-il.
L’organisation de l’ensemble des congrès revient à un budget annuel estimé de 1,13 million d’euros pour tous les participants, selon notre estimation la plus basse [1]. D’après Patrick Ducrey, le directeur-scientifique de Preuves&Pratiques, Novartis, en tant que sponsor principal, finance ces congrès à hauteur de 15 à 20 %. Ce qui revient au minimum à 170 000 euros par an. Pourtant, le laboratoire pharmaceutique n’apparaît pas parmi les financeurs des congrès Preuves&Pratiques sur la base Transparence santé. « Ces congrès sont organisés par une agence événementielle donc cela n’entre pas dans le champ d’application de la base Transparence santé », nous répond le service communication de Novartis. Une stratégie de contournement via une société écran souvent utilisée par les labos (lire notre enquête « Loi de financement de la sécu : les députés médecins votent-ils sous l’influence des labos ? »).

98 % de la formation continue médicale financée par l’industrie pharmaceutique

Le congrès offre d’autres occasions d’amadouer les médecins. Entre deux conférences, un temps est pris pour les « actualités Preuves&Pratiques ». L’organisateur y propose de participer à un concours, dont le gagnant sera invité tous frais payés à un colloque qui aura lieu sur l’île Maurice fin novembre 2019 ! Et l’animateur d’enchaîner : « C’est maintenant l’heure de la pause, n’oubliez pas d’aller visiter les stands ! »
Ce jour-là, les trois quarts de l’assemblée exercent en profession libérale. Seulement 3 % sont des internes travaillant en hôpital. « À la faculté de médecine de Rennes, les étudiants sont sensibilisés au manque d’indépendance de ce type de formations », confie une médecin généraliste de l’auditoire [2]. Cette généraliste ressent le besoin de se mettre à jour, d’où sa présence au congrès, faute de formation publique équivalente qui serait organisée à proximité de son lieu d’exercice, condensée en une journée, avec des exposés efficaces comprenant des études de cas pratiques. C’est bien là que le bât blesse. Sans budget public, la formation médicale continue est financée à hauteur de 98 % par l’industrie pharmaceutique selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales.
« Mes amis médecins généralistes n’y prennent pas part, ils ne veulent pas être fichés sur la base Transparence santé », confie la médecin, qui était vierge de tout lien d’intérêt avant le congrès Preuves&Pratiques de l’an dernier auquel elle a assisté. « Je ne sais jamais quoi garder et quoi jeter après une journée de formation comme celle-ci, confie une autre jeune docteure. Je suis abonnée à la revue indépendante Prescrire, je peux procéder à des vérifications après coup. » « L’an dernier, le focus présenté dans le congrès Preuves&Pratiques sur Entresto était encore plus virulent », se souviennent les autres médecins qui ont partagé notre table [3]. C’était trois mois avant l’autorisation par la Haute autorité de la santé (HAS) du remboursement de ce médicament par l’assurance maladie.
Rozenn Le Saint
Influence, opacité, prix exorbitants de certains médicaments, liaisons dangereuses avec les députés et les médecins… À travers des données inédites, des enquêtes et des reportages, les « Pharma Papers » mettent en lumière tout ce que les labos pharmaceutiques préféreraient que les patients et les citoyens ne sachent pas : les immenses profits qu’ils amassent chaque année aux dépens de la sécurité sociale et des budgets publics en instrumentalisant médecins et décideurs. Les « Pharma Papers » seront publiés par chapitres successifs au cours des mois de novembre et de décembre 2018.
Dans le troisième chapitre de notre enquête, nous révélons comment les laboratoires pharmaceutiques savent jouer sur tous les leviers pour défendre leurs intérêts.

Notes

[1
Notre calcul est le suivant (basé sur les informations données par la direction de Preuves&Pratiques, avec comme référence le nombre d’intervenants au colloque de Châteaugiron) :
Location de salle : entre 3 000 et 50 000 euros
Rémunération des intervenants médecins : 300 euros chacun, soit 5 400 euros pour les 18
Rémunération totale des professionnels de santé intervenants (animateurs compris) : 17 300 euros pour les 40
Prix du repas par personne : 30 euros, soit 3 000 euros pour les 100 participants
= 20 600 euros en tout pour une journée de congrès Preuves&Pratiques, soit 206 euros par participants (fourchette basse avec une salle à 3 000 euros comme celle de Châteaugiron)
= budget annuel d’environ 1,13 million d’euros (pour les 5 500 participants à l’année).
[2
Voir à ce sujet le classement du Formindep des universités de médecine les plus indépendantes vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique.
[3
L’auteure de cet article a donc déjeuné aux frais de Preuves&Pratiques pour réaliser ce reportage en immersion toute une journée lors de ce congrès.

Ces assassins qui nous dirigent, voilà comment il procèdent. (Jules Ngan)


mercredi 19 décembre 2018

Gilets jaunes : Macron «a déclenché une révolution internationale» (RT)


Avec la réforme, « les justiciables aisés auront une justice à leur service, les classes populaires en seront exclues » (basta)

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Des algorithmes remplaçant les juges pour trancher des litiges mineurs ; des procès à distance, et déshumanisés, via la visioconférence ; des gardes à vue décidées par des policiers sans accord écrit d’un juge ; des plateformes numériques privées pour régler à l’amiable des litiges ; un accès à la justice trop onéreux pour les classes populaires… Science-fiction ? Aucunement : il s’agit de la réforme de la justice portée par la Garde des Sceaux Nicole Belloubet et discutée à l’Assemblée nationale. Sa « justice du 21ème siècle » commence à ressembler à un cauchemar pour l’égalité des droits et la démocratie. Le Syndicat des avocats de France, comme de nombreux acteurs du monde judiciaire, est vent debout contre ce projet. Basta !s’est entretenu avec sa présidente, Laurence Roques.
Basta ! : Vous accusez le projet de loi de programmation 2018-2022 pour la Justice d’accentuer l’abandon des quartiers populaires et des territoires ruraux ou ultrapériphériques. Pourquoi ?
Laurence Roques [1] : Parce que le gouvernement veut supprimer les tribunaux d’instance, c’est à dire la seule véritable justice de proximité, puisqu’il y en a actuellement un par ville. Et cela pour les remplacer par des plateformes numériques à travers lesquelles chacun pourra saisir la Justice pour les « petits » litiges, ceux pour lesquels on ne prend pas d’avocat, comme un litige avec son propriétaire ou encore avec un loueur de voiture. Les membres du gouvernement et les députés qui défendent le projet sont malins : ils disent qu’ils vont rapprocher la justice des justiciables puisque, via les plateformes en ligne, la justice viendrait directement chez les gens. Mais ils oublient la fracture numérique, qui touche quand même 25% des personnes, qui n’ont soit pas d’ordinateur, soit pas de connexion correcte.
De plus, ce changement implique un abandon de l’oralité, pratiquée dans les tribunaux d’instance, pour aller vers l’écriture. On exclut là un certain nombre de gens qui ne sont pas familiers de l’écriture, et encore moins de l’écriture juridique qui est très technique. Cette justice là ne parle qu’aux justiciables aisés qui ont déjà les codes du numérique et qui prendront de toutes manières un avocat. Ceux-là auront une justice à leur service. Ce sont clairement les classes populaires qui en seront exclues.
Cette justice de classe passerait aussi, dîtes-vous par le rétablissement du timbre fiscal, dont le montant varie selon les motifs que l’on a de saisir la justice, et qui avait été aboli par Christiane Taubira ?
Le rétablissement du timbre fiscal révèle la logique purement budgétaire du gouvernement, qui entend faire payer la justice directement par les justiciables. L’un des problèmes de la Justice française, c’est qu’il n’y a pas assez de juges. Leur nombre n’a quasiment pas bougé depuis la fin du 19ème siècle, alors que la demande de justice a considérablement augmenté. Pour sortir de cette ornière, il y a un moyen très simple : c’est de faire en sorte que le juge ne soit plus saisi du tout, en dissuadant les justiciables de le faire. Le timbre fiscal est à cet égard très efficace. Là encore, ce sont les classes populaires qui seront exclues, puisque pour être exonéré du timbre fiscal, il faut être éligible à l’aide juridictionnelle. Or, l’aide juridictionnelle ne concerne que les plus pauvres, et encore sous certaines conditions. Ceux et celles qui touchent entre 800 euros et le Smic, par exemple, devront payer le timbre fiscal.
Vous dénoncez par ailleurs une Justice déshumanisée, avec la crainte que les algorithmes remplacent, peu à peu, les magistrats…
Prenons les 500 000 injonctions de payer qui sont prononcées chaque année. De quoi s’agit-il ? Quand une facture n’est pas payée dans un certain délai, le créancier sollicite une « injonction de payer », c’est à dire un titre exécutoire qui permet de saisir les comptes du débiteur. Jusqu’à présent, c’est le juge d’instance du lieu de vie du débiteur qui reste maître du contrôle de la procédure, et qui regarde ce qui se passe dans les faits. Il convoque le débiteur qui, en général, vient avec ses relevés de compte, ses talons de chèque, et qui s’explique. Il n’est pas rare que la personne ait en fait payé ou s’apprête à le faire, que les demandes soient abusives, ou que les créanciers pratiquent des taux usuraires.
La plate-forme nationale de l’injonction de payer, entièrement dématérialisée, signera la fin de l’audience, de l’accès au juge de proximité, et surtout d’une justice de qualité. Seuls six juges et une trentaine de greffiers se consacreront désormais à l’étude de ces 500 000 dossiers annuels. Soit six minutes par dossier en moyenne. Pour contester une décision, il faudra se connecter, être en mesure de remplir une requête et de scanner des pièces comptables. Ce n’est pas à la portée de tout le monde, et surtout pas des débiteurs qui sont pour la plupart des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté ! Actuellement, les juges peuvent arranger les choses à l’amiable. Ce ne sera plus le cas. Par la suite, le dispositif risque aussi d’être étendu au-delà des petits litiges, pour les révisions des pensions versées en cas de séparation par exemple. Actuellement, les magistrats passent plus ou moins de temps à étudier les dossiers. Là, on remplira un formulaire qui dira « Je gagne tant » et « je demande une révision de tant ». Et la machine calculera. Si vous n’êtes pas d’accord, tant pis !

La réforme que les députés viennent de voter en seconde lecture ouvre grand la porte à la privatisation de la Justice, dîtes-vous. Pourquoi ?
Le recours à des services privés en ligne pour les prestations d’aide à la résolution amiable des litiges, mis en place par cette loi, revient clairement à une privatisation de la Justice. Les plateformes qui prendront en charge la gestion de ces litiges seront « éventuellement » labellisées. Ce qui signifie qu’il n’y aura en fait aucune garantie – notamment sur la protection des données personnelles. Ces plateformes vont évidemment être investies par les géants du net. Sans compter les possibles conflits d’intérêt entre la plateforme, ses financeurs, et les parties qui l’utiliseront pour saisir la justice ! Prenons un conflit entre un citoyen et son assureur, qui serait Axa. Si Axa est aussi un financeur de la plateforme qui permet de saisir la justice, que se passera-t-il ? Et pour quelqu’un qui serait en conflit avec un géant du net, qui financerait lui aussi la plateforme ?
La ministre ne cesse de nous dire que le numérique est idéal pour gagner du temps et assurer la neutralité des décisions... Mais c’est surtout génial pour vendre ! D’ailleurs, le projet de réforme portée par Nicole Belloubet est très clairement inspiré du rapport publié en septembre 2017 par l’Institut Montaigne, « Faîtes entrer le numérique ». Or, de est composé ce think tank ? D’acteurs privés qui font depuis longtemps du lobbying pour faire du secteur de la justice un secteur marchand comme un autre.
Vous craigniez aussi pour l’indépendance des juges…
Fin stratège, le gouvernement présente la réforme comme un soutien aux magistrats, totalement débordés de travail. Rappelons d’abord que si le système judiciaire fonctionne mal, c’est qu’il manque de moyens depuis de très nombreuses années. On l’a rendu déficient, et on nous dit ensuite que cela ne fonctionne pas. C’est une recette de déconstruction du service public que l’on connaît par cœur. Les magistrats peuvent effectivement imaginer que leur pile de dossiers va diminuer... Mais notre crainte, c’est aussi qu’ils soient peu à peu mis de côté. S’il n’y a plus d’audiences, si les jugent rédigent moins, si les décisions sont prises par les algorithmes, à quoi cela servira-t-il de former des gens à l’École nationale de la magistrature ? Le risque, c’est que les magistrats se retrouvent, à terme, à ne plus faire que surveiller des algorithmes.

On leur promet de les aider, ils vont se retrouver à moins penser. Mais affaiblir l’autonomie des juges, dans la production du droit et de la pensée, est extrêmement grave. C’est porter atteinte à l’indépendance la justice. On sait que la dimension autoritaire propre au libéralisme économique ne supporte pas les contre-pouvoirs effectifs, garants d’un État démocratique. Si le rôle de la Justice est d’être un facteur d’apaisement social – ce dont nous sommes convaincus au Saf –, alors elle ne peut en aucun cas être confiée à des algorithmes !
En ce qui concerne le pénal, vous dénoncez également un autoritarisme « inquiétant ». Qu’en est-il ?
Les droits de la défense sont clairement sacrifiés. La réforme marque aussi un recul sans précédent du contrôle de l’autorité judiciaire sur le travail des policiers, que l’on libère de nombreuses contraintes de procédure. Pour signifier une garde à vue, par exemple, plus besoin d’écrit ! Tout sera fait à l’oral. Ce sera certes filmé, mais la défense ne pourra se faire transmette le film qu’après coup, sous réserve d’autorisation du parquet. Quelles seront les modalités de cette autorisation ? Nul ne le sait pour le moment, puisque les décrets d’application n’ont pas été rédigés, ou en tout cas n’ont pas été rendus publics. Et pour ce qui est du prolongement de la garde à vue, l’autorisation du parquet devient facultative.
Autre chose : la mise sur écoute est généralisée. Elle devient possible pour les personnes concernées par une enquête préliminaire pour des délits passibles de trois ans d’emprisonnement. Jusqu’ici, seuls les délits passibles de cinq ans d’emprisonnement étaient concernés. Et à l’origine, l’écoute concernait seulement les infractions liées au terrorisme. Exit aussi l’identification des policiers qui étaient tenus, après d’âpres luttes, de porter leur matricule en service. Quand ils sont identifiables, les dérapages sont plus rares, on le sait. Et pourtant, c’est déjà loin d’être idéal. On peut donc imaginer que les contrôles au faciès, ou les violences au cours de manifestations, risquent d’augmenter.
La généralisation de la visio-conférence participerait aussi, selon vous, à cet affaiblissement de la défense. Et les droits des victimes seraient également sacrifiés, avec de nombreux dossiers jugés par un seul magistrat, sans collégialité. Pouvez-vous détailler ?
La visio-conférence sera possible pour un interrogatoire de première comparution. Mais où sera l’avocat ? En prison aux côtés du détenu, pour l’assister, ou au tribunal près des juges, pour les convaincre ? Cette distance ne peut qu’entraîner un affaiblissement de la défense. Quand on rend la justice, il faut se voir pour se comprendre. On sait de plus que la visio-conférence a un impact sur les peines prononcées : les magistrats sont plus répressifs lorsqu’ils jugent à distance. On peut aussi relever la généralisation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) à tous les délits passibles d’une peine d’un an de prison (La CRPC, ou « plaider-coupable », permet d’éviter un procès à une personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés. Cette procédure est proposée par le procureur de la République, ndlr). Cette mesure contribuera à renforcer le pouvoir du Parquet, et à affaiblir le juge d’instruction.
On peut, encore, évoquer le droits des victimes, qui sont bradés par la réforme avec la généralisation du juge unique pour des délits qui entraînent des peines allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Les violences, y compris sexuelles, commises sur les femmes et sur les enfants pourraient donc être jugées par une seule personne. Or, on le sait, on est plus intelligents à plusieurs. La collégialité protège le juge. Quel signal envoie-t-on aux victimes, en ne désignant qu’un seul magistrat professionnel pour juger leur dossier ?
La ministre de la Justice a par ailleurs surpris bien des professionnels en demandant à réformer la justice des enfants sans débat parlementaire. Qu’en pensez-vous ?
C’est la première fois qu’une ministre décide de réformer la justice sans consulter et écouter les professionnels, nous renvoyant sans cesse à notre corporatisme et à notre ignorance. Pour la justice des mineurs, elle décide que la réforme se fera par ordonnances, c’est à dire sans débat parlementaire. On touche là à un pan important et fondamental de notre justice, qui considère les mineurs comme des personnes ayant besoin de prévention et de protection plutôt que de répression. Nicole Belloubet veut tout revoir en six mois, sans véritablement consulter qui que ce soit, ni prendre le temps de vraiment réfléchir. C’est très inquiétant.
Quand je vois comment les policiers se sont libérés de la présence d’avocats pendant les gardes à vue des lycéens la semaine dernière, je me dis qu’ils ont très bien compris la réforme en cours : ils considèrent déjà les mineurs comme des majeurs ! Or, les juges pour enfants de Bobigny nous ont à nouveau averti début novembre, dans une tribune d’alerte sur leurs manques de moyens : protéger les mineurs permet de protéger la société. Des enfants mal protégés, deviennent plus facilement des délinquants. Ce dont a besoin l’ordonnance de 1945 (qui encadre la justice pour les mineurs, ndlr) pour fonctionner, c’est de moyens. Mais là dessus, nous n’avons pas eu un seul mot.
Propos recueillis par Nolwenn Weiler

Notes

[1
Laurence Roques, avocate, est présidente du Syndicat des avocats de France (Saf). Créé en 1974, le Saf défend « une justice plus démocratique, de qualité égale pour tous, proche des citoyens et garante des droits et libertés publiques et individuelles ».